L’avortement remis en cause : décryptage

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C’est à la mode, que voulez-vous. Remettre en cause les innombrables acquis sociaux ou politiques français est devenu la grande tendance des années 2007. Après les incessantes attaques contre le droit de grève, la légitimité syndicale et l’abolition de la peine de mort, l’extrême droite hexagonale s’illustre encore aujourd’hui dans un combat ridicule autant que dangereux : celui de l’avortement. Pour ceux qui pensaient que le droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse était définitivement acquis et digéré, la pillule (hum hum) est dure à avaler.

Le discours « pro-vie » banalisé
Le 22 janvier 2012 (hier) se déroulait ainsi à Paris la 8ème édition de la Marche pour la vie (comprenez anti-avortement), rassemblant cette année encore plusieurs milliers de participants. Catholiques intégristes légèrement hallucinés, politicards hasardeux venus glaner quelques voix et militants d’extrême droite convaincus ont défilé entre la place de la République et le quartier de l’Opéra. Triste spectacle qui aurait pu nous faire sourire (pensez-vous, on n’avait pas vu autant de mocassins et de serres têtes depuis longtemps) s’il n’avait été le reflet d’un débat plus sérieux. Robert Ménard lui-même, éditorialiste peu scrupuleux et polémiste autoproclamé déclarait peu de temps avant dans l’hebdomadaire Valeurs Actuelles (n° 3921 intitulé « Les réacs contre attaquent ») : « Je ne comprends pas qu’on puisse être contre la peine de mort et pour l’avortement ». Drôle de pirouette qui confond délibérément deux sujets parfaitement différents, et qui assimile en quelques mots l’avortement à un assassinat. Robert Ménard n’en est pas à son coup d’essai, mais tout de même, il fallait oser.

La question de l’IVG, qui fut légalement réglée aux abords de 1980, semble aujourd’hui souffrir d’une régression inédite. Sa gestion par l’Etat laisse souvent à désirer, et les associations féministes pointent désormais du doigt les conditions dans lesquelles il est pratiqué. La loi HPST de Roselyne Bachelot (2009) a récemment renforcé ce climat de crise jamais atteint : fermetures de nombreux centres et menaces réelles sur des dizaines d’autres (Tenon, Poissy, Avicenne, Hotel Dieu à Lyon pour ne citer qu’eux) sont désormais palpables. Les mobilisations inédites qui avaient débouché en 1983 sur le remboursement partiel de l’IVG par la sécurité sociale paraissent bien loin aujourd’hui, et le manifeste des « 343 salopes » de 1971 est devenu un simple symbole historique dénaturé. Pourtant, l’heure nous apparaît de plus en plus critique, et le combat pour le droit des femmes à disposer de leur corps devrait être plus que jamais d’actualité. Si l’extrême droite chrétienne a toujours manifesté son mécontentement quant à la pratique de l’IVG, certains hommes politiques montent aujourd’hui au créneau pour faire entendre leurs positions. Hormis Christine Boutin ou Cristian Vanneste (UMP), habitués de longue date à hurler contre les mouvements féministes, il semblerait que le discours anti avortement pénètre petit à petit les sphères politiques les plus réactionnaires.

militants pro-vie poisson rouge

des militants « pro-vie » dans les rues de Paris le 22 janvier 2012

Le FN et l’épineuse question de l’IVG
Le Front National de Marine Le Pen tente, on le sait, de dédiaboliser son image depuis plusieurs années. Sur certaines questions clés, le parti essaye ainsi de faire croire à un revirement idéologique. Comme au sujet de la peine de mort, la présidente héritière du Front National botte en touche la question de l’avortement. Par peur de devoir publiquement assumer des positions terrifiantes revendiquées par sa base, elle préfère dissimuler ses ambitions dans un projet présidentiel volontairement flou. La peine de mort ? Le FN préfère consulter les Français par voix référendaire pour savoir s’il convient de la restituer. L’avortement ? De même, un référendum ferait bien l’affaire. Les questions qui pourraient lui porter préjudice dans la campagne présidentielle sont ainsi évacuées à tour de bras ; simple tactique politicienne assez efficace, qui revendique la transparence pour noyer le poisson.

