L'affaire Karachi pour les nuls

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L’affaire Karachi, qui chaque jour apporte son lot de révélation, est sans nul doute l’affaire d’Etat la plus grave depuis les emplois fictifs de la Mairie de Paris. Et pourtant, si tout le monde connait en gros les tenants et les aboutissants de ces derniers, Il n’en est pas de même de l‘Affaire Karachi. Paradoxalement, si elle est avérée, cette affaire surclasse largement l’affaire parisienne et on pourrait même dire que, à côté, J. Chirac était finalement un petit joueur. Alors pourquoi l’Affaire karachi n’est-elle pas au centre des débats et de la controverse ? Une des raisons est que, la plupart du temps, lorsque l’on interroge les gens, leur connaissance du dossier est, si ce n’est nulle, assez hasardeuse. Pas de culpabilisation à l’horizon, les personnes impliquées dans cette affaire ont justement imaginé un système complexe  pour éviter que l’on puisse remonter jusqu’ à eux. C’était sans compter sur la détermination d’une part de juges d’instruction tenaces, les juges Renaud Van Ruymbeke et Marc Trévidic, et d’autre part de journalistes d’investigations indépendants de l’équipe de Médiapart (Fabrice Arfi, Fabrice Lhomme).

Au commencement

Au départ de cette affaire il y a l’attentat à Karachi du 8 mai 2002. Perpétré par un kamikaze, il fera 14 morts dont 11 employés Français de la Direction des constructions navales (DCN). Le  27 mai 2002, l’enquête sur cet attentat est confiée aux Juges anti-terroristes Jean Louis Bruguière (Connu entre autre pour avoir instruit les affaires concernant les attentats du groupe Action direct ou encore ceux d’Ilich Ramírez Sánchez dit « Carlos ») et Jean-François Ricard. Rapidement nos deux juges vont favoriser la piste de l’attentat commandité par Al Qaïda, piste soutenue principalement par les services secrets d’Islamabad. Après 5 ans de stagnation, le juge Bruguière quitte la magistrature pour se présenter aux élections législatives sous l’étiquette UMP et il  est remplacé par le juge Marc Trévidic. Coup de Tonnerre, le 18 juin 2009, le Juge Trévidic organise une rencontre avec les parties civiles (les familles des employés tués dans l’attentat) et leur expose ses intuitions. Pour lui, la piste d’Al Qaïda est peu probable. S’appuyant sur le rapport « Nautilus », effectué par un ancien agent de la DST Claude Thévenet et remis à la DCN quelques mois après l’attentat, le juge Trévidic explique aux familles que l’attentat serait lié à l’arrêt du versement de commissions dans le cadre du contrat Agosta (vente de trois sous-marins Français au Pakistan). C’est à partir de cette réunion que l’affaire Karachi va s’emballer et va dévoiler son lot de barbouzeries, de corruptions et de financements occultes. A partir de cet événement, l’affaire Karachi va se diviser en deux volets (ce qui est à l’origine de l’incompréhension pour certains de cette affaire) : d’une part le volet « terroriste » de l’affaire, c’est-à-dire l’enquête sur l’attentat menée par le juge Trévidic et, d’autre part, le volet « financier » qui est l’enquête sur les commissions, menée par le juge Van Ruybecke. C’est ce deuxième volet qui  apporte depuis 2009 révélations sur révélations au sujet du clan Balladurien .

Ce qu’il faut savoir

La passation des contrats d’armement, enjeu économique majeur pour la France, était régie jusqu’aux années 2000 par des règles bien particulières. Basé sur un système de corruption légale, le gouvernement français versait des pots de vin aux décideurs ou personnes influentes d’un pays, pour faciliter la conclusion d’un contrat d’armement entre la France et ledit pays. Ces pots de vin étaient appelés des commissions ou assez ironiquement des frais commerciaux exceptionnels (FCE), et faisaient partie intégrante du contrat d’armement. C’est-à-dire que lorsque le ministre du budget et le ministre de la défense validaient le plan de financement du contrat d’armement, ils étaient en pleine connaissance du montant des commissions et de leurs destinations. Ces commissions n’étaient bien sûr pas directement versées par la France. Ces sommes faramineuses (elles se comptent en millions d’euros), transitaient dans les mains d’« intermédiaires » aux carnets d’adresses bien remplis. La rétribution de ces intermédiaires  était prévue dans le plan de financement du contrat d’armement, validé rappelons-le par le ministre du budget entre autres (cela aura son importance plus tard), et qui équivalait à un pourcentage sur le total des commissions versées. Jusqu’à l’entrée en vigueur dans les années 2000 de la convention de l’OCDE contre la corruption, ce système était totalement légal en droit français. Ce qui l’était moins, et qui est au centre du volet financier de l’affaire karachi, ce sont les rétro-commissions. Les rétro-commissions sont des sommes d’argent qui proviennent des commissions versées aux intermédiaires dans le cadre d’un contrat d’armement. Une partie de ces  commissions sont renvoyées  par « l’intermédiaire », à des personnalités en France. Le système des rétro-commissions est, pour faire simple, un système de détournement de fonds publics assez subtil, car utilisant des réseaux financiers par nature très secrets (le système de commissions même s’il était légal, était assez confidentiel).

