L’identité vue de ma fenêtre: racisme au pays des santons

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Ça commence dans ma rue. Depuis plusieurs jours je suis dans le sud de la France. Un beau pays, trempé de soleil et venteux. Pas étonnant qu’il en ait inspiré plus d’un, le pays, de Giono à Mistral ou Cézanne, il a connu tous les poètes, les peintres, les musiciens et les conteurs. Il faut dire qu’ici, il fait bon réfléchir, observer, prendre le temps et méditer. Il fait aussi trop chaud, voilà l’excuse. Lever le petit doigt relève désormais de l’exploit, et il est préférable de rester allongé, le nez au ciel et le pastis en main, à penser. Penser à tout, ou rien, c’est selon l’humeur. Pour certains en tous cas. Car pour d’autres, le soleil tape si dur et le vent souffle si fort qu’ils semblent leur ramollir profondément le peu de cervelle que la nature leur concéda jadis. Foutu pays, maudite ville, satanée rue, connards de passants.

Le matin, j’ouvre mes volets sur les toits de ma ville. Du haut de mon cinquième étage je n’entends que quelques vagues échos de la vie du dehors, des rires, des pleurs, des gamins qui courent et des chiens qui aboient. La vie normale quoi, ni plus ni moins. Pourtant aujourd’hui, une dispute semble se jouer juste sous ma fenêtre, et des bribes d’insultes me reviennent par morceau. On est ici bien loin de Pagnol, des « Escartefigue », « fan de courge » et autres mots gracieux. Non, aujourd’hui, je distingue plutôt des « connard », « salope », « je t’encule » et « descends si t’es un homme ». Toute une histoire.

Partie de cartes, Marius

Partie de cartes, Marius

Ça commence dans ma rue. Une dame est passée à hauteur d’une autre je crois. Elles se connaissent visiblement. La première est grosse, la deuxième aussi. Elles se sont saluées je pense, comme il se devait, et ont entamé un brin de conversation, parlant du temps qu’il fait, du marché qui se tient plus haut et d’autres banalités peu encombrantes. La première porte le voile, la deuxième non. Un type, la trentaine, est accoudé à sa fenêtre au dessus d’elles, et les écoute. Soudain, la dispute prend forme, quand l’une s’adresse à l’autre avec ces mots : « Ecoute, tu sais qu’ici on est en France, alors s’il te plaît parle français ! ». Son accent mielleux et hypocrite aurait presque pu faire passer cette pique pour une boutade, mais assurons-le, il n’en est rien.

L’homme à sa fenêtre explose: « C’est pas vrai ça, espèce de raciste, t’as pas honte de dire ça ? »
L’autre: « – Hé ho, de quoi je me mêle con, je dis ce que je veux quand même, je suis chez moi ici
-Et alors, elle aussi elle est chez elle non ? Alors pourquoi tu dis ça, salope ?
-Mais c’est pas vrai ça, reste poli tu veux ? Je t’emmerde, ça te regarde pas ce que je dis
-T’y as de la chance que je sois là haut, parce que sinon je t’encule tu sais ça ? Raciste va, casse toi.
-Et ben descends si t’es un homme, connard va. C’est pas vrai ça, on a plus le droit de rien dire, on se sent plus chez nous ici hein. »

Que c’est beau la France, que c’est beau le vivre ensemble, dans ma rue Jean Jacques Rousseau le symbole me pique le coeur. Merci à vous, monsieur Zemmour, d’avoir permis aux imbéciles de croire qu’agresser un citoyen quant à la couleur de sa langue, était un acte de résistance contre l’ordre moral.

Pourtant, si mes souvenirs sont exacts, il avait connu toutes les conquêtes, le pays. Tous les maquis, toutes les communes, toutes les révoltes et tous les peuples. Italiens venus à pied de Calabre pour sortir de leur misère, républicains et anarchistes espagnols cherchant le répit de la dictature et du fascisme, et enfin Algériens débarqués depuis Marseille pour grossir les rangs des ouvriers du coin. Ritals, Espingouins, Zarabes, auxquels je donne une majuscule sans hésiter, sont l’unique histoire glorieuse de ce pays sec et chaud, ou les hommes, malgré leurs yeux plissés et leurs peaux brunies se croient plus français que le roi.

