Des yeux et des oreilles

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« En plongée » ordonna d’une voix assurée le capitaine tandis que le sous marin, battu par les vagues froides de la mer du Nord, tanguait comme un beignet dans son bac à huile. L’opérateur radio, engoncé dans son habitacle en acier, soupira, cala ses écouteurs sur les oreilles et murmura entre ses dents : « Le vieux perd la boule, on aura jamais assez d’oxygène pour tenir. Et dire que j’ai laissé mon boudin anti stress à Hambourg. » . Ecroulés sur leurs couchettes graisseuses, les manœuvres dormaient dans le poste d’équipage, bercés par le ronronnement des moteurs électriques alors que le fin trait d’acier du sous marin s’enfonçait dans les profondeurs de la mer.

Please allow me introduce myself, comme le chantent les Stones sur Sympathy For the Devil, ça me semble la moindre des choses. Je suis Marc Pondruel, apprenti écrivain, amateur de vodka caramel et fervent lecteur de Jack London. J’ai rencontré un vieux copain ( faut-il le nommer ? ) sur le stand du salon du Livre de Paris où j’étais en dédicace pour un recueil de nouvelles édité par la Sorbonne, et qui m’a proposé de rejoindre l’équipe du Poisson Rouge en lançant une nouvelle rubrique, plus axée littérature. J’ai un peu réfléchi, puis je me suis dit que c’était une chouette idée. « Art et Littérature » sonnant éminemment peu sexy ( ce vieux copain a peu de cheveux mais un joli sens de l’esthétique ) nous sommes partis sur un thème plus poétique, et il s’avère que celui du sous marin me convient assez bien.

Un sous marin ca plonge, ca zigzague, ça évite les mines et les opinions toutes faites sans contourner les sujets. L’opérateur radio du sous marin capte tous les bruits de l’extérieur, déformés par l’eau et la profondeur. C’est cette déformation qui est récit, est poésie, est écriture. Elle est pour moi le résultat de cette friction du monde, les pelures qui restent sur la table après un voyage, une découverte, une lecture formidable.

Comme dans un sous marin, je vais vous proposer chaque semaine ( le dimanche soir à priori) une plongée en eaux claires ou plus troubles, avec lancers de torpilles à gogo et secousses de l’extérieur vrillées dans les oreilles. Le dimanche soir est un soir assez creux, où l’on zone sur Facebook en mode Bob l’éponge en flippant du lundi matin 8h. Donc je vous propose des pastilles de décompression, comme autant de moments suspendus, vécus, imaginés. Cela prendra la forme d’un rendez vous de poésies, de textes courts tous personnels, issus de mes carnets de voyages, de mes notes, réflexions prises sur le vif à New Delhi ou à Friville-Escarbotin ( Picardie ), mais aussi mes nouvelles de fictions, pour la première fois mises en ligne.

J’ai vu Barhein et ses bateaux de brouillard
Surgir du soir
Et ses filles voilées qui rigolent
En douce

Et j’ai vu les trains de marchandises
cahoter vers Bombay
Des voltigeurs s’élançant entre les
vendeurs ambulants.

Le submersible sera noir, rouge, jaune ou de n’importe quelle couleur, cela dépendra des stocks de peintures laissés par l’armée allemande lors de sa fuite de l’immense base sous marine de Lorient. De L’Orient-Express.. Car notre brave sous marin de poche va vous emmener plutôt loin, en Inde, aux Etats Unis, en Islande visiter les sources d’eau chaude, puis les golfes de la mer de Barentz, qui abritent la rouille tranquille des sous marins russes joyeusement abandonnés. Un peu le cimetière des éléphants.

Sur la place Rouge il y a le Goum
Et les petits soldats du Kremlin
qui regardent défiler les pubs Nikon

A coté dans un square il y a deux types
Qui se réchauffent sur un vieux brasero
Et devant l’Hôtel Ukraine la statue de Lénine
Regarde ailleurs.

On saisit ses bouteilles d’oxygène, on largue les amarres. Kiss your girl goodbye. Au cours du voyage à bord du fileur éternel des immobilités bleues ( Rimbaud ), nous monterons à bord de plateformes peuplées d’hommes étranges aux visages défigurés du masque visqueux du pétrole qui leur colle à la peau, loin très loin en mer, mais nous rencontrons également de jolies indiennes aux nœuds rouges dans les cheveux longeant des trains indiens poussifs et lumineux, Bob l’éponge, Zelda la serveuse amoureuse du Great Lakes Diner, et la douce Ophélie de Shakespeare descendant d’un filin d’hélicoptère, un fusil automatique en bandoulière, suspendue au dessus des méandres de la mer.

J’ai connu trois filles
Ophélie Cordelia Iphigénie
Trois muses des temps anciens
En armes automatiques.

Comment dire ça ? L’écoutille du sous marin est grande ouverte aux filles. Dans le sens où ce que je souhaite mettre en mouvement n’est pas une rubrique pour vieux garçons qui fantasment sur les tanks et les uniformes, individu que j’ai toutefois pu être entre douze et quatorze ans et demi. C’est un sous marin hérissé de doutes mais désarmé des références boum boum que je veux mettre à flot, dont les moteurs Diesel vont carburer à la poésie et à l’imagination.

Le soleil cogne sa tête chauve
Au bord de ma fenêtre
Il grimpe agile sur le mur
Où il dégouline lentement
Jaune d’œuf sale sur la façade.

Les anti-guerre me fatiguent, les pro-guerre me soulent. Le sous marin sera alors une carapace, une protection, un rendez vous si vous le voulez bien du dimanche soir, mais surtout une ouverture proposée au monde.
Ah, un mot encore. Par temps clair, les sous mariniers accrochent leur bannière, au plus haut du navire, sur l’antenne radio, pour éviter d’être transformés en pâte à pizza par les bombardiers. Sur notre engin flottant, pas de drapeau, ou si peu. Peut être un vieux mouchoir rouge décoloré, puant le sel et l’eau de mer, foutu en boule dans un coin de la passerelle, servant à briquer le vieux bateau avant son retour au bercail. Il s’agit d’un enthousiasme neuf, à l’aune de ces vers de good old Rimbaud :

Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie.  — Ô Rumeurs et Visions!
Départ dans l’affection et le bruit neufs!

Et pourquoi pas de Lady Gaga :

I’m not lying I’m just stunnin’ with my love-glue-gunning

Ah, oui. Quant au titre de la rubrique, Des yeux et des oreilles. Dans le sous marin, l’opérateur radio est souvent considéré comme les yeux et les oreilles du submersible. Non que je me prévale du titre ridicule et pompeux de l’homme radar du Poisson Rouge. Mais l’idée est bien de lâcher la crispation du monde et des brèves journalistiques, sans la laisser s’échapper des mains. D’envisager la déformation de l’eau et de la poésie passing through it. Le grand reporter de guerre polonais Ryszard Kapuscinski précise qu’il a commencé à s’intéresser aux infos comme poète, à imiter Maiakovski. La poésie et la littérature comme essai de révélateur ( au sens photographique ) de la rumeur du monde. Voilà, vous savez à peut près tout. A la semaine prochaine !

Marc Pondruel
http://pondruel.wordpress.com/

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Un commentaire sur “Des yeux et des oreilles

  • Voila un Uboot qui vas changer le statu du poisson =)

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