Rémi Flanteau, péripéties d'un mal entendu

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Par Kash Prex

« Ouvrez les yeux, Monsieur le Juge. Vous voyez bien que vous n’avez pas en face de vous un individu dangereux ! Cette femme, elle le dirait elle-même si elle était là : à aucun moment je n’ai eu la moindre intention de lui faire du mal !
– Elle a tout de même porté pl…
– Sortez de vos réflexes conditionnés, vos lois sont inadaptables à mon cas. Regardez-moi, ressentez-moi, palpez-moi de votre bon sens. La Justice n’est-elle pas une intuition avant d’être une institution ? Je suis tout ce qu’il y a de plus humain sur cette Terre ! Et plus que d’être un honnête homme, je suis un militant. Je suis un défenseur de l’Homme beau, généreux, sensé, progressiste ; j’ai d’ailleurs la chance, comme vous pouvez le constater, d’être un bon représentant de cet idéal humain qui bientôt abondera dans nos sociétés. Et moi, Rémi Flanteau, je mets cette chance au profit de tous, Monsieur le Juge. Si l’on se met à empêcher les gens comme moi d’œuvrer, alors où allons-nous ? Qui reste-t-il pour guider l’Homme ? L’argent ? Les politiciens ? Laissez-moi rire ! Les voilà ceux qu’il faudrait enfermer, les politiciens. Ils bousillent des peuples au profit de leur intérêt personnel, c’est tout de même d’un autre niveau ! Moi, on vient m’importuner pour un malentendu avec une femme bête. Quelle déchéance, quel comble !
– Justement Monsieur Flanteau, venons-en aux faits.
– Monsieur le Juge, de vous à moi, entre hommes respectables, nous vivons quand même dans une sacrée société de cons, non ?
– …
– La preuve, nous sommes tous deux ici à perdre notre temps pour des incohérences institutionnelles tandis que l’égarement humain et les femmes enceintes courent tranquillement les rues.
– … Les femmes enceintes ?
– Parfaitement. Qu’imaginez-vous, Monsieur le Juge ? Que les crétins qui nous harcèlent sont tombés du ciel ? Non. Ils sont sortis de femmes enceintes. Voilà où il faut traiter le problème : à sa source. C’est ça aussi d’être un militant.
– De quoi parlez-vous, Monsieur Flanteau ?
– A la source, comme je vous le dis ! Et croyez-moi, cela fonctionne très bien.
– Mais encore ?
– Eh bien c’est très simple. Vous arrêtez toutes les femmes enceintes que vous croisez et vous leur demandez pourquoi elles veulent un enfant. Vous verrez qu’aucune d’entre elles n’est en mesure de donner une réponse convenable. Cela tourne autour du « je ne sais pas, c’est humain » ou « pour construire une famille ». Donc, vous les tuez. Bon, je résume, hein.
– Vous semblez avoir une étonnante expérience en la matière.
– Oh, vous savez, je n’en suis plus à mon coup d’essai. Ce n’est que le début bien sûr, mais si d’autres gens comme vous et moi s’y mettaient… Cela pourrait être très rapide. Vous par exemple… Ce n’est pas tant d’investissement que ça, vous savez…
– Très bien. Vous êtes en train…
– Au début je pourrais vous acc…
– Monsieur Flanteau. Vous êtes en train de vous foutre royalement de ma gueule, n’est-ce pas ?
– Je vous demande pardon ?
– Etes-vous conscient qu’en me faisant perdre ainsi mon temps plutôt que de tenter de vous défendre, vous vous exposez à une peine très lourde ?
– Mais complètement, Monsieur le Juge, c’est ce que je vous dis. Ce sont ces crétins déguisés qui m’ont forcé à venir ici, nous perdons notre temps. Comme vous le savez maintenant, j’ai personnellement d’autres chats à fouetter, et pas des moindres. Et ce n’est pas tout ! Ces abrutis m’ont enfermé dans leur espèce de donjon pendant des mois, ce sont des psychotiques obsessionnels ! Tout cela n’arriverait pas si on avait tué leurs mères.
– … Monsieur Fl…
– Et celle que j’ai voulu honorer, cette erreur, cette ineptie incarnée, elle, elle court les rues !
– Monsieur Flanteau, un peu de décence, vous savez comme moi qu’elle…
– C’est elle qu’on devrait laisser mourir dans le donjon !
– Ca suffit Monsieur Flanteau, ce tour a suffisamment duré ! Je vous demande d’arrêter vos fantaisies et de vous occuper de votre défense, sans quoi les conséquences de votre prestation pourraient être très regrettables. A présent, qu’avez-vous à dire pour votre défense concernant l’accusation de viol sur la personne de Camille Michel dont vous êtes l’objet ?
– Je ne suis l’objet de personne. Et je n’aime pas répéter. Vous ne m’écoutez pas ?
– Je vais être obligé de me satisfaire de vos premières déclarations.
– Il serait temps !
– … Bon… Oublions ces histoires de femmes enceintes, vous en discuterez avec d’autres personnes bien mieux placées que moi.
– J’en serais enchanté. Cette cause gagnera à être connue.
– D’accord, d’accord. Maintenant, répondez-moi simplement : avez-vous violé Mademoiselle Camille Michel le 4 mai 2009 à Levallois-Perret ?
– Non.
– Monsieur Flanteau, votre sperme a été retrouvé sur elle.
– Oui, quelle erreur d’avoir fécondé cette dégénérée parmi les dégénérés !
– Eh bien, vous reconnaissez ce viol ou pas ?
– Mais enfin, je ne vais tout de même pas vous enseigner la différence entre un viol et une fécondation !
– Vous insinuez donc que Camille Michel était consentante ?
– Je ne sais pas, je ne fais que remplir ma mission et c’est déjà beau de ma part.
– Elle a porté plainte et s’est suicidée, mais elle était consentante ?
– Mais je n’en sais rien je vous dis ! Ce n’est pas la question.
– Monsieur Flanteau, un peu de bonne volonté je vous prie. Comment expliquez-vous cette relation sexuelle sans consentement ?
– Eh bien à votre avis ?
– Mon métier est de vous demander le vôtre, Monsieur Flanteau.
– Vous n’avez surtout rien compris. Sinon, vous ne poseriez pas cette question idiote.
– Admettons.
– C’est déjà bien de l’avouer… Je vous ai expliqué il y a cinq minutes que ma mission consistait à dépeupler cette planète des crétins qui l’habitent. D’accord ?
– D’accord.
– Donc, seconde partie logique de la mission, il faut bien la repeupler, cette planète ! Sinon, c’est la fin de l’Homme ! Ce n’est quand même pas compliqué à comprendre. En plus de nous débarrasser des parasites, je suis donc en perpétuelle recherche de femmes à féconder. Et croyez-moi, celle-ci est ma première erreur. Les autres ne m’ont jamais causé de problèmes.
– Car naturellement, il y en a beaucoup d’autres.
– Je ne sais plus exactement.
– Je commence à en avoir marre, Monsieur Flanteau.
– Je ne vous le fais pas dire ! A croire que même la Justice est tombée dans l’égarement. J’en découvre tous les jours ! Pour avoir l’espoir de réveiller l’Homme de son coma, la tentation de donner de moi-même, de mon énergie, de mon temps au nom de l’espoir de multiplier les êtres valeureux dans ce pauvre Monde, me voilà encerclé d’handicapés mentaux ! Et elle va m’accuser de quoi, la Justice ? Surplus d’amour avec intention de donner la vie ? Eh bien je plaide coupable, Monsieur le Juge. »

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