Alors, qu’est-ce qu’elle a donc d’extraordinaire la Joconde ?!

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On m’a demandé sur ce même blog ce que je trouvais d’extraordinaire à la Joconde dont je parlais. C’est simple, ce tableau est la meilleure explication que je peux trouver quand on me demande ce que j’aime dans la peinture. C’est l’idée que j’ai rapidement introduite la dernière fois. Il y a tout dans la Joconde : la beauté pure du portrait (je ne me lasse pas de contempler ce visage qui respire le bonheur, mélange parfait de jeunesse et d’intelligence), mais aussi une espèce de force, de souffle génial qui nous pousse à réfléchir, à penser la peinture, à comprendre ce qu’elle nous révèle, ce qu’elle contient au-delà de l’image. C’est pour ça que je n’admire pas seulement ce tableau, je l’aime profondément. Allez, je vais essayer de préciser un peu ça !

Rappelons d’abord brièvement à quel point le tableau est époustouflant de maitrise technique, en citant quelques personnes qui savent le dire mieux que moi. Gustave Planche déclarait ainsi que malgré les altérations du temps, « la beauté de Mona Lisa était restée ce qu’elle était il y a trois siècles, un prodige de grâce, de jeunesse et de sérénité ». George Sand caractérise son sourire de « rayonnement divin d’une émotion inconnue, qu’un grand génie a su fixer sur une toile, arrachant ainsi à l’emprise de la mort un éclaire de cette vie exquise qui fait la beauté exquise ». Je pourrais encore citer des dizaines et des dizaines d’artistes, critiques, etc… qui n’en finissent plus de faire l’éloge du tableau, mais à quoi bon, vous ne vous en convaincrez vous-même qu’en essayant d’aller la regarder une nouvelle fois au Louvre, sans à priori, en oubliant que vous l’avez déjà vu partout, sur des tasses à café et sur des posters. Regardez sa gorge tracé avec une précision « désespérante », ses yeux qui ont « ce brillant, cette humidité que l’on observe pendant la vie » (et voilà je cite encore, Vasari cette fois).

Mais cette beauté n’explique pas tout. Notamment comment des gens très sérieux, de grand savoir, peuvent être entrainés dans l’écriture d’interprétations délirantes de la Joconde. Ce tableau doit avoir quelque chose de particulier. Il faut essayer d’en comprendre les véritables enjeux.

Léonard de Vinci disait que la peinture est cosa mentale, une chose mentale. On ne doit alors pas s’étonner du fait que la Joconde comporte une –ou plusieurs– véritables méditations.

Je trouve personnellement que la plus belle, la plus juste est celle détectée par Daniel Arasse (encore lui ? Oui. Il déchire). Ce dernier commence par rappeler quelque chose d’extrêmement important quant à la Joconde : il s’agit du premier portrait avec un sourire jamais peint (et oui !).On l’a vu, ce sourire fascine. Mais il n’est pas mystérieux, comme on veut souvent nous le faire croire. Car ici l’analyse historique entre en jeu. La Joconde sourit car son époux, Francesco del Giocondo a commandé son portrait au plus grand peintre de son temps, parce qu’elle lui a donné deux beaux héritiers mâles, et parce qu’ils emménagent dans un plus grand et plus somptueux palais. Mona Lisa est heureuse, ce tableau est un tableau du bonheur.

Ce qui est réellement fascinant dans ce sourire, ce n’est pas ce qu’on a pu construire autour, à la suite de suppositions plus ou moins farfelues, d’approximations avec l’histoire, puisque tout cela s’effondre avec la simple connaissance historique. Ce qui est réellement fascinant c’est sa signification au sein même du tableau en tant que cosa mentale. C’est ce qui le lie au paysage de l’arrière plan. Ce paysage est extraordinaire. Vous pouvez chercher longtemps un équivalent de ce décor chez un autre peintre. Léonard a représenté ici une région de rochers, de terre, d’eau. Un paysage pré-humain, lunaire, presque effrayant.
Quel rapport avec le sourire ? Et bien en observant d’un peu plus près la Joconde, on constate que ce paysage est incohérent tel qu’il nous apparait : il est beaucoup plus bas dans la partie gauche du tableau qu’à la droite de Mona Lisa. Pas moyen de concevoir le passage entre les deux parties. Un hiatus existe donc, caché par le sourire de la Joconde : elle sourit exactement du coté du paysage le plus haut, et la transition s’effectue dans la figure même, par son sourire.

