Problème de toit (vu de dessus)

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Le gouvernement continue de faire un pas et de reculer de deux. En 2007, il  a lancé une consultation d’architectes autour d’une dynamique nouvelle « le Grand Paris ». En 2009, les projets, très riches, de ces architectes ont été rendus, proposant tous une approche nouvelle et moderne de l’agglomération parisienne. L’objet fondamental de la construction d’une métropole moderne cohérente est la réconciliation de la ville ancienne, riche, le Paris intra muros, avec ses banlieues proches et lointaines. C’est le leitmotiv des travaux des 10 équipes d’architectes, urbanistes, ingénieurs, philosophes… Mais en 2010, la société du Grand Paris a été lancée, pour défendre un unique projet, prévu d’avance, et les brillantes propositions du groupe « des 10 » semblent mises de côté. Les trois dimensions du développement soutenable « économique, social et écologique », sont ignorées au profit d’un simple intérêt commercial, un développement durable mercantile des pôles financiers existants : La Défense, Saclay, Roissy…

Et le banlieusard dans tout ça ? Eh bien le gouvernement n’avait pas attendu la tardive réflexion sur le Grand Paris, pour lancer l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), en 2004, dont le but est notamment d’aider financièrement et administrativement l’éclosion et la réalisation de projets dans les quartiers connus comme sensibles. Depuis 2005, des travaux sont réalisés qui vont dans le sens de l’amélioration de l’urbanisme des quartiers difficiles. Il serait d’ailleurs rapide de dire que ces révolutions de l’ombre, trop lentes, ont commencé dans les années 2000, il faut remonter aux politiques de la ville, au début des années 1990 avec la création de ce ministère essentiel chargé de la politique de la ville.

PRU : Plan de Rénovation Urbaine

Très concrètement, les fonctionnements sur dalles du siècle dernier (Bobigny, Choisy le Roi…) sont repensés, on démolit les passerelles vétustes, des passages souterrains délabrés et on recrée un espace publique plus régulier, plus partagé au sein des quartiers définis comme sensibles en 1994. Cet élan positif perdure, mais ce sont des projets très difficiles à mener car ils font intervenir des acteurs très divers : des habitants aux histoires différentes, des mairies et services techniques qui évoluent au gré des élections, des bailleurs sociaux plus ou moins intéressées, des problèmes de techniques liés aux anciennes constructions, et l’arrivée miracle souvent difficile à appliquer des solutions dites de « développement durable », avec tout le manque de recul critique qu’elles présentent.

Des solutions architecturales,techniques, et sociales sont déjà apportées par les différents intervenants dans une dynamique extrêmement positive d’amélioration du cadre de vie des habitants. Seulement voila, ce sont des projets longs à mener, dont les études commencent en 2005 et les travaux ne se finiront peut être qu’en 2015 (pour les meilleurs cas). Les points difficiles, qu’ils soient techniques, architecturaux ou administratifs, sont contournés mais tous les projets se heurtent à un bloc dur et résistant : le problème des financements. La dynamique est belle, mais la volonté politique derrière ne suit plus (mais a-t-elle déjà vraiment suivi ?). Des projets lancés en 2005, financés sur des études de 2005 voient leurs budgets non actualisés en 2010. Un projet évolue en 5 ans, l’un des rôles des architectes et des ingénieurs est de contrôler que ces évolutions ne contrarient pas l’enveloppe globale du projet, mais les prix aussi évoluent, et ont augmenté depuis 2005. Si les financeurs, l’Etat le premier, ne tiennent pas compte de ces évolutions, mathématiquement la qualité des projets diminuera avec l’envolée des prix. Alors effectivement, les habitants se sentent trompés, on parle de rénovation urbaine depuis 1991 et rien d’exceptionnel jusqu’en 2005, par manque de volontés politique de financement.

Au-delà de ce grave problème de passage de la promesse au chèque, viennent s’ajouter de nouvelles politiques en contradiction avec la dynamique engagée par les politiques de la ville. Vous avez vu avec l’article  « Haussmann, reviens ! ils sont devenus fous ! » que le gouvernement présente depuis septembre une circulaire visant à accroitre l’intervention des services de police dans la conception même des projets de rénovation urbaine. Il est question de « formuler des préconisations concernant la conception des espaces et des équipements urbains », autrement dit c’est désormais le policier qui fait le boulot de l’architecte.

Il est évident que l’on ne peut penser la rénovation d’un quartier, sans étudier l’impact du projet sur la tranquilité des habitants. Les projets de rénovation urbaine s’inscrivent tous dans une logique de simplification du fonctionnement de l’espace public, de création d’espaces plus ouverts avec des perspectives plus longues entre les différents quartiers. Dans ces projets, toutes les notices architecturales défendent la création de nouveaux liens, par des corridors végétaux, des nouvelles voies, des nouveaux espaces publics partagés. C’est toute la dynamique et tout le travail de ces projets depuis des décennies.

