Le tableau préféré

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Par Victor

Je n’ai pas vraiment de tableau préféré. En fait plusieurs me viennent à l’esprit quand je me pose la question.

Comme je l’avais dit dans la première note de cette rubrique, on peut distinguer deux types d’émotions devant une peinture : l’émotion pure qui ne se verbalise pas, et l’émotion qui apparait quand avec le temps, à force de regarder la peinture, les couches de sens se dévoilent une par une, l’accumulation de réflexions, de méditations apparaissent, et l’intimité du peintre, mais aussi de son époque sont dévoilées, et la voix de l’histoire passée est alors audible.

Plusieurs tableaux m’ont procuré l’une ou l’autre (ou les deux) de ces émotions.

L'annonciation, Fra Angelico (cliquez pour agrandir)

J’aime passionnément, et je m’intéresse beaucoup aux annonciations peintes en Italie à partir du XVème siècle. Je pense donc que je devrais en choisir une dans ma liste. Mais laquelle, alors là… Peut-être celle de Fra Angelico peinte en 1433-1434 conservée à Cortone. C’est –en plus d’être une superbe peinture– une véritable mine d’or qui nous renseigne sur la fonction de la peinture à Florence pendant la Renaissance, sur les enjeux religieux et sociétaux d’une telle œuvre, et sur la réflexion développée parle peintre lors de la réalisation de son tableau.

Mais je pourrais aussi penser à un petit tableau de Watteau exposé à la Frick Collection de New York, La porte de Valenciennes. J’étais persuadé de ne pas aimer Watteau jusqu’à ce que je découvre ce tableau. Sans doute à cause du Pierrot du Louvre, je lui ai toujours trouvé quelque chose d’inquiétant, dans son espèce de froideur étrange.

La porte de Valenciennes, Watteau (cliquez pour agrandir)

Mais là, j’ai été immédiatement attiré par ce mur un peu délabré, sur lequel poussent déjà des herbes sauvages. Peut-être à cause de la lumière du crépuscule qui le frappe en faisant apparaitre une extraordinaire palette de couleurs, ou en raison de la longue lance posée juste sur le vieux blason en bas-relief, je ne saurais pas dire pourquoi, mais je la trouve parfaite cette lance.

Il y a aussi sans doute la Joconde dont j’ai déjà parlé. Ou plutôt La Vierge, l’Enfant Jésus et Sainte Anne du même Léonard, exposé au Louvre. C’est un tableau fantastique de grâce, de beauté, et d’une profondeur intellectuelle hors-norme (on y reviendra sans doute si on parle de Freud dans une autre note). Il se dégage des deux figures féminines une tendresse infinie, et la délicatesse céleste de la vierge n’a rien à envier aux belles rides de Sainte Anne. Comme le disait Théophile Gautier, « les outrages du temps se sont pour elle transformés en caresses ».

La vierge, l'enfant Jésus et sainte Anne, Léonard de Vinci (cliquez pour agrandir)

Mais en écrivant ce texte je me rends compte qu’il y a tant de tableaux qui pourraient rentrer dans mon petit classement… Les Menines, un autoportrait de Rembrandt, un Picasso, un Ruysdael…

Et puis finalement, un de mes tableaux préférés est une peinture sans personnage, un simple paysage : la Vue de Delft, par Vermeer.

C’est intéressant, parce que je crois avoir vraiment compris pourquoi j’aime ce tableau.

La vue de Delft, Vermeer (cliquez pour agrandir)

Quand j’étais petit, mon père me racontait tout le temps la scène de la Recherche du Temps Perdu dans laquelle Bergotte en visite à une exposition Vermeer, contemple ce tableau, et meurt soudainement devant lui. C’est une scène fascinante, et je pensais alors qu’il mourrait d’un trop plein d’émotions devant tant de beauté (« le plus beau tableau du monde » pour Proust !). J’ai beau avoir depuis lu et relu le livre (pour me rendre compte qu’il meut peut-être simplement à cause d’une crise d’urémie, et qu’il attribue d’abord ses vertiges à des patates… bref.), j’avais idéalisé ce tableau, en me promettant d’aller le voir un jour.

Et puis il y a un an, je suis parti en voyage à Amsterdam avec des potes. Pas trop dans l’optique d’un voyage culturel donc… Seulement mon billet de train me faisait arriver tôt le matin, j’avais une journée à passer seul en Hollande. Histoire de me donner bonne conscience, avant un weekend durant lequel je n’allais pas DU TOUT penser à Vermeer, j’ai filé à La Haye, au Mauritshuis, et c’est là que j’ai vu pour la première fois le fameux tableau.