Pourtant au FN, tout le monde ne semble pas prêt à baisser son pantalon aussi bas que terre : dans les rangs de la manifestation pro-vie du 22 janvier se trouvait un certain nombre d’ex-membres du Front National récemment mis à l’écart. Parmi eux Carl Lang et Martial Bild, venus au titre de représentants du groupusculaire Parti de la France. Bruno Gollnisch, député européen FN et membre du comité central du parti avait quelques jours avant affirmé son « entier soutien » à la manifestation, tout en regrettant de ne pouvoir y participer. Sur le site du parti, son communiqué de presse stipulait qu’ « heureusement, des résistances à la Culture de Mort se manifestent de plus en plus. La Marche pour la Vie en est une démonstration importante et non partisane qui permet de rappeler la nécessité de respecter la vie humaine, de sa conception à sa mort naturelle. Je m’associe à ses finalités et j’apporte mon entier soutien à ses organisateurs et à ses participants. » Si Marine Le Pen avait prévenu quant à elle les médias qu’elle ne soutenait pas la marche, elle avait aussi assumé pleinement le fait qu’ « il y aura un certain nombre de cadres et d’élus du FN qui s’y rendront » (AFP)…

Dans son programme publié pour 2012, le FN de Marine Le Pen dévoile aussi une savante pirouette dialectique : « Le libre choix pour les femmes doit pouvoir être aussi celui de ne pas avorter »… Charmant effet de langage qui ne fait que tourner une fois de plus autour du pot, mais qui insidieusement préconise un ralentissement, voire un abandon de l’IVG. Devant les micros, la présidente du Front National affirme en revanche une exécrable revendication : la fin du remboursement de l’IVG par l’Etat. Signalons au passage que ce remboursement n’est aujourd’hui que partiel.

La question de l’avortement, que les âmes naïves croyaient définitivement tranchées depuis trente ans, semble donc aujourd’hui subir une offensive toute caractéristique des valeurs ambiantes : remise en cause des acquis fondamentaux au niveau collectif et individuel, et tactique politique de la part du FN pour ne pas assumer pleinement des positions trop dangereuses.

Pour finir en humour, regardons ensemble cet extrait proposé par le collectif Action Discrète à la marche pour la vie, il y a quelques années.

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8 commentaires sur “L’avortement remis en cause : décryptage

  • Gauchiste !
    Ca ne doit pas nous faire oublier non plus l’attaque en règle depuis cinq ans contre les plannings familiaux, qui fait bien plus mal au droit de disposer de son corps que les manifs de cathos intégristes le dimanche.
    Comme souvent, ce ne sont pas ceux qui en parlent le plus qui en font le plus…

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  • je dirais même plus « blatte gauchiasse » pour citer l’un de nos charmants lecteurs…

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  • selon moi le droit à l’avortement n’est pas une bonne chose pour toutes les femmes. Pensez a toutes celles qui, sous la pression de leur partenaire, le subissent contre leur volonté et en souffrent. Et je ne parle pas d’une minorité.

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  • C’est le principe même d’un droit Hélène, d’avoir le choix de faire ou de ne pas faire. L’avortement n’est pas une obligation, on ne peut pas l’interdire aux unes sous prétexte que d’autres subissent des pressions..

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  • C’est vrai, un « droit » ne signifie en aucun cas que l’on doive pousser les gens à avorter. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui, personne n’est forcé à l’IVG. Par contre, interdire (ou dérembourser, ce qui reviendrait presque au même) l’avortement reviendrait à forcer les gens à enfanter. Et ça, ce serait bien plus grave.

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  • IVG : interruption volontaire de grossesse.
    Ca vous fait rien qu’on utilise le verbe « interrompre » – verbe qui suppose qu’il y ait une reprise de la dite activié – pour désigner le fait qu’on tue un bébé ?
    Bah y’a du boulot, alors…
    Perso je fais partie d’un collectif pro vie, et j’aide des femmes à mettre leur enfant au monde, parce que ni l’état, ni la société ne leur propose.
    De plus, votre site est un ramassis de verbes au conditionnels « il semblerait », d’approximations, et d’avis personnels…aucun fait, aucun, calcul.
    C’est bien de critiquer les autres, mais faudrait penser à être soi même irréprochable quand on établit une Vendetta…

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  • Pas de vendetta, juste un constat

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  • En France, le droit à l’avortement a heureusement très peu de chances d’être abrogé. En revanche aux États-Unis, la moitié des Américains sont opposés au droit à l’avortement et, dans certains états, avorter est devenu extrêmement difficile. Mais cela n’empêchera pas beaucoup de gens naïfs ou idiots de continuer à citer ce pays en exemple.

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