Bleu falaise

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Klong… Klong…

Lentement, notre sous marin refait surface, balloté par les flots de la mer du Nord.  On a quitté la Tamise, assez soupé du mariage de Kate Colgate et de Willy-le-chauve. Même si la reine était très chouette en jaune poussin et que le capitaine a eu petit frisson le long de l’échine lorsqu’a resonné, dans la vieille cathédrale, le God Save the Queen. Que voulez-vous, le vieux loup de mer est un  sentimental.

L’eau est plus froide tout à coup, on voit aux jumelles  approcher de petits chalutiers aux noms imprononçables. Sur la côte, s’alignent des maisons rouge et blanches. L’heure de refaire le plein de mazout, de sortir du submersible se dégourdir les pattes et de prendre un bon bain dans l’eau brûlante des sources naturelles. Ouais, l’heure est à l’Islande. Le temps d’un mois, entre les États-Unis et l’Inde, votre dévoué serviteur y a posé ses casseroles, ses doutes et sa tente. Et sur le papier, autant de lignes écrites, le soir, le matin, dans les bus, en essayant d’être au plus près du mouvement de la route, le plus fidèle possible à l’humeur du moment.

J’ai eu cette image aujourd’hui, peut être un peu naïve, que le travail d’un écrivain voyageur est simplement d’essayer de chopper des bouts du réel, comme une cuillère à glace peut arriver à détacher des copeaux de glaces à la vanille du fond du pot. Copeaux de réalité, d’instants dérobés, conservés, non dans du formol, mais frétillants encore sous le sévère microscope du présent. Mais au diable le formalisme.  En route !

Les yeux rougis par le vent, les pieds glacés, quinze kilos sur le dos. Le regard rivé sur la boue devant soi, le corps jeté en avant dans l’effort. Soudain, on relève la tête : un drôle de bleu à l’horizon, trop bleu pour être le ciel. Sur la falaise dentelée, les mouettes tourbillonnent, on en oublie les chaussures trempées, le pull qui colle à la peau de sueur froide, car la mer clapote gaiement en contrebas.

L’Islande, au douzième jour de marche. On est parti, après des mois de métropolitain parisien, avec en tête cette vague promesse, répétée dans un petit café du port de Reykjavik, de ne prendre le car ramasse-éclopés, qui fait le tour de l’ile, seulement quand on en aurait eu notre dose, de paysages désertiques, de coulées de laves solidifiées, de sources d’eau chaude et d’islandaises en goguette.

On a rapidement quitté le cercle d’or et ses ribambelles de cars, gros poissons déversant leurs entrailles colorées sur le parking, gosses criards aux anoraks jaune fluo, cadres en excursion sous leurs casquettes rouges, retraités bardés d’appareil photos, c’était pas tellement pour nous, sales gosses attirés comme des moustiques par la lueur de l’imprévu.

Dans les banques islandaises, le café est gratuit donc évidemment on squatte au maximum, on prépare des questions bidons pour rester le plus longtemps possible près du radiateur. Mais les banquières sont malines, il faut donc jouer la montre, je consulte mes emails,  dix messages de ma copine américaine de l’époque, dont le dernier de rupture. Haut les cœurs et zippez les anoraks ! Chose à ne plus jamais faire, consulter ses emails en voyage. Ça casse la rythmique mentale du voyage et ça dézingue.

23ème jour. Nuit glaciale passée dans la tente, vers sept heures du matin je m’éveille, je pue et respire ma propre crasse dans mon duvet fermé pour éviter le froid devenu insupportable. Je n’arrête pas de penser, je viens de m’en rendre compte. Pensée qui rebondit tout le temps, qui m’évite de tourner en rond mais me dessert aussi. Jules est très méthodique, se garder un bout de pain pour le dernier carré de chocolat, gestes précis, fébriles, efficaces, il se lève direct après le repas pour aller faire la vaisselle, j’envie son coté mathématique, froid, ordonné, tout entier dans un seul geste, alors que je ne peux m’empêcher de penser, de vagabonder, réfléchir à une traduction anglaise peut être erronée d’un proverbe islandais, et wooop je renverse la casserole d’eau chaude dans l’herbe, Jules gueule, mais t’es vraiment à l’ouest. Chacun son truc. On a cet équilibre là, en tout cas, vital dans le voyage. Le lendemain, je découvre une petite église blanche et rouge avec des tombes moussues au bord de l’eau.

Le soir, sur la falaise, on plante notre tente l’entrée face à la mer. Avec la conscience heureuse, dans le ventre et dans la tête, d’une journée usée jusqu’à la trame. Demain, quand le soleil se lèvera, grosse boule pataude, on frissonnera en démontant la tente dans l’air du matin. Le voyage continuera, but on this I can’t say very much. Pour l’instant, assis dans l’herbe tiède du soir, je me dis que je ne serai bien nul part ailleurs.

Il faudrait écrire, je l’ai déjà fait, mais écrit-on jamais assez, sur l’idée toujours enivrante que le voyage change les gens, que l’on revient d’un voyage plus ceci, plus cela, plus sur de soi, comme fortifié de l’intérieur. Et je pense souvent à ces vers de Rimbaud :

Ma journée est faite ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.

Le voyage, rite romantique du passage à l’âge adulte. Plus loin, mieux dans ses baskets, en gros.

Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’oeil furieux : sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds.

C’est là où il est pleinement dans le mythe du voyage comme création d’une carapace, comme la fin d’une sensibilité si agaçante. Le masque de poussière de la route parcourue, la barbe. Enfin, la protection. Même si c’est faux, bien sur, car le voyage n’endurçit guère le caractère. Et comme le notait avec humour et effroi Thierry Vernet, grand écrivain voyageur, sur son carnet lorsqu’il passa la frontière mongole, le jour de son anniversaire, dans les années cinquante,  » les voyages forment la jeunesse, mais ils la font passer, aussi. »

Enfin, voilà. Pas très fun le prose du submersible aujourd’hui. Promis, il y aura un texte sur  l’alcool la semaine prochaine. Et par n’importe lequel,  la vodka, sous la forme d’une petite nouvelle-pastiche tout juste terminée sur la Russie, dans le style des écrivains hyper réalistes américains, dont voici les premières lignes :

Le vieux Voronoff se retourna, furieux. Serguei avait encore oublié de fermer la porte de l’étable. Il se prit la tête dans les mains : que faire de cette bande de racaille ? « Je vais vous en débarrasser » lui glissa le jeune Alessandrov. Alessandrov était un Russe blanc, de la famille de Nicolas II. Il vivait à présent dans un frigidaire, dans une cave de Moscou…

Et comme toujours, mes textes, mes poèmes ( et bientot la partie vidéo consacrée aux films dont j’ai été le ou le co-scénariste  ) sont sur mon blog

Bonne semaine !

Bien à vous,

Marc

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6 commentaires sur “Bleu falaise

  • C’est qu’on en viendrait presque a aimer Rimbaud comme ca!
    Le voyage c’est aussi se deraciner, et c’est pour ca que c’ets parfois un peu tristoune!

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  • mmmh je les ai déjà lu quelque part ces derniers vert rimbaldiens…
    Et cette nouvelle aromatisée vodka promet! vivement dimanche prochain!

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  • *vers

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  • ou verres… Qui sait?

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  • @l’as de madrid : Oui, ver(re)s luisants…
    @rémi : oui, déracinement, ou pour les plantes en pots, sans racines, la question est réglée.. Je kiffe les cactus, perso.
    @marlotte : yes! à dimanche prochain ! des surprises à gogos.

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  • Ping : Poisson Rouge » Vodka, Pouchkine et russes à couettes

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