Legalize it !

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Avril 2010 : Stéphane Gatignon, maire de Sevran, crée le buzz sur Rue89 en déclarant qu’il faut « des champs de pavot et d’herbe en Île-de-France ». Un an plus tard, il développe ses arguments dans un livre, Pour en finir avec les dealers, écrit avec Serge Supersac, ancien commandant de CRS (eh oui !). Le débat sur la dépénalisation est désormais lancé et sera, on l’espère, au cœur de la présidentielle de l’année prochaine.

Le principal mérite de ce livre c’est de replacer la question des trafics et de la consommation de cannabis dans leur contexte social. Sur ce point, il est clair que la connaissance du terrain dont peuvent se targuer les deux auteurs est inestimable, et les amène à adopter un point de vue relativement inédit sur la question. Au lieu de se contenter de l’argument trop rabâché selon lequel le cannabis est moins dangereux que l’alcool et le tabac et qu’il est donc anormal de l’interdire quand les deux autres sont autorisés, Gatignon et Supersac analysent plutôt les conséquences sociales dramatiques de la prohibition (dans les banlieues en particulier) et sur le risque de dégénérescence de la situation.

Il faut agir avant qu’il soit trop tard, expliquent les auteurs, avant que les quartiers soient complètement aux mains des dealers, avant que le lien social ait disparu, avant que la guerre des gangs commence à faire des victimes innocentes. Leur proposition est simple : mettre en place l’équivalent de la SEITA avec l’herbe qui fait rigoler, pour enfin remettre la main sur ce marché dont le chiffre d’affaires est supérieur au milliard d’euros chaque année. Avec ça, les campagnes d’information et de prévention sur les dangers de la fumette seront facilement financées, et cela permettrait de sortir de l’hypocrisie sur le sujet dans notre pays, qui est le plus grand consommateur de hash d’Europe ! Sans parler de la possibilité de contrôler la qualité du produit…

Dans ce débat, les arguments des partisans de la prohibition se cantonnent souvent au point de vue moral et à la question de santé publique, et ont tous été démontés au fur et à mesure. Les questions du passage aux drogues dure lorsqu’on commence à fumer des pétards, ou de l’augmentation de la consommation avec la dépénalisation, entre autres, ne résistent pas à des analyses scientifiques un peu sérieuses. Parmi tous ces arguments, il en est un cependant qui mérite d’être pris en compte et qui constituera à mon avis le coeur du débat dans les prochains mois :  que feront les dealers si on leur enlève leur monopole, qui pour la plupart est leur seule source de revenus ? Passer à des produits plus dangereux, voire s’opposer violemment à la fermeture du robinet à liquidités, affirment les tenants de la prohibition.

Serge Supersac et Stéphane Gatignon n’éludent pas la question, bien au contraire, et retrouvent chacun leurs casquettes respectives de flic et de maire de banlieue. Le premier nous explique qu’il faudra, en parallèle de la légalisation, mener une vraie politique de sécurité publique pour faire face aux tensions et aux risques qui en découleront probablement. Mais, explique-t-il, ce sera d’autant plus facile que la police n’aura plus qu’à s’attaquer qu’aux véritables délinquants que sont les grossistes et semi-grossistes du secteur. Le dealer de cage d’escalier et le guetteur n’occuperont plus le temps des flics inutilement et la lutte pour le démantèlement des trafics pourra se mener efficacement. Le second, quant à lui, revient sur la cagnotte que représenterait pour l’Etat le marché de l’herbe, qui permettrait de soutenir une vraie politique sociale et pour l’emploi, dans les quartiers en difficulté évidemment, mais aussi dans des secteurs qu’on associe moins souvent (à tort) au trafic, et en premier lieu dans le secteur agricole.

Alors que la question de légalisation du cannabis est en train de gagner du terrain dans la plupart des pays occidentaux (notamment aux Etats-Unis), il est grand temps que la France saisisse elle aussi le problème à bras le corps. Le livre de Gatignon et Supersac, qui sort à un moment idéal, sera, on l’espère, le déclencheur d’un grand débat public. Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur de Lionel Jospin l’appelle en tous cas lui aussi de ses vœux. Quoiqu’il en soit, la lecture de ce petit bouquin plutôt intelligent est une bonne façon de se saisir de la question et d’affuter ses arguments en attendant !

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