Du pillage des ressources

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Dakar, premier port de pêche d’Afrique de l’Ouest voit s’affronter deux types de pêcherie. D’un côté, la pêche industrielle qui s’appuie sur une flotte de grands chalutiers battant souvent pavillon étranger; de l’autre, la pêche traditionnelle qui s’appuie sur l’emploi de pirogues pour une pêche de proximité. Le Poisson Rouge s’est intéressé au quotidien d’un de ces artisans de la pirogue.

1- Le chantier naval de Soumbedioune :

Tous les pêcheurs dakarois vous le diront, il n’y a pas de bonne pêche sans une bonne pirogue. Et ce n’est surement pas Moussa, fabricant de pirogues, qui vous dira le contraire. Il connaît tous les aspects de ce métier sans quoi la pêche traditionnelle ne pourrait exister.

Son atelier est installé depuis cinq ans sur l’ancien jardin municipal de Soumbedioune, près du marché aux poissons de Gueule Tapée, au plus près de la mer et de ses pêcheurs. Le chantier emploie plus de vingt-cinq personnes parmi lesquels vingt charpentiers et cinq décorateurs. Parmi ces derniers, Moussa, 24 ans, a bien voulu nous faire part des différentes facettes de ce métier qu’il connaît bien.

La matière première indispensable à la fabrication de ces embarcations est bien entendu le bois. On en distingue deux types, qui ont une fonction bien particulière sur la pirogue. Le bois blanc ou samba arrive au chantier entièrement débité et écorcé par planches d’environ 8 mètres. Ces planches servent à former l’armature de la pirogue, appelée aussi serpentin, dont la durée de vie varie entre 5 et 7 ans. Au-delà de cette date, le bois pourrit et devient inutilisable. La coque de la pirogue est réalisée avec du bois rouge, peu putrescible, et durci au feu. Ainsi, le travail du bois est facilité, et est protégé contre les insectes xylophages. On creuse des troncs de plus de 20 mètres à l’aide de ciseaux à bois afin de lui donner la forme voulue. La coque est nettement plus résistante que l’armature et possède une durée de vie de plus de quinze ans. Moussa nous révèle qu’il faut « cinq jours aux charpentiers pour réaliser la pirogue et que le ponçage et la peinture, dont il a la charge, me prend aussi cinq jours »

poisson rouge

Le ponçage et la peinture se déroulent en plusieurs étapes, une fois la coque et l’armature terminées, Moussa ponce une première fois la coque « à l’aide d’une disqueuse car c’est plus facile et plus rapide » nous confie-t-il, « puis on passe une première couche de peinture blanche que l’on laisse sécher ». Un nouveau ponçage de la coque constitue la troisième étape. Mais, il est réalisé à la main cette fois-ci pour un travail de précision, avec du papier de verre. C’est enfin qu’apparaît la véritable spécialité de Moussa, la peinture des motifs. Ils sont choisis par le propriétaire, et orneront la pirogue.

Ces motifs ne sont pas choisis au hasard et possèdent une véritable signification. Ils sont le fruit de décennies de réflexions des familles de pêcheurs qui voient en eux un moyen de rendre hommage à leur ancêtres et d’éloigner le mauvais sort. Moussa nous explique que « son propre grand-père, ancien tirailleur sénégalais, avait choisi les couleurs bleu et blanche pour son navire et avait choisi des motifs américains en souvenir des soldats aux côtés desquels il s’était battu ».

La taille des pirogues construites à Soumbedioune est variable et dépend des exigences du propriétaire qui a à sa charge le coût des matériaux utilisés par les artisans du chantier. La plupart des pirogues n’excèdent pas 8 mètres de long et permettent aux pêcheurs de s’aventurer à 5 ou 6 miles des côtes. Mais certaines pirogues dépassent les 15 mètres et permettent à leurs propriétaires de s’aventurer plusieurs jours en haute mer.

