Lard moderne

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Aujourd’hui je vais faire un effort et parler un peu d’art moderne, parce que je sens que vous êtes à bout et que je si je continue avec mes annonciations du XVème siècle, vous allez m’étrangler.

Je dois d’abord avouer que je trouve l’art contemporain –c’est-à-dire l’art actuel, des 30 dernières années– difficile à définir, à cerner. D’ailleurs la notion d’art contemporain elle-même même semble souvent floue quand elle est rapportée à celle d’art moderne. Quand l’art contemporain devient-il moderne ?
Mais l’art aujourd’hui demeure passionnant, aussi bien en raison de la multiplication des pratiques et des supports artistiques, qu’en raison de la « perte de vitesse » du système du système des beaux-arts, qui conduit inévitablement à une perte du prestige de la peinture (c’est un fait, la peinture n’a plus la cote aujourd’hui).
La principale évolution apportée par l’art contemporain est la prédominance du processus de création sur l’œuvre elle-même : la notion d’œuvre est aujourd’hui très critiquée. Cette idée peut donner naissance à de longues discussions sur la nature de l’art, sa place dans la société, etc. Je vais me contenter pour l’instant d’avoir une approche un peu Hégélienne (le mec qui se la pète grave), et d’être satisfait qu’à l’heure actuelle, on a encore besoin de l’art, qu’il reste un besoin essentiel de l’esprit.

J’ai un jour compris que ce qui m’intéressait le plus dans les arts moderne et contemporain, c’était la dissolution des définitions artistiques dites « classiques » dans les œuvres nouvelles, d’autant plus qu’il est fréquent que je ne réussisse pas à déceler cette dissolution, même en sachant qu’elle existe.
Un bon exemple est l’art abstrait de Rothko. C’est un de mes peintres modernes préférés, et j’adore ses abstractions, mais seulement pour des raisons qu’on pourrait qualifier de non-intellectuelles, c’est-à-dire que je les aime pour l’émotion purement picturale qu’elles m’apportent.

Mais bien que je sache que des enjeux artistiques dépassant le simple cadre de la couleur existent dans l’œuvre de Rothko (je n’invente rien, c’est lui-même qui l’a admis), je ne les vois pas. Mais je ne désespère pas, je continue à regarder et à chercher.

Un autre aspect intéressant de l’art moderne/contemporain pour moi, est l’application des outils, des informations issues de l’art classique dont je dispose, à sa compréhension.
Ce n’est pas toujours évident, mais quand j’y parviens, quand j’appréhende mieux un travail moderne grâce à une approche classique, j’y trouve beaucoup de plaisir, et cet éclairage nouveau sur l’œuvre que je regarde la rend plus belle.
Un exemple de ce processus même vient en tête, il concerne un parallèle qui peut être effectué entre les autoportraits de Rembrandt peints tout au long de sa vie, et la peinture de Chagall. Ce parallèle se base sur la psychologie individuelle qui apparait en filigrane dans ces œuvres.
J’ai appris assez tôt que Rembrandt, que l’on peut sans doute désigner comme le principal initiateur de l’individualisme moderne en peinture, révélait dans ses autoportraits la « quête constante qui donne continuité et sens à son existence » comme l’écrivait Huyghe. Ses autoportraits deviennent miroirs, et tous les mouvements de son âme au cours du temps y sont scrupuleusement retranscrits. Sa vie ne peut pas cesser d’avancer, mais il parsème le chemin de son existence de ces minuscules marqueurs picturaux, ces visages peints dont la taille ne dépasse souvent pas trois centimètres.

Les deux tableaux ici reproduits sont parfaitement représentatifs de cette idée. Sur celui de gauche, l’Autoportrait avec Saskia (sa femme), daté de 1635, l’amour de la vie du peintre éclate, sa réussite est complète, son mariage heureux, et il découvre les splendeurs du luxe, en levant d’un geste expansif un long verre de vin du Rhin. Rembrandt se déploie avec exubérance, il est le portrait même de « l’extraverti », tourné entièrement vers le monde.
Sur celui de droite, l’Autoportrait âgé, réalisé à la fin de la vie du peintre, son existence a été totalement bouleversée. Le sort l’a frappé avec violence, sa compagne, son fils adoré sont morts, Rembrandt reste seul, perclus de dettes et de douleurs, abandonné de tous. Cet autoportrait devient ainsi tragique : le peintre s’y représente saisi d’un rire qui est semblable à une grimace. Ce rictus est le dernier sursaut de l’âme, cette gaité dérisoire devant la mort, plus terrible que tous les cris de douleur. Toute la vie de cet homme apparait résumée ici.

Cette approche de la psychologie détaillée de l’artiste basée sur le changement perpétuel de son œuvre, je l’ai donc retrouvée chez Chagall. Il est en effet saisissant d’observer une suite de tableau de Chagall pris aux différentes périodes de sa vie, et de la comparer avec l’histoire de sa vie, les chocs de son existence. Depuis les rêveries de la jeunesse, en passant par l’amour fou pour sa femme Bella, la souffrance liée à la mort de cette dernière, l’horreur de l’holocauste, jusqu’à la sérénité finale retrouvée dans la vieillesse, le style de Chagall se métamorphose incessamment, suivant sans relâche les oscillations de son esprit.

Je vais donc conclure sur cette idée, que je considère comme étant une des choses les plus fascinantes de l’art : cette complexité illimitée de la vie, l’art, classique comme moderne n’en perd rien, et nous livre ses richesses sous la forme de signes visibles.

Victor

Bon, les plus observateurs d’entre vous ont sans doute remarqué qu’en promettant de parler d’art moderne, j’ai quand-même réussis à caler Rembrandt. Incorrigible.
Toujours le petit jeu du détail mystère, allez-y lâchez vos coms, lol de lol.

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4 commentaires sur “Lard moderne

  • Van Eyck.
    Je crois d ailleur pour la pettie histoire qu’au debut ce tableau s’etait fait reapproprie apr un autre peintre, avec une signature bien en evidence, avant que le pot au roses ne soit decouvert en la presence de la signatured evan eyck bien cachee. A confirmer!

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  • Oui, ça a été rapide aujourd’hui.
    Donc Les Époux Arnolfini, de Van Eyck (http://tinyurl.com/4trws3p)

    Je ne connais pas la petite histoire dont tu parles Remi. Par contre je sais que la signature de Van Eyck sur ce tableau est très visible, pas cachée du tout située juste au dessus du miroir, comme on peut le voir là: http://tinyurl.com/6knh7pf
    « Johannes de Eyck fuit hic 1434″ pour les latinophiles.

    C’est une des œuvres majeures de Van Eyck (conservée à Londres), avec la Vierge au Chancelier Rollin (au Louvre), et la Madone au chanoine van der Paele (à Bruges).
    Il y a énormément à dire sur ce tableau, et sur le fameux miroir dans lequel on voit le peintre. Ça fait immédiatement penser aux Ménines de Velázquez (d’ailleurs j’étais en train de vous préparer un texte aux petits oignons sur ces Ménines ou on aurait parlé pas mal de Foucault, mais les vacances loin de Paris m’appellent, ce sera pour la rentrée je pense)

    Heu oui, si ce tableau en particulier vous intéresse, il y a un bouquin de Panofsky, Les primitifs Flamands, qui est très bien. Bon ses conclusions sont aujourd’hui très remises en question, mais ses recherches restent brillantes.

    Répondre
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