A la vie, à la mort

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Ramzi a 20 ans, il dort dehors depuis 3 semaines et refuse toujours de rentrer chez lui. Il n’est pas seul, des milliers de ses compatriotes sont installés sous des tentes et des abris précaires, et comme lui, ils vivent les plus durs, mais aussi les plus beaux instants de leurs vies. La place qui les accueille n’a pas l’habitude d’être encombrée de la sorte. D’habitude c’est un lieu de passage, quelques-uns s’y donnent rendez-vous, mais personne ne s’y attarde réellement. Bordée par d’immenses bâtiments d’un côté et un fleuve de l’autre, elle donne l’impression aux résidents non déclarés, d’être cernés. Mais ce n’est plus le cas depuis la veille lorsque les chars de l’armée ont bloqué toutes les issues, l’impression s’est dissipée pour laisser place à la réalité. Attirés par cette curiosité, les citadins viennent se promener dans ce coin de la ville, où l’air semble être meilleur, et où les voisins semblent s’apprécier, mais où la mort guette chacun d’entre eux. La plupart veulent participer à ce que certains désignent déjà comme « la révolution », les autres sont simplement attirés par l’originalité de la scène.

Chaque jour ils sont plus nombreux à prendre place sous ces tentes, et chaque nuit le bilan macabre se fait plus lourd à supporter. Celui-ci a été frappé par un cocktail Molotov, celle-là a été percutée par une camionnette de la police, un autre a pris une balle dans le ventre, encore une autre a été touchée par une pierre en pleine tête. Les exemples n’en finissent pas, et Ramzi a conscience que chaque heure de vie passée sur cette place est un don du ciel. Pourtant il ne compte pas rentrer, s’il rentre dit-il « c’est comme s’ils étaient morts pour rien », et dans ce cas il préfère mourir ici à leur côté. Le courage qu’il exprime, il ne l’avait pas il y a 3 semaines, il l’a forgé en voyant tomber des amis. Des amis qu’il ne connaissait pas encore.

Assise dans son canapé, Elham fume nerveusement le narguilé devant le pays qui s’embrase. Elle regarde la chaîne nationale à la télévision dont l’ensemble des caméras sont braquées sur cette maudite place qui lui a pris son fils. Toutes les autres chaînes ont été coupées. Elle espère le voir dans le petit écran. Ramzi ne rentre qu’une fois tous les deux ou trois jours. Il vient se laver, parfois il reste manger, mais ne s’attarde jamais plus de deux heures. Elham attend ces instants avec impatience, elle voudrait qu’il n’y retourne plus, qu’il reste avec elle dans leur vieil appartement. Elle ne cesse de lui répéter de faire attention, de penser à elle lorsqu’il prend une décision, de rester loin des tirs, des chars et des hommes en arme.

Ce matin-là, elle se réveille à cause des cris. Elle les a entendus qui venaient de la rue. Lui, n’a pas beaucoup dormi. Il a parlé politique toute la nuit, et de la rumeur qui a circulé sous les tentes : « apparemment ils vont envoyer les militants du parti » a-t-on entendu un peu partout. Et ça n’a pas raté, ce matin-là, les militants, les « civils », les clients se sont bien donnés rendez-vous. A coup de pierre, la foule rassemblée sur la place subit les jets, répondant comme elle le peut, se protégeant avec ce qu’elle peut. Ramzi n’est pas en première ligne, il est quand même sur le front, mais préfère avec d’autres, aider les médecins à transporter les blessés loin des affrontements.

Sa mère est prise de panique. A la télévision les caméras retransmettent les combats, une foule face à une autre, pierres à la main. Ceux à gauche sur l’écran avancent, puis reculent, puis avancent à nouveau, certains tombent puis se font lyncher, certains meurent. Un « no man’s land » se forme et c’est au milieu de ce va-et-vient qu’elle imagine son fils. Elham est inquiète. Elle tremble, elle ne sait pas quoi faire. Depuis son balcon elle entend les cris, et voit de la fumée. Elle décide de sortir pour retrouver son fils, pour l’extirper coûte que coûte du massacre qui se dessine sous ses yeux, avant qu’il ne soit trop tard. Elle met son foulard, et claque la porte avec le cœur qui bat à 100 à l’heure. Elle s’imagine tous les scénarios possibles, elle pleure, elle court. Sur le chemin, elle ne reconnait plus sa ville, ni les visages qui la regardent. Un homme la voit en détresse, et s’approche d’elle. Elle l’a vu venir, et sait déjà ce qu’il va lui dire : « Tu n’as rien à faire ici, c’est trop dangereux ! Rentres chez toi avant qu’il ne t’arrive quelque chose ». Elham poursuit son allure, elle s’en moque, elle est prête à jouer le tout pour le tout.

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