On en parlait ici-même en fin de semaine dernière, la Puerta del Sol est devenue en moins d’une semaine l’épicentre d’un mouvement social d’une ampleur jusque là inconnue en Espagne. Et si le campement de Sol (ouais, on dit comme ça pour faire hype) a fait des petits dans toute la péninsule ibérique, on a pu assister à l’apparition de quelques embryons de mouvement de notre côté des Pyrénées aussi. Alerté par Rue89 et par Twitter, mais pas du tout par les réseaux traditionnels, le reporter du Poisson Rouge est allé voir pour vous samedi soir à quoi ressemblait le campement parisien sur la place de la Bastille.

La seule chose qu’il peut dire pour l’instant, le reporter du Poisson Rouge, c’est que ce campement parisien, il a un sacré accent espagnol (c’est ce qui fait tout son charme, me direz-vous…). En fait, à part des Espagnols et des hispanisants, il n’y avait pas grand monde. Une seule organisation était présente en tant que telle, le Mouvement Zeitgeist, qui me laisse toujours aussi perplexe, autant sur ses objectifs que sur l’enrobage spiritualiste scientifique de la chose . Pour faire court, le programme de ce samedi était relativement simple : AG des Espagnols, puis AG de tout le monde, le tout en liaison permanente avec Sol et les autres campements, et live-tweet à gogo. Le seul tract qui circulait était la liste des revendications de Democracia Real Ya ! en trois langues : espagnol, anglais et français.

La teneur des discussions n’était pas vraiment surprenante. Faut-il simplement être un mouvement de soutien à l’Espagne ou appeler à un mouvement français ? Le contexte espagnol est-il retranscriptible en France ? Quelles seraient les revendications d’un mouvement Français ? En fait, tout tourne globalement autour de l’idée qu’il faudrait dans l’idéal impulser en France un mouvement semblable à celui du 15M et sur la faisabilité dans le contexte français d’un tel projet. Le résultat n’est pour l’instant pas très concret : la reprise du manifeste et des revendications espagnoles, et un appel à manifester le 29 mai.

Ce mouvement pose tout de même un paquet de questions. Semblable sur la forme aux soulèvements tunisiens et égyptiens (étincelle dûe à la répression policière, utilisation massive des nouvelles technologies, rassemblement sur des lieux symboliques), le fond n’est évidemment pas comparable : alors que les révolutions arabes luttaient pour l’abolition de régimes dictatoriaux, cette question n’est pas pas au programme en Espagne (alors qu’ils pourraient quand même couper la tête de Juan-Carlos). La puissance des revendications tunisiennes et égyptiennes, l’espoir de mettre à bas la dictature, n’a absolument rien à voir avec la modestie terrible des propositions portées par Democracia Real Ya, qui ne sont dans le détail que celles portées par le mouvement altermondialiste depuis dix ans, taxe Tobin comprise. Si les Egyptiens rassemblés sur la place Tahrir n’ont rien lâché, c’est parce que la carotte était suffisamment grosse pour justifier le bâton. Les Espagnols tiendront-ils pour ces revendications ? Vont-ils amplifier leurs exigences ? L’avenir nous le dira, mais pour l’instant, j’ai un peu de mal à être optimiste, surtout au vu des résultats des élections de ce week-end. Le PPE, parti de droite qui n’a rien à envier à notre UMP nationale, a purement et simplement écrasé la gauche. En mai 2011, comme en mai 1968, la Réaction a gagné. Et elle n’aura pas peur de sortir la matraque à mon avis.

Allez, un petit effort !

Du côté Français, il est encore plus difficile d’être optimiste ! Non seulement on n’a plus de roi à qui couper la tête (même si on a envie de temps en temps de ressortir la Veuve du Docteur Guillotin), mais la situation socio-économique qui a fait descendre la jeunesse espagnole est encore loin d’être comparable, tant mieux pour nous. Je ne parle même pas du fait que peu de monde s’est remis de l’énorme claque du mouvement contre la réforme des retraites. Eh oui ! On a tendance à l’oublier, et le flot médiatique n’y est pas pour rien, mais il y a encore six mois de ça, trois millions de français étaient dans la rue pour défendre la retraite à 60 ans, avec l’insuccès que l’on sait.

Et ce n’est pas la marche qu’est en train de suivre le bourgeon de mouvement français qui va nous rassurer. La lecture du forum (mort) de Démocratie Réelle et des règles de communication mises en place pour la rédaction des tracts est édifiante pour le coup. Rendez-vous compte : « employer les mots « lutte », « combat », « révolution » à répétition peut envoyer une image belliqueuse » ! Ça, c’est que j’appelle un mouvement combattif ! Je ne parlerai même pas du soutien apporté par Jacques Attali et affiché sur www.french-revolution.fr, qui va à mon avis réussir à tuer dans l’oeuf le mouvement… Merci Jacquot !

Pour finir sur une note un peu plus optimiste, il me semble quand même que ce nouveau mouvement est révélateur de la montée en puissance de la problématique de la liberté d’expression et de la censure, qu’on avait vu apparaître avec l’affaire Wikileaks et l’opération Payback. Les Anonymous sont partout dans le monde, de plus en plus nombreux chaque jour, et leur capacité d’organisation, de mobilisation et de nuisance s’accroît progressivement, ce qui est de très bon augure.