L’identité, ce gros mot, cette salade, assaisonnée à tous les goûts, et surtout aux amers, est définitivement un problème pour nous tous. Nous l’avons laissée depuis trop longtemps en pâture aux idéologues d’extrême-droite, croyant au plus profond de nous même que jamais ceux-là ne pourraient ressurgir. Et pourtant, le loup était dans la bergerie pendant toutes ces années, prêt à sauter à la gorge des idéaux dès que l’occasion s’en présenterait. Dans ma rue, on s’insulte, survoltés par des discours haineux entendus la veille à la télévision, sous couvert d’identité. Merci.

Mais qu’est ce que l’identité ? Cette fameuse notion qui semble nouvelle aux yeux de beaucoup, théorisée par les mouvements d’extrême-droite depuis les années 70, relayée par le pouvoir depuis les années 2007. Les fachos fâchés adorent en parler, les gauchos gâchés en ont toujours eu peur, à tort. J’ai lu un livre, récemment. L’illusion identitaire, de Jean François Bayart. Livre indigeste pour universitaires acharnés, il aborde pourtant de manière très progressiste cette question épineuse.

Au commencement était la mondialisation. Destructrice en bien des points, elle a pour caractéristique de tendre à une uniformisation des différentes cultures. Ainsi, le cinéma, la musique, les médias, ont permis au monde entier de cultiver les mêmes références, les mêmes œuvres, les même modes de pensée. Prenant peur de cette uniformité rampante, de cet « effacement des différences » certains mouvements politiques ont eu pour réaction de prôner une identité forte des peuples. On voit donc apparaître une notion de culture figée, aux contours bien définis, en réaction à la mondialisation. Certes, les Français boivent du vin rouge, le Marocains mangent du couscous et les Japonais sont indestructibles…

Jean François Bayart

Jean François Bayart

Pourtant, et c’est ce qui devient intéressant quand on s’attarde sur la question identitaire, il faut savoir une chose importante: tout ce qui est censé caractériser un type de population relève de l’invention la plupart du temps, ou plutôt de la « réinvention de la différence ».

Car les mouvements réactionnaires qui ont eu peur de perdre leur identité s’en sont inventés une nouvelle, en prônant des traditions qui n’existaient pas. Voilà pourquoi il est absurde de revendiquer une identité figée, car en plus d’être réellement dangereuse, elle est en plus mensongère. Quand on s’engueule dans ma rue au sujet de sa langue, on se trompe : car les habitants du sud de la France ne parlent français que depuis le milieu du XIXème siècle !!! Avant que la République ne passe par là, on devait sûrement entendre dire « Aqui sies en Prouvenço,  alor parla me Provençau !».

L’identité est donc bien une supercherie destinée à nous dresser les uns contres les autres, à nous différencier à la moindre occasion. Notre identité passe plutôt par différents niveaux : blond, marseillais, sportif, musicien, homo, communiste, noir… C’est un mélange de plusieurs caractères que l’on utilisera de manière différente dans différentes situations pour se définir. Il n’y a pas plus d’identité nationale que de talent chez Mireille Mathieu, soyons en sûrs.

Mon identité à moi, entre ces lignes, c’est d’être un Poisson Rouge qui cherche sans relâche à sortir de son foutu bocal. Et bordel, qu’est ce que c’est dur!

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6 commentaires sur “L’identité vue de ma fenêtre: racisme au pays des santons

  • Et la question sociale dans tout ça mon coco?
    C’est joli, c’est beau, c’est pas vérifiable. Je pourrais quasiment écrire la même histoire avec un pote qui en trahi un autre, et dire que tout les potes sont des traîtres.
    Heureusement je ne le fais pas, parce que la trahison, au même titre que l’identité c’est une question sérieuse. Qu’il ne faut pas livrer en pâture, bien sûr, à l’extrême droite, mais pas non plus à la bonne raison crochue et cramoisie de la petite, toute petite gauche française.
    La question sociale, c’est le pas important pour la compréhension du phénomène.
    Je convoque Michéa, sa bibliographie, un peu de Rousseau justement (à défaut d’y habiter il faut le lire), et Hegel (vaste mais essentiel sur le déterminisme).
    Si malgré tout les choses ne sont pas encore claires: débat à poursuivre.