Et j’ai eu un véritable choc pictural. C’était tout simplement la première fois que je voyais un paysage peint qui me semblait être plus beau que la réalité. J’ai un amour inconditionnel pour Vermeer, mais cette fois sa science de la lumière était poussée à un tel degré de perfection… J’ai eu l’impression que la ville peinte venait d’être trempée par une averse, et que le soleil réapparaissait tout juste, en faisant luire doucement les tuiles et les ardoises des bâtiments. Chaque toit, chaque mur, chaque bateau, chaque détail est une merveille de couleur.

Comme tout le monde, j’ai cherché sur la toile le petit pan de mur jaune avec un auvent de Proust. J’ai remarqué comme lui que le sable au premier plan était rose (ce qu’on ne peut pas voir à moins de se trouver devant le vrai tableau), et que de près, la surface des maisons et des clochers était délicatement granulée, infiniment précieuse.

J’ai donc passé une heure à me reculer et à me rapprocher du tableau, bouleversé de constater que c’était encore plus beau que ce à quoi je m’étais préparé à force d’entendre mon père radoter sur Proust, à force de cristalliser l’idée que je me faisais d’un beau tableau avant de le voir.

Voilà, j’ai choisi de vous raconter cette petite histoire parce qu’elle illustre bien que toutes les raisons sont bonnes pour aimer un tableau, aussi bien que ce soit parce qu’il vous intéresse, parce que vous le trouvez merveilleusement beau, ou parce qu’il vous rappelle toutes les impressions fugaces de votre enfance, un de vos livres préférés, et plein d’autres choses encore.

Alors quand tout ça est combiné, vous le tenez peut-être votre tableau préféré…

Mais maintenant, il me reste à vous retourner la question ! Alors et vous, quel est votre tableau préféré ?

Victor

PS : Oh, et la prochaine fois que vous allez à Amsterdam (je vous conseille de vous dépêcher, si vous suivez l’actualité vous pigez pourquoi), prenez le train jusqu’à La Haye (40min c’est pas la mort), et allez voir les Vermeer, vous verrez, vous vous sentirez complètement rassasiés esthétiquement et intellectuellement, prêts à faire les foufous.

Et la suite de notre grand jeu concours avec rien à gagner : trouvez le tableau dont est extrait ce détail.

Les réponses sont attendues en commentaires.

Je n’ai pas vraiment de tableau préféré. En fait plusieurs me viennent à l’esprit quand je me pose la question.

Comme je l’avais dit dans la première note de cette rubrique, on peut distinguer deux types d’émotions devant une peinture : l’émotion pure qui ne se verbalise pas, et l’émotion qui apparait quand avec le temps, à force de regarder la peinture, les couches de sens se dévoilent une par une, l’accumulation de réflexions, de méditations apparaissent, et l’intimité du peintre, mais aussi de son époque sont dévoilées, et la voix de l’histoire passée est alors audible.

Plusieurs tableaux m’ont procuré l’une ou l’autre (ou les deux) de ces émotions.

J’aime passionnément, et je m’intéresse beaucoup aux annonciations peintes en Italie à partir du XVème siècle. Je pense donc que je devrais en choisir une dans ma liste. Mais laquelle, alors là… Peut-être celle de Fra Angelico peinte en 1433-1434 conservée à Cortone. C’est –en plus d’être une superbe peinture– une véritable mine d’or qui nous renseigne sur la fonction de la peinture à Florence pendant la Renaissance, sur les enjeux religieux et sociétaux d’une telle œuvre, et sur la réflexion développée par le peintre lors de la réalisation de son tableau.

Mais je pourrais aussi penser à un petit tableau de Watteau exposé à la Frick Collection de New York, La porte de Valenciennes. J’étais persuadé de ne pas aimer Watteau jusqu’à ce que je découvre ce tableau. Sans doute à cause du Pierrot du Louvre, je lui ai toujours trouvé quelque chose d’inquiétant, dans son espèce de froideur étrange. Mais là, j’ai été immédiatement attiré par ce mur un peu délabré, sur lequel poussent déjà des herbes sauvages. Peut-être à cause de la lumière du crépuscule qui le frappe en faisant apparaitre une extraordinaire palette de couleurs, ou en raison de la longue lance posée juste sur le vieux blason en bas-relief, je ne saurais pas dire pourquoi, mais je la trouve parfaite cette lance.

