Dostoievski, Youporn et la Voûte

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Lu sur un blog : « Les livres c’est chouette mais c’est long. » Alors, fervent participant de la culture-web hachée et furieusement zappeuse, réjouis-toi, car en tant que modeste écrivaillon que je suis, j’aime les défis. Ca permet des rencontres inédites, comme taper Dostoïevski sur YouPorn ou acheter une Pléiade sur le LeBonCoin. Le Web c’est bien, il peut en sortir des choses intéressantes qui forcent du moins à un renouvellement incessant.

 

Sasha Grey bouquinant Dosto

 

L’idée est donc de tenir chaque semaine un bloc note sur « Le Poisson Rouge », à l’instar de BHL ou de Steevy. Bloc note sur des impressions, une description, une attitude. Si l’an dernier mes textes, chers lecteurs, étaient très axés voyage et écrire-mouvement, autant cette année ( ahah on dirait un vieux prof ) j’ai envie de laisser couiner  l’imprévu, par des morceaux de textes, impression du hachoir, choses vues.

Pour ce premier texte, j’ai eu envie d’écrire sur « La Voûte ». Non, ce n’est pas le nom du club-échangiste préféré de DSK ( pour info, ça s’appelle les Chandelles ), mais un bar. Plus précisement, la Voûte était mon bar préféré à Lille, quand j’y habitais, c’est à dire les trois ans passés à Sciences po.

Souvenirs précis de sortir du Furet du Nord, la plus grande librairie de France, de nouveaux bouquins glissés sous le bras ( Le crack à New York de Philippe Bourgois, acheté avec R. ? ),  puis de patiner sur la neige de la Grand’Place pour aller me balancer, heureux, la couenne trempée et l’âme confite de froid, sur les banquettes molletonnées du premier étage de « la Voûte ». Le bar jouxtait un passage vouté, d’où le nom : il fallait d’abord oser pénétrer dans ce bar tout en enfilade, dépasser le type un peu schlass qui vendait des cigarettes. Derrière lui, le zinc, très long et très étroit donnait sur un escalier en bois, aux marches malaxées par l’exigüité du lieu.

La tête tourneboulée par l’escalier, je débarquai là-haut, au premier étage, tout était en bois, le plancher craquait gaiement. Des fenêtres, une vue imprenable sur la place, sur les pas des filles en collants noirs, sur la colonne de la Déesse, statue dressée pour célébrer cette jolie dame qui, de son « boute-feu » tenu à la main, avait enflammé les mèches des canons français face aux assauts des Autrichiens de 1792.

LILLE A BIEN MERITE DE LA PATRIE en avait alors décidé les tribuns de la Révolution Française, et moi, le nez déjà plongé dans mon chocolat viennois ou dans ma deuxième Karmeliet, qui confondais sous l’indignation moqueuse de R.  le Directoire et le Comité de Salut Public…

Moments d’écriture aussi, vingt-deux ans à tout péter, durant de longues après-midis passées sur la banquette maronnasse à osciller entre regarder par la fenêtre, rêver à l’Islande et gribouiller des notes. Ai toujours les carnets. Retrouvailles parfois après les cours ( ou pendant ) avec  L. et S., L. cette chienne de mélancolie collée aux talons, S. le singe déjà bien accroché aux épaules.

En face, le vieux bâtiment de la Vieille Bourse semblait en guimauve, et ses tréteaux chargés de bouquins hors de prix étaient tenus d’une main de fer par de chenus bouquinistes ultra spécialisés, dont un black semi-clodo féru de l’oeuvre de Charles Maurras. C’était un lieu béni au temps de la dèche de S., qui allait revendre en douce les bouquins piqués en face, au Furet du Nord, pour se faire de l’argent et aller payer sa dose.

Aux quelques filles amenées là-haut, lovées dans les belles banquettes, les souvenirs d’avoir beaucoup parlé de mon impression d’être assis dans une cabine de bateau, en partance pour les Iles Canaries ou les Marquises, cargaison de coton anglais ou de blé flamand évidemment, lingots jusqu’au plafond. Puis, pour une jolie tchèque, un peu parlé Kundera je crois, beaucoup regardé ses yeux, mais rien ne se passera.

Enfin venait le dimanche soir, quand de vieux anglais joueurs d’échec prenaient d’assaut mon perchoir et installaient leurs damiers sur les tables, commandant toujours le même chose, cafés serrés, airs taiseux, pas même dérangés de l’arrivée d’un autre copain qui montait à l’étage, presque ahuri de me distinguer au fin fond de la banquette, le dos au miroir. Et le blues du dimanche soir qui se diluait soudain comme le carré de sucre dans nos tasses.

Pas tellement un café aux lustres éclatants, la Voûte, loin des tilleuls verts de la promenade, mais mon café quand j’étais Lillois.

 

Marc –

M’écrire une missive : marc.pondruel@yahoo.fr

La semaine prochaine : les Cinglés de la Cinémathèque.

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5 commentaires sur “Dostoievski, Youporn et la Voûte

  • Culte l’illustration des freaks brothers !

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  • AAAAAh, le marquis signe son grand retour d’un texte non moins dimensionné. J’aime, pour de vrai, l’image que je me fais de tes airs polissons dans ta banquette épaisse. Good luck old boy, tu nous a manqué!

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  • Et puis y’ du grand, du beau, du merveilleux Ernest Hemingway (que je viens de découvrir, à 24 berges, grosse loose) dans ce que tu écris. Vraiment c’est frappant! Donc c’est génial…

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  • Freak Brothers, toujours un pas de côté !
    Merci du retour ! Vive le jus de goyave et merci Sasha G, artiste à découvrir.

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