Vodka, Pouchkine et russes à couettes

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Booooooooow ! … Boooooooow! .. Boooooooooow!

Dans le brouillard, qui soudain est tombé sur la mer, la corne de brume peut bien s’époumoner à prévenir les navires des récifs affutés qui jonchent les côtes. Mais notre sous marin, relaxé par sa cure de bains chauds islandais ( voir l’article précédent pour les moussaillons qui nous rejoignent ) , se laisse guider comme un gros cylindre patapouf par le courant. Bientôt, dans les  jumelles du guetteur se profilent les côtes fantomatiques de Mourmansk, puis c’est la mer de Barents.

L’équipage ne peut penser sans un frisson d’angoisse que c’est dans ces eaux glacées qu’en l’an 2000, le sous marin Koursk coula à pic, dans le cadre des grandes manoeuvres orchestrées par Poutine. Ce dernier n’interrompra pas ses vacances pour si peu, les médias russes le montrant, 48h après le naufrage, en bras de chemise autour d’un barbeuc’ dans sa villa cossue de la Mer Noire.

La Mer Noire.. Autre mer, autre mythe. Odessa bien sur, et ses fameux escaliers, et Sébastopol, forteresse navale, et ses petites ukrainiennes… Ah, notre submersible n’y est pas encore, car il parait qu’il y a des bases pleines d’épaves de sous marins nucléaires dans les ports top secrets de la mer de Barents… On va donc s’y arrêter un peu, tiens, même si une amie russe m’a un jour confié qu’aucun étranger ne pouvait venir y fourrer son nez. L’heure est donc à une petite nouvelle, servie autour d’une vodka caramel.

Bleu Nuit - Monument au Spoutnik

Le vieux Voronoff se retourna, furieux. Le gosse Serguei avait encore oublié de fermer la porte de l’étable. Il se prit la tête dans les mains : que faire de cette bande de racaille ? « Je vais vous en débarrasser » lui glissa le jeune Alessandrov avec une mimique de larbin. Alessandrov était un Russe blanc, de la famille de Nicolas II. Il vivait à présent dans un frigidaire, dans une cave de Moscou, action lancée en représailles contre ce soviétisme d’état qu’il haïssait :   » La Révolution est gelée« , disait-il souvent,  « gelée comme un esquimau glacé » et il pouvait alors ricaner de sa vanne durant des heures. Ils buvaient sec, tous les deux, et étaient déjà raides comme des baïonnettes.

Le vieux Voronoff clopina avec difficulté jusqu’à la chaise de jardin. Ses jambes se faisaient de plus en plus lourdes chaque hiver, et tout en s’asseyant, son beau visage slave se tordit de douleur. Il aurait voulu retrouver sa vitalité de ses 20 ans, lorsqu’il cramait au lance flamme devant la porte Brandebourg des HitlerJungen du haut de son char T-34. Plongé dans sa rêverie, il n’entendit pas Serguei qui entrait.

Serguei venait d’avoir 19 ans, il marchait avec des bottes fourrées et choppait toutes les paysannes à couettes du village. De ce fait, Voronoff le jalousait et ses poings devenaient cramoisis dès que le goss-bo entrait dans la pièce.

Serguei, amateur de meufs mais également féru de littérature, venait de dormir trois nuits dans la rue devant la statue de Pouchkine pour avoir un trombone dédicacé, et malgré sa fatigue senti la tension dans l’air du soir. Dans un auguste geste d’apaisement,  il mit un disque. La voix caverneuse d’Ivan Rebroff sortit de l’antique picked-up, bien pick-up puisqu’il avait été fauché par Voronoff chez un antiquaire de Saint Petersbourg à la fin de la guerre.  Serguei savait que la machine était fragile- Voronoff l’avait transportée sur son T-34 – aussi fit-il bien attention de ne pas faire bouger les lattes inégales du plancher en dansant ; il n’avait peut être pas le frigo pleins de lingots comme Alessandrov le bourge, toutefois il savait se conduire.

Voronoff, en voyant Seguei qui dansait,  ne put réprimer un mouvement de rage  de sa main droite, qui vint s’écraser contre le tourne-disque. Au ronronnement assourdi d’Ivan Rebroff succéda un silence de mort dans la maison.