La thèse du financement occulte

Nous quittons donc définitivement le volet « terroriste » de l’affaire Karachi pour nous concentrer exclusivement sur l’aspect « financier ».Pour bien comprendre cette partie de l’affaire il faut revenir en 1993. Cette année là, le RPR (Rassemblement Pour la République créé en 1976), remporte les élections législatives. Au sein de la droite les deux amis, J. Chirac et E. Balladur concluent un accord. Balladur aura Matignon et deviendra Premier Ministre, alors que Chirac restera à la Mairie de Paris et sera le candidat RPR pour la présidentielle. Il est bien connu que les Hommes politiques sont des monstres d’ambition et, à l’aube des élections présidentielles, E. Balladur décide finalement de rompre le pacte liant les deux hommes et de se présenter aussi. La fracture est totale entre les deux anciens camarades et deux courants d’influence vont alors s’affronter. J. Chirac, chef de fil de la droite, est intronisé par le RPR pour être le candidat du parti à la présidentielle. Il bénéficiera donc de la force militante du RPR et de son appui financier (en plus des sources de financement propres de J. Chirac…). Quand à E. Balladur, il se retrouve sans ressources particulières pour financer sa campagne.

La thèse développée par les journalistes de Médiapart,  et qui intéresse le Juge Van Ruybeke, tente de répondre à cette inconnue.

E. Balladur, alors Premier Ministre aurait financé sa campagne présidentielle de 1995 par le biais de rétro-commissions.

Le 21 septembre 1992, la Direction des Constructions Navales (DCN) donne mandat à la Société Française des matériels d’armement (SOFMA) pour négocier avec le Pakistan la vente de trois sous-marins de type Agosta (qui donnera son nom au contrat). L’accord s’élève à 826 millions d’euros dont 6,25%, soit  52 millions d’euros, sont reversés à la SOFMA qui doit les utiliser pour « faciliter » la passation du contrat d’armement. Deux ans plus tard deux nouveaux intermédiaires sont imposés dans les négociations par le gouvernement Balladur alors que le contrat est en phase de finalisation. Ces intermédiaires sont Ziad Takieddine et son associé Abdul Rahman El-Assir. Ils sont mis en contact avec la DCN par le biais de Renaud Donnedieu de Vabres, alors membre du  cabinet du Ministre de la défense de l’époque François Léotard. Le 12 juillet 1994, la DCN International (branche commerciale de la DCN) conclut un contrat de consultant avec la société Mercor Finance. 4 % de commissions supplémentaires sont promis aux nouveaux intermédiaires, soit 33 millions d’euros. Les intermédiaires  obtiennent le droit de se faire verser directement 85 % de ces commissions, soit un peu plus de 20 millions d’euros, chose inhabituelle dans ce genre de contrat.

Ziad Takieddine aurait alors reversé une partie de ces commissions à l’association de financement de la campagne présidentielle de 1995 d’Edouard Balladur.

La question du rôle de Nicolas Sarkozy se pose pleinement car, en tant que Ministre du Budget de l’époque, il était en charge de valider le plan de financement du contrat d’armement et donc de valider le versement supplémentaire de commissions à Ziad Takieddiene. Or d’après les déclarations de Gérard Philippe Menayas, ancien directeur de La DCN International, ce plan de financement était absurde puisque le contrat d’armement était en passe de se conclure. D’autre part, toujours en tant que ministre du budget, c’est lui qui a supervisé la création de la société Heine, société luxembourgeoise utilisée par la DCN pour faire  transiter des commissions suspectes. Enfin il faut noter que Nicolas Sarkozy était à la fois le porte-parole et le directeur de la campagne d’Edouard Balladur pour les élections présidentielles de 1995.

à venir la deuxième partie de l’article rassemblant les différents éléments de preuves appuyant cette thèse.

 

 

 

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3 commentaires sur “L'affaire Karachi pour les nuls

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