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  • En fait l’idée que je voulais exprimer est loin d’être celle que tu semble avoir perçue. si c’est pas clair je m’en excuse. Il ne s’agissait pas de faire de généralités sur les provençaux, bien au contraire, car ce serait déjà adopter une rhétorique identitaire. En revanche, pointer du doigt ce paradoxe de la langue me paraissait judicieux dans ce cas présent, car j’ai trouvé ahurissant qu’une bonne femme revendique haut et fort une identité erronée. Comme d’hab en fin de compte…
    Pour ce qui est de la question saociale, si je crois comprendre où tu veux en venir, sache que je suis d’accord avec toi: il faut répondre aux thématiques identitaires par des thématiques sociales, c’est une certitude. Mais ici je voulais au contraire m’attaquer frontalement à la question de l’identité, que les différents courants de gauche ou d’extrême gauche n’abordent pas facilement. A force de se taire, on fini par laisser des concepts nauséabonds se développer partout. Alors que sur cette question là, les arguments ne manquent pas quand on se penche dessus. Quand Zemmour dit « il n’y a plus d’intégration en France », on doit pouvoir lui répondre que c’est faux, que l’école publique continue d’être efficace malgré tous ses défauts etc… L’idée c’était de démontrer que les arguments identitaires sont FAUX, et ce même dans leur propre logique. Edwy Plenel l’a d’ailleurs très bien dis récemment; l’identité pourrait être positive, perçue comme qqchose de mobile, de changeant, à l’inverse des visions figées qu’ont développé ces dernières années les culturalistes. Au contact des autres, on en fait tous l’expérience, notre identité se transforme, et c’est tant mieux!!!
    Pour le reste, Hegel, Rousseau, Zadig et Voltaire, je tiens à rappeler que ce blog n’a pas vocation à faire de l’étalage de culture confiture (institutionnelle j’entends), qui, rappelons le, est l’apanage du dominant sur le dominé. Il n’a pas non plus à devoir justifier de ses sources à tous prix: je ne me revendique pas comme journaliste scientifique, au contraire, je les emm… même si vous voulez savoir. L’anecdote à des avantages que personne ne soupçonne. Moi elle me permet d’écrire. Et puis, si j’avais voulu faire une fiction, j’aurais manié mes mots avec plus de finesse, de manière à ce que les esprits (ô combien plus larges que le mien) s’en rendent compte. Et tout compte fait, si cette anecdote n’est pas vérifiable, tant mieux! Chacun y verra ce qu’il veut, mon but n’est pas de retranscrire la réalité telle qu’on la voit dans les médias de masse, mais telle que je l’apprécie, à ma façon. Débat à suivre, cher olivier

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    • Dire que Rousseau et Voltaire renvoient à la « culture institutionnelle, celle du dominant sur le dominé  » est une énormité. Est-ce que cela signifie que les gens des classes populaires seraient condamnés à se contenter du rap et de « The voice » ? Ou de Johnny Hallyday ? Pure démagogie. Quant à la question de l’identité, tout dépend de la façon dont on la pose. On peut très bien la poser de manière à rassembler et non à diviser : François Villon, Hugo ou Ravel appartiennent aussi bien au Français d’origine bretonne que nord-africaine ou chinoise etc…Il me semble que vouloir chasser le mot identité du débat est un cadeau que vous faites au FN, car il serait possible de penser ce mot non sur des bases ethnicistes ou religieuses faites pour diviser mais sur des bases culturelles et historiques susceptibles de rassembler toutes les couches de la population sans tenir compte de leurs origines.

