Pour la réhabiliture de la langue française

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Il y a quelques jours, nos amis d’article XI publiaient un délicieux article, qui avait pour but de pointer du doigt le vocabulaire « made in XXIème siècle », mis au point par les manageurs et autres suppôts des marchés financiers. Adeptes de la performance et de la flexibilité, fanatiques assumés de la gagne et du « call back », nos joyeux hystériques encravatés semblent avoir pris une place importante dans nos innocentes existences.

Cette élite barbare, dont la découverte de l’alphabet ne semble dater que de son intégration à HEC, construit peu à peu un langage absurde visant à réduire l’individu à sa seule capacité à « s’intégrer sur le marché du travail ». Faire absorber d’obscurs concepts aux foules pour qu’elles acceptent leur conditionnement demeure un impératif pour la survie du système.

En clair, une entité productrice doit accroître sa compétitivité par une rentabilisation dynamique de son open mind et créer ainsi une synergie structurelle qui, mobilisée sur un plan macroéconomique permettra une mobilité pour les investors, allant de facto vers une productivité plus efficace. Et vice versa, comme diraient les autres.

Face à ces businessmen convaincus, pour qui le Wall Street English est la seule référence linguistique (Shakespeare? Connais pas, non…), une autre élite se dresse, fière et droite, voire très à droite : les réactionnaires, ou néo-conservateurs, ou néo-cons plus simplement. Ces derniers sont en réalité des adorateurs absolus de la langue française, qui paraissent vivre dans une bulle culturelle hermétique dont l’horloge se serait arrêtée juste avant 1920. Après avoir joué les érudits auprès d’académiciens tremblotants, ces enragés passent le plus clair de leur temps à diffuser un discours profondément agressif au travers des médias, dont ils sont friands sans se l’avouer. Celui-ci consiste à fustiger tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à un langage populaire, ou à une évolution déplaisante de la langue française.

La sacralisation du langage telle qu’ils la revendiquent ne leur permet, au fond, que de s’entretenir dans une adoration déraisonnable du passé. L’immobilisme culturel comme seul drapeau, et la haine profonde des mouvements alternatifs en étendard, nos Zemmour, Gallo et d’Ormesson opèrent une chasse aux sorcières survoltée. En se cachant derrière une étiquette aberrante de « politiquement incorrect », les inquisiteurs menacent de grillade quiconque ferait entorse au Français.

Mais si ces élites disposent bel et bien d’une arme de domination massive à travers le langage, ne nous y trompons pas, les classes populaires, elles aussi possèdent un revers foudroyant. Rendons ainsi à César ce qui appartient à César : aux élites, l’académie française et le métrolangage, au peuple le Largomuche et le Verlan.

Car il faut bien le reconnaître, les discours amers de ceux qui ne les comprennent pas constituent une série d’échecs cuisants au fil des âges. A la tante acariâtre maudissant les jeunes en bas de la rue, et au cadre supérieur choqué par la vulgarité des piliers de comptoir, il conviendrait de répondre que l’Argot (avec une majuscule s’il vous plaît) pourrait bien leur survivre. En effet, on n’a pas attendu que la prof de Français s’insurge contre le massacre de la langue pour insulter ses potes à la récré et apprendre de vilains mots.

Alors au diable les dogmatismes étriqués, et reconnaissons une bonne fois pour toutes l’importance de l’Argot, du Louchebèm, du Verlan, de la langue verte, du jargon des gueux…

Cette importance relève d’abord de sa capacité à passer à travers les générations comme Pasqua à travers la justice. Prêtons ainsi attention au mot « blase » (le nom), utilisé par les voyous des années folles et les rappeurs des années ouf, ou encore à la « caisse », la « gova », la « tire », le « blé », le « pèze », le « fric » le « lové », les « flèches », les « flics », les « condés », les « bleus » et j’en passe, autant de termes utilisés depuis des générations pour désigner ce que la pauvreté du langage institutionnel n’a pas réussi à dire.

Ensuite, il faut définitivement le rappeler, l’Argot est une langue riche puisqu’alimentée par des mots venus de l’étranger, passés dans le langage courant. Ainsi, tous les mots au suffixe -ave, comme « chourave », « pourave », « nachave » et même « bédave » proviennent de dialectes tsiganes.
La « go », qui désigne une fille, utilisée désormais de façon ultra répandue parmi les jeunes générations provient directement du Bambara, comme le « toubib » provient des anciennes colonies ouest africaines.
Les mots issus de l’Arabe sont quant à eux extraordinairement présents parmi le vocabulaire argotique, populaire: le « bled », le « bakchich », le « flouse », le « chichon », faire « fissa »…

Enfin, et c’est là le point déterminant de sa valeur, l’Argot est une langue sans dictionnaire, sans arrêtés, sans désuétude, une langue qui évolue bien plus vite que ceux qui la parle. Malgré cela, elle répond pourtant à des règles érudites que les intellectuels eux-mêmes auraient du mal à détailler. N’importe quel mot ne peut pas se mettre au Verlan, et le Louchébèm, la langue des bouchers, peut sembler profondément compliquée à saisir. Pour parler Louchébèm, il faudra renvoyer la première consonne du mot à la fin de celui-ci, ajouter un « l » au début du mot, et un suffixe (-èm, -muche, -oc ou -es), transformant « boucher » en « louchebem ». Pourtant c’est de lui que vient le mot « loufoque » (passé dans le langage courant), ou le « larfeuille » , le « loufiat », et cet argot a été (et est encore) extrêmement parlé dans certains milieux.

Si les élites ont décidé depuis des âges lointains de mener une guéguerre ouverte au parlé populaire, qu’elles y perdent leur temps, car ce langage-là ne peut pas souffrir des malheurs des langues régionales (Breton, Occitan etc…) éradiquées au début du XXe siècle. Non, ce langage-là n’est rien d’autre que l’expression de ceux qui n’ont pas besoin de convenances, car ils sont ceux, au fond, que personne ne veut écouter.

Sergio Leone lui-même aurait pu en déduire que le monde se divise en deux mes amis, ceux qui tiennent la corde, et ceux qui leurs crachent au visage.

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3 commentaires sur “Pour la réhabiliture de la langue française

  • Avec cet article vous me donner l’impression d’opposer la langue académicienne à la lanque argotique ? Pourquoi ne pas en appeler au métissage des langues ? La langue française du dictionnaire n’est pas issu que de la langue bourgeoise, beaucoup, énormément de mots ont pour origine les vieux argots, les vielles langues d’oc d’oil, d’orient, les langues urbaines, les langues rurales … Plus de mots existent, plus nous en connaissont, plus nous nous donnons de liberté je pense.

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  • Évidemment l’évolution de la langue a toujours été le fruit d’un métissage fait d’emprunts, de transformations, comme toutes les évolutions culturelles d’ailleurs!!!! Et c’est surtout ça que je trouve absurde chez nos élites, puisqu’elles s’agitent contre un parlé populaire qui a construit leur langue. Et il en est de même pour la musique (l’extrait de zemmour sur le rap est fou!!!), le cinéma, les moeurs, les arts, les habits etc…. Il y a un décalage profond entre les élites qui se bagarrent contre des évolutions « naturelles » de la culture. Donc l’opposition est forcée, voulue de leur part.
    De la France d’en haut à celle d’en bas, il n’y a certes qu’un pas. Mais c’est un pas de géant. L’As d’M en mode lassdeg

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  • Ping : Poisson Rouge » Écouter du rap pour réviser le bac de français

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