Fragments/ maison de Maiakovski

Alessandrov, s’avança vers Serguei en reluquant ses bottes fourrées. Nom d’un Soyouz, il en était bien jaloux, lui aussi. Il voulut prendre l’attitude de Sean Connery dans le dernier James Bond qu’il avait vu clandestinement, et ploya ses jambes de façon provocatrice devant Serguei, ce qui faisait plutot plus gay qu’autre chose, en fin de compte. Voronoff ne put le faire, et il ne connaissait pas James Bond. Il adopta alors l’attitude du camarade Kroutchchev durant la crise de Cuba ; c’est-à-dire qu’il se mit à crier comme un hamster. Serguei, comprenant que jamais il ne pourrait s’en sortir sans croiser le fer, voulu mettre la main sur la vieille Kalachnikov accrochée au mur pour calmer les deux zigotos allumés à la vodka. Alessandrov, fidèle à ses convictions, garda son flegme britannique et lança d’une voix nonchalante et ridicule : «  Si tu fais un seul pas, je te brûle la cervelle »

Serguei n’avait pas vu un seul film de James Bond, mais il avait lu dans le manuel du pionner soviétique comment agir face aux capitalistes à gros cigare : délaissant l’arme, il saisit plutôt sa balalaïka pour les amadouer. Voronoff arrêta instantanément de hurler. Incrédule, il tourna la tête de gauche à droite comme un lemming aveuglé par un projecteur d’hélicoptère.

Si la balalaïka de Seiguei eut une rôle apaisant sur le vieux, Alessandrov, dopé à la culture occidentale, ne comprit pas la beauté de cette parenthèse musicale. Il donna un violent coup de pied dans l’instrument, d’un geste digne de Burt Lancaster shootant dans une canette de bière.  Serguei, ivre de rage, saisit alors d’un geste la Kalach’ et arrosa Alessandrov. Voronoff, ivre tout court, rigolait tout seul dans sa chaise longue en pensant au Reichstag en flammes en 1945.

Alessadrov, dans un élan héroïque, fut assez adroit pour prendre toutes les balles dans le ventre sans qu’une seule ne touchât la collection familiale d’assiettes en porcelaine. Finalement, Alessandrov tomba sur le plancher, pissant le sang de ses nombreux trous. Voronoff, pissant tout court, n’entendit pas le corps tomber puisqu’il était parti dans le jardin. Serguei regarda calmement le corps refroidir, puis pris une carafe d’eau pour se mouiller la tête. Quelle aventure ! Il transpirait comme une vache.

Il s’approcha du tourne disque pour mettre son disque préféré, les Cœurs de l’Armée Rouge chantant Petit Papa Noël,  mais il ne s’aperçut pas qu’il avait encore les mains humides. Le tourne disque était mal isolé depuis le temps, et il avait en outre prit un coup de sabre lors de la prise de Sébastopol. Il s’électrocuta donc violemment, et tomba sur le sol de façon grotesque. Le bras du tourne disque se déplaça, et vint se poser sur le disque, dans un chuintement qui résonna contre les poutres noircies du plafond, puis la musique se fit entendre dans les haut-parleurs hors d’âge.

Voronoff entra dans la pièce, il vit les deux hommes sur le parquet, et se posa en soupirant à la table, songeant qu’il allait devoir se relever dans deux minutes pour aller fermer la porte de l’étable, que personne n’avait songé à fermer.

***

Le bar à vodka ferme à présent ses portes !

La semaine prochaine, je vous propose ( en mode Thalassa ) de remonter les fleuves ( Ce fleuve Neva qui court du lac Ladoga à la Baltique, et la Moskova.. ) jusqu’à Moscou, pour un petit séjour dans la capitale russe. Il y aura des poèmes, de la trimbale, des petits textes écrits sur le vif, dans les tramways de la ville, dans les rue enneigées, devant la statue de Maiakovski, lors de mon séjour là bas.

Bonne semaine !

Marc

Et mon funkitos Blogus : http://pondruel.wordpress.com/

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8 commentaires sur “Vodka, Pouchkine et russes à couettes

  • quand on dit que la vodka tue, c’est pas des conneries !

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  • Oui!
    En passant, la vodka frelatée fait des ravages en Russie..

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  • Marc, je ne te remercie pas de m’avoir fait découvrir la version de Petit Papa Noël par les Choeurs de l’Armée Rouge…
    Ils ont fait de si belles chansons, qu’est-ce qui a pu les pousser à produire cette… chose ?

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  • Ahah ! Un tube ultime et dûment approuvé par le Soviet Suprême !

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  • genatz!!! longue vie à cette chronique. Vidéo énorme, ça travaille la réputation de nos amis bolchéviks

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  • j’ime pouchkine est je veux savoir son pére

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