Mali: Touaregs, barbouzes et compagnie. 2ème partie

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L’enlèvement de deux otages aux identités troubles a Hombori (Mali) nécessite désormais de comprendre le contexte politique dans lequel il est intervenu. La première partie de l’article est à lire (ici)

Des barbouzes
Noyée au milieu de révélations tonitruantes quant au passé des deux otages français au Mali, une information de la plus haute importance semble avoir été délaissée par bon nombre de rédactions françaises. Quelques heures avant l’enlèvement de Serge Lazarevic et Philippe Verdon, un individu présenté comme un médiateur français se faisait tirer dessus dans le nord du pays. A priori, il serait difficile de faire un lien entre les deux affaires, mais certaines informations prêtent toutefois à de lourds questionnements. Ce médiateur aurait dans un premier temps caché sa véritable identité avant de laisser apparaître la raison de sa venue en zone rouge : il aurait été dépêché afin de négocier directement avec AQMI la libération de quatre otages d’Areva enlevés au Niger en septembre 2010. Ce négociateur, qui essayait de « passer inaperçu en vue de la médiation (…) », a été touché vraisemblablement à l’épaule en essayant de forcer un barrage tenu par l’armée nationale malienne. Au départ, si l’individu prétendait s’appeler François (L’express du 23/11/2011), il s’est rapidement avéré que sa véritable identité était celle de Jean-Marc Gadoullet, ancien colonel du service action de la DGSE (les services secrets français).

Barbouzard entre tous, cet ex-espion reconverti dans la sécurité privée (tout comme S. Lazarevic et P. Verdon) affiche un palmarès inquiétant : selon Nathalie Prévost (journaliste au JDD), il aurait délibérément fait échouer les négociations pour libérer les sept otages d’Areva enlevés au Niger en 2010. En effet, alors que trois d’entre eux pouvaient être libérés gratuitement par AQMI (ils étaient africains et ne représentaient aucun intérêt financier, que voulez-vous), Gadoullet et ses réseaux ont littéralement saboté le processus pour le faire aboutir finalement quelques jours plus tard… Contre une rançon de 10 millions d’euros ! Essayant de se forger une réputation dans la sécurité privée au Sahel, sa société SATOM a ainsi pu se placer au premier plan des négociations avec les réseaux terroristes. Ici aussi, la fin justifie les moyens.

Cet édifiant personnage, dont la carrière est émaillée de périodes sombres et largement douteuses (Tchad, Birmanie, Balkans et RDC), reste pour nous aujourd’hui le possible point de départ de l’enlèvement de messieurs Lazarevic et Verdon. Nul ne sait pourtant si les trois hommes se connaissaient, mais les points communs qu’ils partagent laissent planer d’immenses doutes. Anciens de la DGSE ayant sévit aux Balkans, puis en RDC, reconvertis dans la sécurité privée, l’étau se resserre aujourd’hui autour des trois hommes.

Un contexte de crise majeure
Cet enlèvement intervient de surcroît dans une période hautement sensible de la vie politique malienne. Les élections présidentielles prévues au début de l’année 2012 profitent à bon nombre de revendications de voir le jour. Certains rebelles Touaregs, qui avaient refusé de déposer les armes à l’issue des accords d’Alger, réaffirment aujourd’hui leurs ambitions plus ou moins indépendantistes (le contexte électoral permet de penser qu’il ne s’agit toutefois que de pressions politiques). La guerre menée par l’OTAN en Lybie a apporté récemment son lot de complications au jeu diplomatique : des centaines de Touaregs ayant combattu pour défendre le régime kadhafiste sont venus trouver refuge de l’autre côté de la frontière malienne.
Lourdement armés, ils ont majoritairement rejoint les rangs du Mouvement National de Libération de l’Azawad (territoire de Tombouctou et Kidal). Dans les années 90, les différentes rebellions touarègues affirmaient pour objectif une meilleure intégration des populations du nord à la structure de l’Etat. C’est désormais une page qui semble tournée, car devant les échecs répétés des politiques de désenclavement des zones touarègues, les revendications sont aujourd’hui différentes et ont pour but d’affirmer l’autonomie de l’Azawad par rapport au Mali. Bamako, qui a entretenu des liens étroits (comme l’immense majorité des Etats africains) avec le colonel Kadhafi durant de longues années, a entamé une procédure de médiation avec les touaregs de Lybie. Pour le moment, si cette politique demeure un échec, elle semble mettre en porte à faux la politique sécuritaire entamée par le président sortant Amadou Toumani Touré.

poisson rouge

Le CEMOC (Comité d’Etat Major Opérationnel Conjoint), organe censé lutter contre la montée d’AQMI et de Boko Haram dans le Sahel, a affirmé par l’intermédiaire du général Poudiougou (Mali) sa volonté de vouloir en découdre avec les réseaux terroristes… Quelques jours seulement avant les enlèvements de messieurs Lazarevic et Verdon (20-21 novembre). On peut dès lors imaginer que cette menace d’une imminente attaque de la part des pays concernés (Algérie, Niger, Mauritanie et Mali) a poussé les membres d’AQMI à agir avec violence pour faire valoir leur suprématie militaire dans la région.

La situation au Mali et au Sahel est donc d’une rare complexité. Au lieu de tenter de comprendre en profondeur les enjeux qui y sont présents, un amer sentiment de raccourcis et de préjugés guide les médias français dans leur quête de sensationnalisme. Lorsqu’on ne comprend pas totalement une situation, où dès lors qu’on refuse d’y attacher de l’importance, on ouvre grand une porte qui mène à l’étalage massif de faits et de simplifications, qui n’ont aucunement pour but d’informer convenablement.

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4 commentaires sur “Mali: Touaregs, barbouzes et compagnie. 2ème partie

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