Le coût de fabrication d’une pirogue traditionnelle de 8 mètres s’élève à 700 000 FCFA et le chantier la facture à 1 000 000 de FCFA au propriétaire. Moussa nous révèle gagner entre « 25 000 et 30 000 FCFA par pirogues fabriquées », mais il lui arrive de toucher des bonus. Reconnu par les pêcheurs comme un des meilleurs dans son domaine, il est parfois engagé à l’extérieur de Dakar sur des chantiers de la côte, pour faire profiter de son art : « on me demande même jusqu’à Saint Louis ou à Serrekunda en Gambie ».

Gage de qualité s’il en est, un conseiller du président du Sénat Pape Diop, a fait construire sa pirogue familiale à Soumbedioune.

La pêche au Sénégal, en chiffre :

 

  • Environ 15 000 pirogues étaient en activité au Sénégal en 2010.
  • Plus de 75% des apports nutritionnels en protéines d’origine animale proviennent du poisson.
  • La pêche artisanale génère 600 000 emplois direct ou indirect dont deux tiers sont occupés par des femmes.
  • 30% des exportations du Sénégal sont des produits de la pêche, plaçant ce secteur en tête des exportations.
  • Près de 70% des produits de la pêche du Sénégal sont expédiés vers l’Europe. En 2009 le montant des exportations s’élevait à 15,5 milliards d’euros pour l’année.
  • Entre 2003 et 2011, les piroguiers ont enregistré une baisse de 16% des captures.

 

2- La Pêche artisanale menacée par les chalutiers étrangers

Le chalutage consiste à racler les profondeurs des mers, et ce pouvant aller jusqu’à 1.000 mètres. Cependant les chalutiers ne s’interdisent pas de racler également les faibles et moyennes profondeurs, menaçant années après années, les réserves halieutiques du Sénégal. Voyant les risques qu’entrainent la surpêche, le gouvernement sénégalais avait interdit ses eaux territoriales aux chalutiers étrangers. Cette action devait ainsi préserver les ressources en poisson du pays.

Pour contourner la réglementation internationale qui protège les eaux territoriales sénégalaises de la surpêche, des Etats européens ainsi que la Chine, ont formé des sociétés de pêches mixtes de droit sénégalais. En apparence, à majorité sénégalaise, ces entreprises sont en fait aux mains de leurs associés. Ainsi, les bateaux franco-sénégalais, ou sino-sénégalais, peuvent pêcher dans les eaux territoriales sans avoir à respecter les limites imposées aux navires étrangers. C’est la terrible corruption des autorités sénégalaises qui a permis la création de ces sociétés.

poisson rouge

La pêche illégale frappe aussi le Sénégal. Ce sont les pêches INN, c’est-à-dire illicites, non déclarées et non règlementées. Depuis plusieurs mois, des bateaux, russes, géorgiens et ukrainiens, poursuivent leurs activités sans que la marine sénégalaise ne parvienne à les chasser durablement des eaux territoriales du pays. En février, Greenpeace s’était alliée aux artisans pêcheurs sénégalais pour protester contre la présence illégale de chalutiers dans les eaux territoriales du pays. Ils avaient ainsi éclairé la société civile sur les conséquences de la surpêche pour les piroguiers. Ils avaient également suivi un chalutier battant pavillon russe, présent illégalement dans les eaux sénégalaises. Cette action, avait permis à la célèbre ONG d’obtenir des informations sur les pratiques utilisées lors des pêches INN.

Face à ces concurrents d’acier, les piroguiers n’ont que peu de chance de se maintenir dans la course. La raréfaction du poisson se fait sentir jusque sur les étals des marchés. La diminution des captures obligent les pêcheurs à aller plus loin et plus longtemps. Mais malgré l’effort supplémentaire, peu d’entre eux parviennent à compenser cette baisse. Certains n’arrivent même plus à rembourser le prix de l’essence d’une seule sortie en mer.

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4 commentaires sur “Du pillage des ressources

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