Enjoy Poverty ou quand la pauvreté devient une ressource

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Cet été, en pleine crise « humanitaire » dans la Corne de l’Afrique, les images des corps décharnés d’enfants et de femmes harcelées par une nuée de mouches ont fait le tour des journaux télévisés, noyés entre les chiffres de la crise et le nombre de vacanciers dans les bouchons. Médecins Sans Frontières, UNICEF et autres organisations à but non lucratif multiplient les campagnes de sensibilisation pour enrayer la famine qui touche l’Afrique de l’Est. Partout on accuse la sécheresse d’en être l’origine en omettant systématiquement d’évoquer les situations politiques et économiques de ces pays.

Pourtant, il apparaît que les mauvaises conditions météorologiques ne font qu’accentuer une pauvreté déjà existante et liée à des problématiques plus complexes.
La question de la gestion et du contrôle des ressources naturelles, l’omniprésence des exploitants étrangers, les monocultures de palme et de café, les politiques agro-alimentaires de l’Organisation Mondiale du Commerce, la spéculation boursière autour des produits de première nécessité et parfois l’instabilité politique sont autant de déclencheurs de la crise. Les institutions financières internationales, FMI et Banque mondiale, ainsi que les organisations humanitaires multiplient les dons et les aides en occultant les causes réelles des famines et des crises dans les pays du sud.

Affiche du film Enjoy Poverty. Poisson Rouge

Renzo Martens, un artiste néerlandais, en vadrouille dans la République Démocratique du Congo en 2009, a pris le parti de démontrer par une œuvre documentaire le cynisme de ces institutions, industriels et ONG. Le propos d’Enjoy Poverty, troisième volets d’une saga documentaire, est simple : la pauvreté est devenue une richesse, un bien qui se marchande. Ainsi, puisque les grands exploitants agricoles profitent de la pauvreté pour acquérir des terres à bas prix sur lesquelles travaillent des journaliers payés des cacahuètes et, puisque les photos reporters négocient les photos de cadavres et d’enfants malades à prix d’or, alors pourquoi les pauvres eux-mêmes ne tireraient pas profit de leur propre pauvreté ?
Cynique ? Très certainement. Mais, Renzo Martens démontre subtilement que c’est l’exploitation de la misère qui est le comble du cynisme.

Dans le film, on suit donc Martens dans différentes régions du Congo, pays marqué par les violences et le détournement des richesses minières, à la rencontre de la population qu’il exhorte à se réjouir de sa misère, qui est désormais une ressource. Ce parti pris donne lieu à des situations à la fois cocasses et dérangeantes où l’on voit par exemple un groupe de jeunes congolais, Renzo Martens en tête, spécialisés dans les photos de mariages et de fêtes, se reconvertir en photos reporters de guerre et de famines afin de tirer profit à leur tour de la misère, leur misère. L’artiste n’en reste pas là et s’en prend frontalement aux ONG qu’il accuse implicitement d’entretenir des relations d’interdépendances avec les photographes de guerre et les institutions internationales, de déserter les zones risquées et enfin de privilégier la visibilité de leurs organismes en étalant leurs logos dans les camps de réfugiés. Ultime provocation qui lui vaut de se faire retirer son accréditation de presse.

Le personnage campé par Renzo Martens est parfois agaçant. Mais son film a le mérite de bousculer la bien-pensance et l’aveuglement général de mise, lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la pauvreté en Afrique. L’artiste dénonce de façon détournée (il refuse l’appellation d’artiste engagé) un système où la population assiste impuissante au saccage de ses ressources naturelles et dépend littéralement des ONG et de l’aide au développement fournie par la Banque mondiale.
La projection d’Enjoy Poverty a choqué et provoqué un tollé dans de nombreux festivals… A vous de voir.

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