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  • mes chers amis lma questions est bien plus profonde que celà;car l’identité,la question sociale ;l’appartementisme(si celà se dit) le rejêts le dégoût la haîne ;l’amour etc tout celà ne sont que des branches d’un problêmes bien plus profond;car si tout ceci a pris jours en des temps que l’on ne sait plus compter (car celà ne remonte ni AU 19èm » ou 13ème siècle)ceci est u problème qui a tjrs exister il me semble se déguisant sous diverse esquisse et masque;ne serai-ce là pas ds le fond oui une question identitaire mais pas d’appartenance pour se définir à quelque chose ou un groupe ms plutôt une question identitaire relié intimement et profondement à la peur de l’origine et l’originel coincé quelque part au plus profond de notre être le mal de Vivre ds la matière nous êtres immatériel à la base;ceci n’est ds le fond que des cris desespérés pour la recherche de la raison de notre présence içi bas qui a évoluer pour rendre plus simple cette tristesse et incompréhension;l’homme aillant tjrs eu besoin de rationnaliser toute chose;de la question originelle à travers les années l’humain ne serait-il pas passé à la question existancielle et d’appartenance non plus fictive ms belle et bien palpable visible et pensable??faciliter et éclipser la vérité a tjrs était notre fort et par cette solution de substitution il l’a adapté partout alors au final qu’est-ce l’appartenance?une sacrée blague les amis!!car au final on née seul;on pense seul on grandit seul,on expérience seul et on fini par mourir seul..qu’est donc l’appartenance une accompagnatrice pour se sentir moin seul et moin con;mais il n’y a rien de réel dedansce n’est qu »un grd mensonge et une excuse qui au cours du temps a était utilisée pour créer le monde ds lequel on vit..

    -un lecteur qui passé par là-

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  • ET bien, pleins de choses exposé dans ces coms. C’est très intéressant. Cher Ozmoz ton petit passage est trés agréable, très nihiliste et très perché j’adore. Hésite pas à nous faire part de tes avis et pensées. Pour le reste, sans jouer la solidarité à tout prix entre auteurs, je pense que l’anecdote est une bonne base de réflexion, à partir du moment ou on essaye pas d’ en tirer des généralités mais simplement lorsqu’on l’utilise pour illustrer un propos. Pour ce qui est de l’identité Nationale, je l’ai toujours considérée comme un gros mot. En effet pour les gens qui voyage un peu en France, on se sent rapidement l’étranger du coin si on ne se référre cas la langue ou au us et coutumes, lorsque l’on se retrouve face à un chti’mi ou un paysan de l’aveyron : on capte rien. CE qui est drôle lorsqu’on prend en compte que la définition de l’identité Nationale que l’on nous vend, c’est que les CHtis semblent avoir plus de points communs avec les belges que les Landais qui eux semblent avoir plus de points communs avec les basques Espagnoles! et pourtant ils sont tous Français.
    Tout ça pour dire que leur concept d’identité Nationale n’est qu’une farce qui a mal tourné, initialement pour flatter les électeurs du front nationale fraichement acquis par l’UMP, elle a en faite renforcé et accentué la progression du FN: en gros retour à l’envoyeur.

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  • Yes old boy, John D je trouve frappant ton exemple sur les liens internationaux: effectivement on peut dire qu’il y a plus de rapports culturels entre les basques français et les basques espagnols qu’entre les ch’tis et les basques français. Preuve incontestable, il me semble, que les frontières sont arbitraires, toutes autant qu’elles sont, et qu’elles n’ont de sens que celui que les états (beurk?) leur donnent. Bref! Ceci dit, et c’est là ou la question « identitaire » est intéressante, j’essaye de comprendre pourquoi la notion d’identité est forcément aujourd’hui synonyme de territoire, de géographie, de sang et de culture . Car là ou Olivier pose la bonne question, c’est de savoir si au fond les liens qui unissent les individus ne devraient pas plutôt être sociaux que territoriaux: Un ouvrier basque est-il plus proche d’un grand actionnaire basque que d’un ouvrier ch’ti? Je ne crois pas… En fait, je pense qu’une bonne esquisse de conclusion pourrait être celle là: le sentiment même d’appartenance à une identité est profondément déraisonnable, car trop de caractères et de notions se confondent. Quel caractère devrait prédominer sur les autres? La seule identité que l’on peut dessiner est en fait celle d’un individu, et encore. Et puis, il est vrai que l’identité est une construction très récente qui en fait pousse chacun à définir les autres dans des cases ethnicistes, préconçues etc… Outil dangereux d’un système politique qui noie la question sociale dans de vulgaires mensonges.

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