En se rappelant que Léonard était un admirateur d’Ovide et de ses métamorphoses, l’idée d’un intérêt du peintre pour le thème de la beauté éphémère, traité à maintes reprises par Ovide est alors introduite.

C’est ce thème qui est traité par Léonard : la Joconde, c’est la grâce, la grâce d’un sourire. Et un sourire est forcément éphémère. L’union de ce sourire, de cette grâce prête à disparaitre d’un instant à l’autre avec ce paysage du chaos, du temps immémorial donne ainsi naissance à une véritable méditation sur le temps qui passe (et c’est d’ailleurs le cœur du problème du portrait, qui est inévitablement une réflexion sur le temps comme le rappelait Montaigne).

Avec le sourire de la Joconde, Léonard nous fait passer tour à tour de la grâce au chaos, du chaos à la grâce, c’est-à-dire du temps fugitif et présent de la grâce au temps sans fin du chaos, et vice- versa.

Reste le problème du pont que l’on peut apercevoir dans l’arrière plan. Étrange ce pont, unique construction humaine au milieu de cette terre où l’homme n’a pas sa place. A propos de cette question, Carlo Pedretti répond simplement que le pont est lui aussi le symbole du temps qui passe (puisque sa présence implique inévitablement celle d’une rivière, relevant évidemment de la symbolique du temps qui passe). Un indice de plus pour indiquer que le thème principal du tableau est finalement le temps lui-même.

Cette interprétation, parmi tant d’autres, montre bien pourquoi il nous fascine depuis des siècles. Parce qu’il condense une méditation sur le temps ; méditation fondamentale, essentielle pour tout l’art du portrait occidental. Et parce qu’en même temps, il reste l’image, merveilleuse de beauté, d’une jeune femme heureuse.

Victor

Fin de l’article, mais début du jeu : ceux qui trouveront de quel tableau est issu le détail ci-dessous gagneront un bon point, et surtout, ils grimperont dans l’estime de l’auteur. Et ça, ce n’est pas négligeable.

Réponses attendues en dessous, dans les commentaires

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10 commentaires sur “Alors, qu’est-ce qu’elle a donc d’extraordinaire la Joconde ?!

  • Allez, pas au pif du tout : Guernica.

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  • Oui Gilles,c’est ça. Bon c’était facile cette fois, à la prochaine note on augmente un peu le level.

    Marc, je l’attendais celle-là!

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  • C’est non seulement le premier portrait avec un sourire, mais c’est aussi (enfin, plus ou moins par conséquent) le premier portrait psychologique de l’histoire de l’art ! Jusque là, les personnages représentés dans les portraits n’exprimaient rien, et les tableaux de toutes sortes se devaient d’être lisibles par le spectateur. On doit pouvoir les analyser. Or, avec la Joconde, les rôles sont inversés : c’est le spectateur qui se pose des tas de questions et le personnage représenté a l’air de savoir quelque chose qu’on ne saura jamais (parce que dans le genre énigmatique, on avait rarement vu mieux…) Du genre : « Mais pourquoi qu’elle sourit celle-là ? », « Ses yeux me suivent vraiment ou c’est le picon ? », « C’est quoi cette bouteille de lait ? », etc. On ne voit pas dans le tableau des éléments qui indiquent le contexte (comme par exemple le chien pour la fidélité).

    Deuxièmement (ouais, parce que c’est pas fini !), la technique de représentation est totalement nouvelle ! Je n’apprends rien à personne en disant que de Vinci était aussi un scientifique… Mais dans cette peinture, il applique et représente ses connaissances scientifiques : il peint en prenant en compte le fait qu’il y a de l’air tout autour de nous. C’est très différent de tout ce qui existait jusque là. Tu prends par exemple n’importe quel Botticelli, on remarque qu’il traçait des traits noirs pour délimiter les formes, alors que les deux peintres étaient des contemporains. Chez de Vinci, y a pas de ligne séparatrice (ça se voit très bien au niveau du menton et du paysage qui non seulement est vaporeux, mais passe du vert au bleu au niveau de l’horizon). Et c’est ainsi que fut mise au point par Léonard de Vinci cette nouvelle technique picturale qu’est le « sfumato » (et oui, vaporeux). Et ça c’est beau :)

