Tout ça ne vaut pas… un voyage en bus en banlieue !

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Un début d’après midi, dans ma banlieue. Je monte dans le bus à l’arrêt en bas de chez moi, et une succession d’événements va animer mon voyage. C’est d’abord la dure altercation entre deux voyageurs en montant dans le bus, un homme agressif qui s’en prend à une femme qui même en marchant sur une plaque de tôle mal calée sur un chantier ne ferait pas de bruit, et qui cherche à ignorer la situation. Je n’ai pas bien compris l’origine de la dispute, mais peu importe après tout : on se représente malheureusement trop facilement la scène, et la distribution des rôles est plus que commune.

Ce qui m’a choqué dans cette altercation, c’est l’incapacité à traiter à l’amiable une situation clairement pas grave du tout. Entre deux êtres courtois, civilisés, un sourire et des excuses mutuelles auraient largement suffis à résoudre le problème. Peut-être que les complexes accumulés par chacun les font vivre dans un sentiment de persécution permanente, comme si la Terre entière leur en voulait. Les deux protagonistes étaient visiblement d’origine immigrée, lui du Maghreb, elle d’Europe du nord. J’imagine que leur dispute est gonflée du mal être de ces générations déracinées, qui sont obligées de se côtoyer dans un bus pour aller au travail et n’ont pas plus envie que ça de partager leur petit espace vital. Au fond, on peut les comprendre, quand on sait combien il leur a sans doute fallu lutter pour le gagner sur une terre plus très accueillante.

Alors que cette affaire continue son cours stérile, je vois une place sur la rotonde au fond du bus et décide de me frayer un passage pour aller m’asseoir, en ayant pris soin de contrôler qu’aucune femme enceinte ou personne âgée sur mon chemin pourrait revendiquer à peu près légitimement la place. Assis sur le siège courbé au creux de la rotonde, je me repose des fatigants éclats de voix de l’avant du bus. Soudain, le téléphone d’un de mes voisins sonne : c’est celui d’une jeune fille assise en face de moi, qui répond rapidement et commence à parler un peu fort, je me force à ne pas écouter mais sa voix porte trop et j’entends tout.

Je sens au ton de la fille et au dialogue qu’elle n’a pas eu une éducation facile, elle fait des fautes de français oral et je comprends qu’elle a à peine vingt ans et galère depuis plusieurs années avec des petits boulots qui lui usent le moral. La fille parle avec des mots très simples et un dialecte très jeune chargé de « trop » et de « genre ». Sans y faire attention, j’apprends qu’elle vient d’un entretien avec un conseiller principal d’éducation d’un collège de Clamart pour un poste de surveillant. Apparemment elle est très contente de sa prestation, l’échange s’est très bien passé et le responsable est prêt à l’embaucher.

Elle est très embêtée et raconte, sans doute à son petit ami au bout du sans-fil, qu’elle a un souci de papier de l’ANPE, qu’elle a bien remis tout son dossier au conseiller principal d’éducation du collège mais qu’il manque une pièce essentielle pour pouvoir signer le contrat. Elle explique que ce n’est pas sa faute, qu’elle pensait le dossier complet en le déposant, c’est à priori un oubli de l’administration. Ce contretemps l’a bouleverse et elle est en chemin pour les bureaux de l’ANPE, si j’ai bien compris à l’autre bout de Paris. La file d’attente des bureaux de ce qui est depuis quelques mois le « Pôle emploi » l’inquiète car elle n’est pas sur d’être de retour à temps avec le document pour signer son contrat au collège de Clamart. Malheureusement elle n’est pas la seule pour le poste, le conseiller est prêt à la prendre mais il a besoin d’un nouveau surveillant pour le lendemain et signer son contrat avant de rentrer chez lui ce soir.

La force de cette fille est impressionnante, j’écoute avec émotion son récit, elle avait enfin un rayon de soleil, la chance d’un emploi dans un collège « facile », dans un quartier pavillonnaire plutôt bien fréquenté. Je comprends que si elle perd cette opportunité, sa situation sera très difficile. En repassant chez elle, voir si elle n’y aurait pas laissé le document manquant, elle a croisé son père, au chômage et lui a annoncé la nouvelle que l’entretien s’est bien passé et qu’elle est enfin acceptée pour un poste stable. Je ressens la joie, la fierté, avec laquelle elle a annoncé  cette grande nouvelle à son père qui l’a félicitée.

Plus j’entends d’éléments de cette histoire, et plus j’aurais envie d’agir, de faire quelque chose pour cette jeune fille qui n’a pas du avoir beaucoup de chance, mais l’indiscrétion de ma situation me muselle, et puis je n’aurais aucune solution. Arrivé au terminus, elle a fini son récit et nous descendons pour prendre le métro, nos chemins ne se sont pas croisés et déjà se séparent. Je ne peux qu’espérer, voir même prier pour la forme, s’il faut, pour qu’elle récupère dans les délais cette fiche qui lui manque pour enfin avoir droit à un travail.

Quelle misère que des gens, dont la vie n’est déjà pas facile, doivent gérer de telles situations. J’ai l’impression que le mauvais sort s’acharne sur cette pauvre fille qui se démène avec courage dans ce monde hostile. Elle a dû avoir beaucoup de déconvenues par le passé, je l’ai senti consciente du risque qu’elle court de ne pas obtenir le document dans les temps mais aussi forte de l’expérience d’autres événements difficiles de ce genre.

Je descends dans les méandres de la station de métro, arrive devant les portillons, et à ma grande surprise, quelqu’un me tient le portillon, chose très rare dans le métro chacun à l’habitude de passer son ticket ou sa carte puis de continuer son chemin s’en s’attarder à tenir la porte au suivant. En cette période je prenais les transports matin et soir, et j’avais pu constater cet égocentrisme permanent, chacun dans sa petite bulle faisant son chemin comme s’il était invisible des autres.

Finalement je me suis dit que dans la vie, il y a des gens à qui on tient les portes, et des gens qui systématiquement se les prennent dans la figure. Je ne suis pas à plaindre, j’ai connu des gens formidables à chaque étape de mon éducation et les portes sont restées ouvertes. Malheureusement ce n’est pas le cas de tout le monde, je pense aux enfants pour lesquels toutes les portes se ferment, une à une, ou toutes ensemble, sans raison ou après une bêtise de jeunesse. Quand les portes restent ouvertes, on ne se pose pas de questions, on se coule dans sa vie et tout est plus facile. Le problème c’est que souvent c’est notre société trop individualiste qui décide à qui elle ouvre ou elle ferme ses portes.

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