Haussmann, reviens ! Ils sont devenus fous !

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Le 6 septembre 2010, les ministères du Développement Durable, de l’Intérieur et du Travail nous ont pondu une circulaire, « relative à la réalisation des études de sécurité publique lors des opérations de rénovation urbaine » [pdf]. Cette circulaire, sans aucun doute issue du cerveau malade d’un énarque, est un véritable chef d’oeuvre de la langue administrative. Le poisson y est noyé avec une souplesse qui tient presque de l’art. Cela pourrait presque prêter à sourire, mais ce serait occulter le fond de cette circulaire, qui est une étape de plus dans l’emprise sécuritaire que met en place le gouvernement sur l’ensemble de la société.

Revenons quand même un instant sur la forme, qui est malheureusement l’archétype de ce qu’il peut y avoir de pire dans l’administration, c’est-à-dire un discours qui n’est compréhensible que par ceux qui sont déjà au courant des problématiques. Un discours de l’entre-soi, qui se construit d’une part avec l’usage d’un vocabulaire qui n’est même plus de la langue de bois tellement les mots sont vidés de leur sens, et d’autre part avec une forme destinée à dérouter les non-initiés : pour comprendre quel est le vrai objectif de cette circulaire (à savoir : « faciliter les missions des services de police, de gendarmerie et de secours au sein de ces quartiers »), il faut en effet aller chercher au fin fond de l’annexe 4 du document ! Pas besoin d’avoir lu tout Bourdieu pour saisir toute la violence de cette démarche qui consiste finalement à déposséder les populations sur lesquelles vont s’appliquer toutes ces mesures des plus simples clés de compréhension de ce qu’on va leur faire subir.

Que nous dit d’ailleurs cette circulaire sur le fond ? Elle commence d’emblée par asséner que « le droit à la sécurité constitue une liberté fondamentale pour tous nos citoyens ». Outre le fait que ce soit la sûreté qui est une liberté fondamentale, ce qui n’a évidemment rien à voir avec la sécurité, on reconnaît évidemment là le mantra du néolibéralisme en général et du sarkozysme en particulier : « nous sommes là pour assurer votre sécurité ». Pour cela, nous dit notre protectrice circulaire, il faut que les gens qui font de la rénovation urbaine fassent deux choses :

  • mettre en place des « études de sécurité publique »
  • veiller à la mise en place de la vidéosurveillance

La liberté fondamentale de se faire filmer toute la journée, on commence à la connaître, elle n’est malheureusement pas neuve. Ce sont les « études de sécurité publique » qui sont plus intéressantes.

Les préfectures (de police) doivent en être partie prenante, et doivent notamment « proposer les mesures de prévention situationnelle et les interventions sur le bâti des immeubles ou des établissements publics, pour prévenir les atteintes volontaires aux personnes ou aux biens ». Ce qui est important ici c’est la notion de « prévention situationnelle » : il s’agit en gros d’anticiper les comportements des « usagers » pour pouvoir les contrôler et canaliser les éventuels débordements. Cette « prévention situationnelle » peut prendre des formes très diverses en fonction des comportements que l’on cherche à contrôler : grilles et interphones à l’entrée des immeubles, contrôles de sécurité comme à l’aéroport, limitation du nombre de toits terrasses , mais aussi peinture à picots sur les réverbères pour éviter les autocollants

On pourra rétorquer qu’il n’y a rien de nouveau dans tout ça, et que même si on n’avait pas encore mis de mots sur le concept, la « prévention situationnelle » existe depuis longtemps. C’est d’ailleurs un des arguments des promoteurs de cette doctrine : nous en faisons tous sans le savoir. C’est cependant oublier un certain nombre d’éléments.

Le premier c’est que jusqu’à aujourd’hui, la sécurité n’a jamais été mise en avant comme le facteur principal à prendre en compte dans l’aménagement du territoire. Même pour Haussmann, dont on a pourtant longtemps pensé qu’il avait tracé ses boulevards pour faciliter les manœuvres des forces de l’ordre a toujours eu comme objectif premier la salubrité et l’hygiène. L’avantage sécuritaire est simplement l’argument qu’il a mis en avant pour vendre son projet au gouvernants d’alors, qui eux étaient déjà des obsédés du maintien de l’ordre.

Le deuxième élément, c’est le contexte. Cette circulaire s’inscrit dans une surenchère répressive hallucinante contre les quartiers dits sensibles, qui a été notamment analysée par Mathieu Rigouste dans son livre l’Ennemi Intérieur. Il ne s’agit pas seulement de contrôler l’environnement dans lequel vivent les individus, mais de contrôler aussi leurs allées et venues, leurs horaires de vie, de les maintenir en permanence sous pression. Pour faire simple, bref et (un peu) provocateur : le début du totalitarisme.

Quoi qu’il en soit, ni la tradition, ni l’habitude n’ont jamais été des arguments valides pour justifier une politique comme celle-ci. Quand on parle d’aménagement décidé dans une optique sécuritaire, on retombe bien souvent sur les mêmes exemples, qui ne sont pas très rassurants pour notre République : Haussmann et Napoléon III, et Mussolini et ses cités ouvrières géantes que l’on peut apercevoir notamment dans une Journée Particulière.

Bref, quand le Ministère de l’Intérieur se décide à mettre son nez sur la conception de nos logements, on finit souvent par habiter en prison. Et ça, il n’y a pas besoin de circulaires de 13 pages pour le comprendre.

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