    Après, comme tu le dis, y a tellement de choses à dire.. Mais j’ai pas pu m’empêcher de la ramener, car comme dirait un grand philosophe du 20h, « C’est une révolution ! »

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  • Anna,
    Pour ce que tu dis sur la ligne, c’est très vrai, et très bien expliqué dans le livre passionnant de H.Wolfflin, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art. Il fait la différence entre style linéaire (les formes délimitées par des traits donc, genre Botticelli) et pictural. Ce qu’on peut dire en simplifiant c’est que la transition entre les deux styles s’effectue justement à ce moment là de l’histoire, juste avant Michel Ange et le début du baroque.
    Bon Leonard de Vinci et le sfumato c’est tellement particulier que c’est plus dur d’affirmer vraiment qu’il s’éloigne du style linéaire, c’est plutôt une « amélioration » de ce style, absolument unique, que personne n’a réussi à reproduire après.

    Je crois me souvenir que l’idée de l’expression « peindre l’air » avait été utilisée en parlant de Velázquez par je sais plus qui, on en reparlera dans une prochaine note (sur Velázquez hein, logique), mais c’est vrai que l’idée s’applique aussi parfaitement à Leonard.

    J’en profite, puisque c’est là que j’espère travailler, pour faire de la pub pour le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, et surtout pour le travail de Laurence de Viguerie qui a bossé sur l’analyse scientifique du Sfumato. Renseignez vous sur internet, pour ceux qui s’intéressent à la combinaison Art/Science, c’est top.

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  • Et pour ceux que ça intéresse, comme le disait Anna, l’œuvre de Leonard de Vinci a particulièrement été étudiée par la psychologie, on ne compte plus les analyse des tableaux réalisées au XXeme siècle.
    Évidemment, la plus célèbre reste celle de Freud, Un souvenir d’enfance de Leonard de Vinci. Bien que certaines conclusions soient discutables, c’est un super livre, intéressant et intelligent, dans lequel Freud se concentre notamment sur La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne, le magnifique tableau exposé au Louvre (allez le voir, les gens sont trop cons, ils s’agglutinent devant la Joconde et il n’y a personne devant celui-là, alors que c’est un chef d’œuvre absolu).

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  • Pardon Victor par avance, mais pourrais tu fournir un lien pour Laurence Viguerie?
    Pas de la flemme mais une mauvaise connexion.
    Merci,
    Remi

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  • Je te file le lien de l’article de libé sur son job:
    http://www.liberation.fr/culture/0101647257-sfumato-brouillard-dissipe

    Elle a aussi eu les honneurs de l’huma dimanche, et de multiples autres trucs. Une simple recherche google donnera plein d’autres résultats.

    C’est une fille super cool qui m’aide beaucoup dans mon orientation, et qui fait partie des rares personnes dans le monde a pouvoir se vanter d’avoir eu le pouvoir de toucher une toile de Leonard de Vinci !

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  • Au risque de déplaire, la Joconde ne me fascine pas du tout. Au contraire, j’y vois un exemple parfait du conformisme artistique et, surtout, le fait que tant de gens se croient obligés de l’admirer pour faire comme tout le monde m’horripile. C’est un peu comme les clichés sur Mozart, chez tous ceux qui semblent croire que la musique n’a produit aucun autre génie. Le but de la peinture est de réinventer ou de réinterpréter le monde, d’ouvrir de nouveaux horizons à l’imaginaire, de nous apprendre à voir ce qui nous entoure ou ce qui est en nous d’une autre façon. C’est pour cela que j’aime par exemple Monet, Van Gogh, Matisse, Gustave Klimt ou Magritte…Mais la Joconde ne réinvente rien, elle ne nous offre pas une passerelle vers la face cachée du monde…Et elle me laisse froid.

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  • La Joconde est désespérément nulle et la grande majorité des gens qui vont la voir au Louvre sont déçus, ce qui est quand même facile à comprendre. Il y a de telles quantités d’autres tableaux qui sont excellents et meilleurs ! Pour aimer ça il faut être ignorant en art !

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