Il y a aussi sans doute la Joconde dont j’ai déjà parlé. Ou plutôt La Vierge, l’Enfant Jésus et Sainte Anne du même Leonard, exposé au Louvre. C’est un tableau fantastique de grâce, de beauté, et d’une profondeur intellectuelle hors-norme (on y reviendra sans doute si on parle de Freud dans une autre note). Il se dégage des deux figures féminines une tendresse infinie, et la délicatesse céleste de la vierge n’a rien à envier aux belles rides de Sainte Anne. Comme le disait Théophile Gautier, « les outrages du temps se sont pour elle transformés en caresses ».

Mais en écrivant ce texte je me rends compte qu’il y a tant de tableaux qui pourraient rentrer dans mon petit classement… Les Menines, un autoportrait de Rembrandt, un Picasso, un Ruysdael…

Et puis finalement, un de mes tableaux préférés est une peinture sans personnage, un simple paysage : la Vue de Delft, par Vermeer.

C’est intéressant, parce que je crois avoir vraiment compris pourquoi j’aime ce tableau.

Quand j’étais petit, mon père me racontait tout le temps la scène de la Recherche du Temps Perdu dans laquelle Bergotte en visite à une exposition Vermeer, contemple ce tableau, et meurt soudainement devant lui. C’est une scène fascinante, et je pensais alors qu’il mourrait d’un trop plein d’émotions devant tant de beauté (« le plus beau tableau du monde » pour Proust !). J’ai beau avoir depuis lu et relu le livre (pour me rendre compte qu’il meut peut-être simplement à cause d’une crise d’urémie, et qu’il attribue d’abord ses vertiges à des patates… bref.), j’avais idéalisé ce tableau, en me promettant d’aller le voir un jour.

Et puis il y a un an, je suis parti en voyage à Amsterdam avec des potes. Pas trop dans l’optique d’un voyage culturel donc… Seulement mon billet de train me faisait arriver tôt le matin, j’avais une journée à passer seul en Hollande. Histoire de me donner bonne conscience, avant un weekend durant lequel je n’allais pas DU TOUT penser à Vermeer, j’ai filé à La Haye, au Mauritshuis, et c’est là que j’ai vu pour la première fois le fameux tableau.

Et j’ai eu un véritable choc pictural. C’était tout simplement la première fois que je voyais un paysage peint qui me semblait être plus beau que la réalité. J’ai un amour inconditionnel pour Vermeer, mais cette fois sa science de la lumière était poussée à un tel degré de perfection… J’ai eu l’impression que la ville peinte venait d’être trempée par une averse, et que le soleil réapparaissait tout juste, en faisant luire doucement les tuiles et les ardoises des bâtiments. Chaque toit, chaque mur, chaque bateau, chaque détail est une merveille de couleur.

Comme tout le monde, j’ai cherché sur la toile le petit pan de mur jaune avec un auvent de Proust. J’ai remarqué comme lui que le sable au premier plan était rose (ce qu’on ne peut pas voir à moins de se trouver devant le vrai tableau), et que de près, la surface des maisons et des clochers était délicatement granulée, infiniment précieuse.

J’ai donc passé une heure à me reculer et à me rapprocher du tableau, bouleversé de constater que c’était encore plus beau que ce à quoi je m’étais préparé à force d’entendre mon père radoter sur Proust, à force de cristalliser l’idée que je me faisais d’un beau tableau avant de le voir.

Voilà, j’ai choisi de vous raconter cette petite histoire parce qu’elle illustre bien que toutes les raisons sont bonnes pour aimer un tableau, aussi bien que ce soit parce qu’il vous intéresse, parce que vous le trouvez merveilleusement beau, ou parce qu’il vous rappelle toutes les impressions fugaces de votre enfance, un de vos livres préférés, et plein d’autres choses encore.

Alors quand tout ça est combiné, vous le tenez peut-être votre tableau préféré…

Mais maintenant, il me reste à vous retourner la question ! Alors et vous, quel est votre tableau préféré ?

Victor

PS : Oh, et la prochaine fois que vous allez à Amsterdam (je vous conseille de vous dépêcher, si vous suivez l’actualité vous pigez pourquoi), prenez le train jusqu’à La Haye (40min c’est pas la mort), et allez voir les Vermeer, vous verrez, vous vous sentirez complètement rassasiés esthétiquement et intellectuellement, prêts à faire les foufous.

