Un sac de billes et du champagne, soirée au salon du livre

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Sur mon carton d’invitation, il y avait écrit: Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République (merci du rappel) vous prie d’assister à l’inauguration du salon du livre , le Jeudi 17 mars 2011 à partir de 17h.
J’aurais dû me méfier, ça sentait mauvais dès le départ. Etre invité par le Nabot-Léon national en personne, ça craint. Mais bon, que voulez-vous, quand on est mandaté par une équipe de rédaction (j’ai nommé le poisson rouge) pour faire du reportage, on y va sans sourciller. Et puis, il faudra quand même se l’avouer un beau jour, l’immense majorité des gens qui assistent à la grand messe des littéreux, y va pour s’enfiler des coupes de champagne et profiter des petits fours. Alors pourquoi pas moi?

Etrange mélange, ce salon du livre. J’avais des tonnes de clichés en tête avant d’y pénétrer. Je ne les ai plus quitté depuis. Au milieu des vestes en tweed et des fumeurs de pipe, j’avais un peu l’air d’un étranger, d’un marginal, avec ma clope roulée et ma paire de baskets. Loin de moi l’idée de vouloir séduire tout ce beau monde, mais tout de même, si j’aurais su, je m’aurais mieux vêtu.

Car au salon, on ne badine pas avec le style, c’est une certitude
. En fait, c’est même à cela que croient se reconnaître les bons auteurs. Plus ils sont branchés, odieux, plus ils pensent que leurs bouquins leur vaudront le Goncourt. Ainsi, n’est il pas délicieux de porter un costume Versace avec une broche Winnie l’Ourson? C’est exquis en effet, mais bien moins qu’un teint livide assorti de lèvres rouges sang, façon Nothomb ou Burton. Imaginez ce genre d’individus aboyant leurs exploits à qui veut l’entendre, une coupe de champ’ à la main, et vous pourrez sensiblement toucher du doigt l’ambiance insupportable qui régnait jeudi soir.

On voit ici défiler des ambitieux, des prétentieux, des jeunes écrivains poétant plus haut que leur cul, des bourgeoises en fourrure qui sentent le whisky, des éternels parasites dont on ne sait plus le nom, et des huiles de toutes sortes qui dégoulinent d’une puanteur qu’ils appellent culture. On se sert la main, hypocrite, ou on se fait la bise en gloussant, enorgueilli par son chapeau melon et son blouson rétro. Une question me vient subitement à l’esprit: où s’arrête le rétro et où commence le ringard? Passons…

Triste spectacle donc, absurde, qui n’a rien à envier à celui d’une pièce de Tchekhov ou pire, à celui d’un aquarium ou l’on enfermerait quelques piranhas prêts à s’étriper à la moindre occasion, dès que les politesses auraient cessé. Heureusement qu’un bon ami, alcoolique de son état, parvenait à me distraire avec quelques blagues de très bon goût. Pour ce jeune auteur inspiré autant qu’imbibé, et qui vient de rejoindre l’équipe du poisson rouge, je tenais à faire une mise en garde. Attention compagnon, car c’est en écrivant qu’on devient écrevisse! Il ne pourra pas dire qu’il n’était pas prévenu.

Las de toutes les délicatesses d’usage qui auraient pu maudire ma soirée si elle n’avait été abondamment arrosée, je décidais de me perdre un peu dans les recoins les moins fréquentés du salon. Après avoir marché dans les allées étroites et bouillonnantes, je distinguais un vieil homme tenant sa plume, courbé sur un coin de table encombré. « C’est Joffo!!! » m’écriais-je… Joseph de son prénom. Uncle Joe pour les nostalgiques. Si vous vous souvenez de votre école primaire vous remettez forcément le personnage. Sinon cela voudrait dire que votre maîtresse de CM1 a failli à votre éducation, et ça, je ne peux pas l’admettre. Allons, nous avons tous été confrontés un jour ou l’autre à la lecture d’ Un sac de bille, l’épopée de ce petit garçon juif à travers la France occupée. En réalité, ce fut d’ailleurs le premier contact avec la littérature pour beaucoup d’entre nous je crois.

De cette autobiographie, le vieux Joseph en a fait une légende, un livre traduit dans toutes les langues du monde, et pour cause: ce récit très personnel a plus d’accents universels que les directives du FMI.
Face à lui, j’étais ému. Un peu comme un gamin (ivre mort, certes, mais laissons la beauté de l’image l’emporter sur l’alcool pour une fois) qui retrouverait un vieux jouet oublié dans un fond de tiroir. Je m’approchais la larme à l’oeil pour saluer l’homme, essayant de répéter LA formule qui ferait de moi le personnage dont il se souviendrait pour le reste de ses jours.

« Monsieur Joffo, bonsoir, je suis très touché de vous rencontrer, vous savez, car j’ai lu un sac de billes étant petit, et je ne pensais pas pouvoir un jour vous parler. Merci pour tout ce que vous avez fait pour notre génération, c’est extraordinaire ».

Pensez-vous, le vieux coquin n’en avait que faire, de mes révérences exhibitionnistes. « Si vous avez aimé le premier, vous adorerez le deuxième » me répondit il crument. « Ca s’appelle Baby-Foot, ça fait 270 pages, y’en a même plus que dans Un sac de billes! Et là, on le vend pas cher, on le vend à 10 euros pour l’occasion, et je vous fais une signature en prime! »

Quoi? C’est tout? Moi qui m’attendais à un peu plus d ‘émotion. Mais que voulez-vous, Joseph reste Joffo, et son histoire de survivant lui a certainement forgé un caractère direct, sans pirouettes ni pincettes. Et puis, je dois avouer que sa façon de vendre ses livres comme un poissonnier paraissait tellement authentique, et simple au milieu de ce carnaval de courbettes et de sourires complaisants. Chapeau l’artiste, tu les auras tous!

Un autre homme, la quarantaine, se présentait alors: «  Monsieur Joffo, je tenais à vous dire une chose: j’étais au collège à l’étranger, en république tchèque. Et bien sachez que nous avons appris à lire le Français dans Un sac de billes. Vraiment je suis très ému ».

« Ah vous aussi? Voyez, ça fait trois générations qu’on me dit ça alors je commence à être habitué! Si vous avez aimé le premier, vous adorerez le deuxième. Ca s’appelle Baby-Foot, c’est encore plus long qu’un sac de billes, et là on vous le vendra pour 10 euros si vous l’achetez. Je vous le dédicace en prime! »

Joffo m’aura beaucoup fait rire ce soir. Je le quittais avec le sentiment d’avoir vu le seul et unique bonhomme normal de la soirée, les pieds bien ancrés dans la terre et prêt à dégainer la plume pour quelques euros. Génial. Après plusieurs heures passées et quelques verres de trop, je rentrais chez moi l’âme éruptive, maudissant ce petit monde fermé, sauvage, usurpateur. Un peu à l’image du monde que l’on connaît en fait, avec ses grands, ses faibles, ses mépris et ses marginaux. Tant pis, j’y retournerai l’année prochaine, et cette fois j’irai en survet’, juste pour emmerder la haute société. D’ailleurs, je me demandais, où s’arrête le survet’ et où commence le pyjama…

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Un commentaire sur “Un sac de billes et du champagne, soirée au salon du livre

  • Et puis, il faudra quand même se l’avouer un beau jour, l’immense majorité des gens qui assistent à la grand messe des littéreux, y va pour s’enfiler des coupes de champagne et profiter des petits fours. Alors pourquoi pas moi?
    Les convictions?
    Le survet, c’est comme le short, il devient pyjama quand on le détourne de son usage premier.

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