Une société au bout du fil

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Les romanciers engagés se sont souvent consacrés au genre bien particulier qu’est le polar. Il faut dire que la montrer par les yeux des marginaux et des délaissés reste un des moyens les plus efficaces de souligner les aberrations de notre société. Ce qui est valable à l’écrit l’est évidemment pour les autres médias, et ça, David Simon et Ed Burns, les deux créateurs de The Wire (Sur écoute, en français) l’ont bien compris.

Pour eux, tout commence à Baltimore. Après son premier livre, Homicide: a Year on the Killing Streets (qui sera adapté en une série télévisée appelée Homicide: Life on the Street, diffusée de 1993 à 1999), David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun, signe avec Ed Burns, ancien flic de Baltimore, un bouquin intitulé The Corner: A Year in the Life of an Inner-City Neighborhood. Comme son prédécesseur, ce livre connaîtra une adaptation télé, avec la minisérie The Corner. Ces ouvrages abordent déjà les sujets qui seront au coeur de The Wire, à savoir en particulier la DROOOOOOOGUE et la lutte contre icelle menée par la police de Baltimore. Désireux de développer leur vision de la ville d’une façon plus poussée, Simon et Burns s’adressent à HBO (déjà productrice de The Corner), qui accepte avec réticence de produire le pilote de ce qui deviendra The Wire.

Nos dealers préférés prennent une pause bien méritée

Cette réticence sera de courte durée : là où certains auraient pu tomber dans le cliché, Simon et Burns, aidés ensuite de quelques grands noms du roman noir américain (George Pelecanos notamment) et de la télé, ont en effet signé ce qui est sans conteste une des plus grandes séries télé de tous les temps. The Wire, c’est en vrac des personnages mythiques au sens propre du terme (Omar), un scénario en béton armé, une mise en scène hyper efficace (le montage du début de la quatrième saison, comparant la réunion de rentrée des instits et des flics en est un exemple parfait), mais surtout un discours hyper-cohérent, d’une profondeur rare dans ce genre de production.

Car pour regarder The Wire, il faut abandonner toutes ses idées préconçues sur les séries policières. Ici, pas question de suivre le schéma classique du « une enquête, un épisode » : il faut au moins une saison entière (voire deux en ce qui concerne l’arc Marlo) pour finir par coincer les méchants. Ici, pas question non plus de héros : Jimmy McNulty, qui pourrait faire office de personnage principal au début de la série disparaît ainsi presque complètement dans la quatrième saison. Ici, pas question enfin de manichéisme : tous les personnages ont droit à leur part d’ombre et leur part de lumière (Wee Bey et ses aquariums reste un des personnages les plus surprenants de la série).

Omar Comin' !

Le maître mot dans The Wire c’est « contextualisation« . Chacune des saisons s’intéresse en fait à un aspect de la vie dans la ville de Baltimore. Dans l’ordre, on a donc droit a une présentation quasi-scientifique du trafic de drogue, de la désindustrialisation du port de Baltimore, du système politique, du système scolaire école et de la presse de Baltimore. Les éléments développés dans une saison ne sont jamais abandonnés et servent de base pour le développement des saisons suivantes. Les auteurs proposent ainsi à la fois une immersion totale dans l’univers de leurs personnages et une réflexion importante sur ce qui fait qu’une ville est une ville, sur les mécanismes à l’oeuvre dans l’évolution des individus au sein de ce qui finalement devient presque un organisme vivant : la ville de Baltimore. Et le moins qu’on puisse dire c’est que le propos des auteurs n’est pas très optimiste : même les personnages les plus puissants et les plus indépendants finissent brisés, pris dans les engrenages du système, ou du « game », puisque c’est ainsi qu’il est présenté.

En élargissant leur propos jusqu’à en faire cette fresque géante retraçant la mythologie d’une ville, Simon, Burns et leur clique n’en oublient pas pour autant de donner de l’épaisseur à tous ces personnages que l’on croise au fil des cinq saisons. On finit littéralement par avoir l’impression d’avoir passé notre vie avec chacun, et Dieu sait pourtant sils sont nombreux : entre les flics, les politiques, les dealers, les journalistes, c’est une sacrée galerie de portraits qui est dressée par les auteurs. Cette proximité avec les protagonistes est l’autre élément clé qui fait de The Wire une série à part dans le paysage télévisuel. C’est aussi ce qui permet de faire passer un message hyper pessimiste avec une facilité et une légèreté assez déconcertantes, en apportant des touches d’humour bienvenues tout au long des 60 épisodes, comme la fameuse « fuck scene », qui restera sans doute parmi les moments les plus drôles de la télévision.

Petit oiseau deviendra grand

Il est très frustrant de parler de The Wire avec des gens qui ne l’ont pas vu, tant cette série est marquante et difficile à partager sans verser dans ce qui pourrait sembler de l’extérieur comme du fanatisme primaire. Ce qu’il faut savoir cependant c’est que plonger dans le monde de The Wire, c’est vivre une expérience pour l’instant sans équivalent, qui éclaire non seulement sur les mécanismes de la société américaine, mais aussi plus largement sur ce que cela signifie de vivre dans une métropole au XXIème siècle, avec un recul et une clarté de point de vue impressionnantes. Bref, une série à voir absolument.

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5 commentaires sur “Une société au bout du fil

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