Si j'avais un marteau, je taperais sur Claude François

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Dans les années 60 et 70, l’une des grandes tendances de la chanson française était la traduction en langue française de succès américains, et notamment d’un certain nombre de protest songs. Hugues Aufray par exemple s’est fait connaître par ses versions françaises de Blowin’ in the Wind et de The Times They Are-a-changin’ de Dylan. Mais alors qu’un Aufray cherchait avant tout à transmettre l’esprit révolutionnaire des chansons qu’il adaptait, d’autres se contentait de piquer des mélodies efficaces pour livrer des versions plates et édulcorées de certaines des plus belles chansons jamais écrites. C’est le cas de Claude François et de son hallucinant Si j’avais un marteau.

Revenons déjà sur la chanson originale, injustement méconnue. If I had a Hammer fut composée en 1949 par Pete Seeger et Lee Hays, et enregistrée la même année par leur groupe the Weavers. Pete Seeger et ses comparses étant des communistes revendiqués, et vu le climat de l’époque aux Etats-Unis, on imagine aisément pourquoi la chanson n’a alors pas connu de succès retentissant. Il faudra en fait attendre une quinzaine d’années pour que Peter, Paul and Mary (en 1962) et Trini Lopez (en 1963) fassent rentrer le titre dans les Top 50. Dès lors, la chanson devient l’un des hymnes du Mouvement pour les Droits Civiques, au même titre qu’un We Shall Overcome par exemple.


La version de Peter, Paul and Mary, sans doute la plus connue aux Etats-Unis.

Que dit le texte original de Seeger et Hays ? Dans les trois premiers couplets, le chanteur explique comment, s’il avait un marteau, puis une cloche, puis une chanson, il pourrait appeler à l’amour entre ses frères et ses soeurs, et les avertir d’un danger qui n’est pas explicité mais que l’on imagine lié à l’absence de cet amour entre les Hommes. C’est dans le quatrième et dernier couplet de la chanson qu’apparaît son aspect éminemment subversif : le chanteur y explique que ce marteau, cette cloche et cette chanson, il les a déjà, et qu’il suffit de s’en saisir pour lutter pour la justice, la liberté et l’amour. La symbolique des trois objets à s’approprier ajoute à la dimension subversive :

  • Sur le marteau, il n’est sans doute pas nécessaire de développer. On retrouve ce symbole du travail un peu partout, et l’allusion est plutôt claire
  • La référence à la cloche peut nous sembler un peu plus obscure vue de France, puisqu’il s’agit à la fois d’une allusion aux cloches utilisées dans les plantations pour ponctuer les journées de travail des esclaves et d’une référence biblique, qui sera réutilisée par un certain Martin Luther King dans son discours J’ai fait un rêve
  • Quant à la chanson, on peut y avoir une allusion aussi bien aux chansons folks, que Seeger et ses comparses aimaient remettre au goût du jour, quitte à en détourner l’usage, qu’aux Gospels des Noirs américains. Notons que sur ce point, les militants des Droits Civiques suivront presque à la lettre la chanson, puisqu’un chant comme Go Down, Moses, à l’origine purement religieux, servira lui aussi d’hymne pour les marches des Droits Civiques.

Pour faire bref, on pourrait résumer le propos de Seeger et Hays ainsi : « réappropriez-vous vos outils et votre culture pour travailler à l’élaboration d’une utopie dès maintenant« . On comprend alors que dans l’Amérique du McCarthysme, la chanson eut un peu de mal à percer.


Chantée par deux légendes du Folk : Pete Seeger (qui comme à son habitude fait chanter tout le public) et Arlo Guthrie.

La question, dès lors, est de savoir comment Claude François et ses parolières (Vline Buggy) ont pu transformer un hymne progressiste en une ritournelle niaise et réactionnaire. D’abord, la dimension universaliste de l’amour entre tous les frères et les soeurs laisse place à un recentrage individualiste sur « mon père, ma mère, mes frères et mes soeurs ». Ensuite, alors que le tournant du texte original se situe dans la prise de conscience que tous les éléments qui permettront de travailler à l’utopie sont déjà à notre disposition, cette dimension disparaît totalement dans la version française, qui reste coincée sur son « si j’avais ». Enfin, et on peut sans doute y voir un résumé de toute la transformation du texte avec la traduction, le « marteau de la justice » américain devient un banal et triste « marteau du courage ».

Le résultat de toutes ces transformations, c’est une scène de champ bien niaise où le chanteur se rend compte qu’il est quand même bon de travailler la terre entouré de sa famille, en chantant des chansons. Retour à la terre, travail, famille… On n’est pas bien loin du pétainisme bon teint !

Qu’il est triste, le destin français de cette chanson pourtant porteuse d’espoir ! Malgré la trahison honteuse de quelques yéyés qui avaient semble-t-il laissé leur conscience politique à la maison le jour où ils se sont attelés à la traduction, on se remontera quand même le moral en se rappelant que son destin américain, lui, fut un des plus beaux qu’il soit. C’est toujours ça de pris…

Les versions conseillées par le Poisson Rouge :

  • Harry Belafonte qui amène comme à son habitude toute la chaleur des Antilles
  • L’inégalable Sam Cooke, qui se prend pour Pete Seeger et fait chanter la salle en lui apprenant les paroles en même temps
  • Martha Reeves and the Vandellas, mais là c’est pas objectif, c’est juste parce que j’aime trop Martha et ses Vandellas pour les mettre de côté… M’enfin ça reste quand même autre chose que Claude François hein !
  • Le meilleur pour la fin : la version plus que mythique de Isaac Hayes, qui clôt son concert à Watts, avec un sermon halluciné de Jesse Jackson en introduction (rien que ça !)
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3 commentaires sur “Si j'avais un marteau, je taperais sur Claude François

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