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12 commentaires sur “Le tableau préféré

  • Kandinsky??

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  • C’est « Bleu II », de Joan Miro.

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  • Miro !

    Pour ce qui est des tableaux préférés j’avais été frappé en visitant le Met par la « jeune fille romaine à une fontaine » de Bonnat, mais impossible d’expliquer pourquoi. Plutôt « première émotion » donc.
    http://www.metmuseum.org/works_of_art/collection_database/european_paintings/roman_girl_at_a_fountain_leon_bonnat/objectview_enlarge.aspx?page=7&sort=0&sortdir=asc&keyword=&fp=1&dd1=11&dd2=0&vw=1&collID=11&OID=110000141&vT=1&hi=0&ov=0

    Pour la « deuxième émotion », c’est plutôt Nighthawks qui me fascine, notamment à cause de tout que ce tableau a pu inspirer à d’autres que moi.

    Mais celui qui arrive à fusionner les deux, c’est le Greco, pour l’ensemble de son oeuvre. La première fois que j’ai vu un de ses tableaux je n’ai pas cru possible que ce type ait vécu au 16ème siècle. Ca me fascine et je découvre toujours des choses hallucinantes à chaque fois que je me replonge dedans…

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  • Argh. Trop tard (pour Miro, mais pour le reste, c’est toujours valide).

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  • je parie sur miro.

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  • en retard aussi apparemment 😉

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  • Pour le petit jeu, c’est bien Miro, bravo Anna !

    Gilles,
    J’adore aussi le Greco. Je ne sais pas si tu as eu la chance de visiter Tolède, mais si tu as l’occasion fonces-y, il y en a beaucoup là-bas, parmi les plus beaux.

    Maintenant que le jeu est fini pour cette semaine, continuez à balancer vos tableaux préférés, c’est super intéressant je trouve, merci Gilles. D’ailleurs tu parlais de Nighthawks, ça me fait penser à un blog du Monde, « La Boite à Images », tenu par Alain Korkos. Une note en 2 parties portait sur ce tableau:
    http://laboiteaimages.blog.lemonde.fr/2011/04/05/le-grand-jeu-5-la-reponse-nighthawks-parte-ouane/
    Tu trouvera peut-être ça intéressant.

    Par ailleurs, je profite de ce commentaire pour vous signaler que les 2 expos à la Pinacothèque de Paris (les Romanov / les Esterhazy) sont prolongées jusqu’en septembre. Je comptais en parler avant mais comme ça devait finir plus tôt je m’étais dit que ça valait pas le coup.
    Bref, maintenant je vous les conseille en tout cas. La « scénographie » (j’aime pas ce mot) de l’expo déplaira à beaucoup de monde, comme d’hab à la Pinacothèque j’ai l’impression (alice..!), mais les œuvres exposées sont souvent magnifiques (je me souviens particulièrement d’un petit paysage montagneux de Brueghel).
    Bon voilà, si vous avez le temps allez-y.

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  • @Victor

    Il y avait une esquisse de profil de femme d’Odilon Redon dans le musée où j’ai travaillé un semestre quand j’étais au Etats-Unis. Je m’y arrêtais souvent lors de mes rondes, elle m’attirait. La courbe élégante du nez, le casque étrange de déesse germanique…
    http://www.odilon-redon.org/Brunnhilde-large.html

    Comment est l’expo sur Redon ?

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  • Marc,
    A ma grande honte, je ne suis toujours pas allé voir cette expo. Pourtant quelqu’un m’en a parlé, m’a dit que c’était top, et me tanne depuis pour que je me bouge.

    C’était quel musée aux USA?

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  • Kresge Art Museum, le musée de Michigan State University où j’étais en échange.

    Ils sont en train de refaire completement le musée en fait, il aura une forme génial ( grâce aux deniers d’Eli Broad, un mécène américain ultra thuné qui a fait ses études de business à MSU )

    http://artmuseum.msu.edu/exhibitions/future/KAM50th_Exhibition/Kresge_timeline/EliBroadMuseum.jpg

    Un très bon souvenir, je faisais l’inventaire le soir, je me croyais dans Tintin et l’oreille cassée.

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  • Pour moi, le plus beau reste le tableau de Fra Angelico. L’ange aux ailes d’or est tout simplement magnifique.

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