Cette circulaire arrive comme un pavé sur la plage, comme une nouvelle dalle dans un quartier rénové. Les projets s’efforcent avec leurs faibles moyens de rompre les contraintes bâties dans les années 60,  qui sont une des explications au sentiment d’insécurité dans ces quartiers. Il ne faut pas se cacher que grâce à cette simplification des espaces, ces nouvelles rues traversant les quartiers, le travail de la police sera facilité, avec des meilleures visibilités, des halls d’immeubles dégagés.

Seulement , le gouvernement fonctionne dans cette logique de « toujours plus » qui va à l’encontre des projets présentés en cours. Maintenant, il s’agit de penser l’architecture même des bâtiments pour les services de sécurité. Il est par exemple question d’interdire les toitures terrasses, sous le prétexte qu’elles permettraient aux jeunes délinquants de caillasser les forces de l’ordre, lors de leurs interventions. On sombre encore une fois dans la démesure. La volonté de pénétrer les quartiers en démolissant des bâtiments vétustes, en créant des nouvelles rues, des nouveaux bâtiments mieux pensés, plus intimes doit suffire à servir l’intérêt des forces de polices. L’urbanisme ne résoudra pas tout seul les problèmes d’insécurité dans les banlieues.

Quand on demande à un architecte de ne pas faire de toiture terrasse, c’est-à-dire de concevoir un  bâtiment nouveau, sans doute en désaccord avec le projet d’ensemble du quartier, et très certainement avec un surcoût qui ne sera pas financé, on met l’aménagement du quartier au service de la sécurité publique, et c’est dangereux. Les seuls bâtiments où on peut accepter une intervention aussi directe des forces de l’ordre, ce sont les bâtiments de l’Etat, les bâtiments à risques industriels, et surtout les commissariats et les prisons. Dans ces cas seulement, il y a un évident besoin de présence sécuritaire dans le bâtiment.

Imposer de tels contraintes aux bâtiments, ce n’est pas comme il est présenté dans la circulaire une amélioration du droit à la sécurité, c’est une agression de la liberté d’expression des architectes et un attentat contre toutes les nouvelles politiques de la ville. Comment peut on avoir fait tant d’années d’études, être expert au gouvernement d’un pays de 60 millions de personnes et penser que c’est en ne construisant plus de toitures plates que :

  • Les délinquants n’iront plus sur le  toit de leur immeuble pour attaquer les forces de l’ordre. Pour tout être humain non soumis au vertige, il n’est pas plus difficile de sortir par une lucarne d’un toit parisien que d’attraper la trappe de l’ascenseur à 3 mètre du palier pour monter sur le toit d’un HLM.
  • Tout d’un coup, il n’y aura plus du tout de toiture plate en banlieue. La plupart des bâtiments dans les quartiers sont conservés faute de moyens pour tous les démolir. Pour être cohérent avec cette circulaire absurde il faudrait donc passer les millions de m² de toitures plates en toitures inclinées, pour que les délinquants ne puissent plus être débout à caillasser la police mais soient obliger de poser tranquillement leur dos sur le toit et mieux viser le camion de CRS en contrebas…
  • Imposer des règles supplémentaires aux constructions va participer de manière significative à la réduction de la délinquance dans les quartiers sensibles. C’est sans doute plus simple d’imposer des contraintes toujours plus pénalisantes à des équipes travaillant déjà pour l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers plutôt que d’aller relancer l’industrie française, travailler à l’interdiction mondiale des délocalisations et des licenciements dans les entreprises réalisant des profits, et trouver du boulot aux 3 millions de chômeurs du pays.

Au delà même de cette circulaire mesquine, le serment d’intelligence qu’ont fait nos députés quand nous les avons élus, devrait les amener à réfléchir aux origines du dysfonctionnement de cet urbanisme des années 60-70. Les maîtres d’œuvre des projets, et les bâtisseurs ont des réponses à ces questions : les projets initiaux des architectes n’ont tout simplement pas été aboutis, pour des raisons financières, d’évolution des gouvernances, alors qu’on était dans la prospère période des « trente glorieuses ». On a réalisé une partie des projets, sans aller jusqu’au bout de la démarche prévue. La politique de l’autruche qui a suivi, qui n’a dans le fond rien changé, a abouti à toutes les incohérences urbaines actuelles.

Pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, il serait bon que les politiques et les décideurs, s’intéressent beaucoup plus aux détails des projets, à leurs cohérences (tout le contraire du comportement présidentiel au débat sur le Grand Paris). Cela leur éviterait, sans doute, de couper des subventions essentielles. Arrêtons de faire le minimum pour rentrer dans un mini-budget et commençons à voir plus loin en reconstruisant des quartiers sur des projets qui marchent et non sur des financements fébriles.

Le principal problème de la logique libéral c’est son étroitesse d’esprit, c’est le gain à court terme, le profit immédiat, les petites mesures mesquines diffusées en annexe de circulaires obscures. Les projets urbains ont besoin d’être pensé sur le long terme, sans quoi ils perdent leur essence et on en arrive à ces situations ou l’urbain agit contre l’intérêt général.

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