Pourquoi Sarkozy gouvernera avec l’extrême droite

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Les élections présidentielles se gagneront ou se perdront à sa droite. Nicolas Sarkozy en est conscient, et tente aujourd’hui de rallier ceux qui firent sa fortune en 2007 : les électeurs du Front National. Pour ce faire, les appels du pied à l’électorat nationaliste se multiplient mais ne semblent pas suffire à siffler le réservoir des voix de Marine Le Pen. Le faux débat sur la viande halal, la remise en cause des accords de Schengen et les sorties répétées de Claude Guéant ne sont que l’avant goût de ce que Sarkozy peut nous réserver au deuxième tour : une union des droites nationales. Beaucoup en ont rêvé, pourquoi ne le ferait-il pas?

L’entourage immédiat de Sarkozy, des hommes sous influence
On ne le dira jamais assez : la politique ne se fait pas que dans les discours ou dans les actes, elle se décide dans les couloirs et les coulisses. L’entourage de Sarkozy  pour sa campane de 2012 a ceci de surprenant qu’il compte un certain nombre d’individus issus des rangs de l’extrême droite française. A commencer par Patrick Buisson, dont le chef de l’Etat ne peut visiblement plus se séparer. Conseiller privilégié, membre de sa garde (très) rapprochée, Nicolas Sarkozy disait de  lui en 2007 qu’ « il est l’hémisphère droit de mon cerveau » (Libération 15/03/2012). En l’espace de cinq ans, le sinistre homme de l’ombre de Sarko a acquis une place prédominante dans la stratégie du candidat de l’UMP. Les parasites au chômage, les mangeurs de viande halal, la France forte, c’était lui. Ce charmant conseiller, transfuge des branches les plus dures de l’extrême droite hexagonale traîne derrière lui une carrière édifiante : vice président de la FNEF en 1968 (opposée aux étudiants qui se révoltaient), directeur du journal Minute dans les années 80 (journal du Front National avant la rupture avec Marine Le Pen), puis conseiller de Philippe de Villiers, il a inspiré à Nicolas Sarkozy toutes les idées réactionnaires du quinquennat : ministère de l’immigration, débat sur l’identité nationale… Celui qui avait publié les fameux livres OAS, Histoire de la résistance française en Algérie ou  L’Album Le Pen a bel et bien pris une place prédominante dans la campagne. Militant de la première heure d’une union des droites nationales, il déclarait en 1986 déjà que « Le Pen et le RPR , c’est la droite. Souvent, c’est une feuille de papier à cigarettes qui sépare les électeurs des uns ou des autres ». (Nouvel Observateur 20/11/2008).

patrick buisson poisson rouge

Patrick Buisson dans sa jeunesse, lorsqu’il travaillait au Journal Minute

Un autre visage emblématique de ce rapprochement des droites est celui de Guillaume Peltier. Jeune loup fougueux au verbe haut et à l’arrogance primaire, cet ancien villiériste convaincu (encore ?) a lui aussi fait ses classes auprès de crânes rasés et de nostalgiques notoires. Avant d’être nommé secrétaire national de l’UMP aux enquêtes d’opinions (janvier 2012), et balancés sous les feux de la rampe sarkoziste dans la campagne présidentielle, cette tête à claques (appelons un chat un chat) affiche un CV à faire pâlir Marine Le Pen : Jeunesse Action Chrétienté, Front National de la Jeunesse sous Jean-Marie, MNR sous Mégret, puis MPF sous de Villiers, le bougre a multiplié les casquettes d’extrême droite avant de finir rue de la Boétie. Aujourd’hui, on lui sert le café au siège de l’UMP et Guillaume est devenu quelqu’un de parfaitement fréquentable. La preuve, il est envoyé en première ligne sur les plateaux télé pour défendre le fabuleux bilan de son candidat préféré. Encore un qui rêve depuis toujours d’une union des droites et qui a conscience qu’il faudra bien que Sarkozy s’ouvre à la droite nationaliste pour pouvoir remporter le grand chelem.

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Guillaume Peltier au MPF de Philippe de Villiers avant de rejoindre l’UMP

La Droite Populaire, passerelle de l’extrême droite
Les meilleurs des meilleurs se cachent sous ce nom on ne peut plus populiste. La droite Populaire, groupuscule d’une cinquantaine d’élus UMP, souhaite peser comme jamais dans cette campagne présidentielle. Depuis sa fondation en 2010 autour de Lionnel Luca, Thierry Mariani et Christian Vanneste (le monsieur anti avortement de Sarkozy), elle n’a cessé de prendre de l’ampleur dans le camp sarkozyste en multipliant les coups médiatiques : apéro saucisson vin rouge dans les couloirs de l’assemblée, manifestation à Cannes contre le film Hors la loi, déclarations tempétueuses sur la délinquance roumaine… Tout y est passé. Ses différences avec le Front National ? A priori aucunes, si ce n’est l’indécrottable volonté de ses membres d’être élus à l’assemblée, chose impossible pour quiconque rejoindrait le FN. Sur le reste, la droite populaire défend à peu près le même bout de gras que Marine Le Pen, à savoir : la sécurité (revendiquée comme « la première des libertés » dans sa fameuse charte), la fin de l’immigration massive, l’identité nationale et les autres bêtises sexistes ou xénophobes habituelles. Les membres de la DP sont d’ailleurs les bienvenus dans les rangs des organisations d’extrême droite (et inversements) : au mois de février dernier devait se tenir un débat à Paris sur le thème « Peut-on raisonnablement calculer le coût de l’immigration », dans lequel devaient se rencontrer Gilbert Connard (pardon, Collard) soutien inconditionnel de Marine Le Pen,  Jean-Yves Le Gallou (FN puis MNR) et… Christian Vanneste. Annulé au dernier moment, ce débat semblait bien répondre aux attentes formulées par la Droite Populaire : créer un grand rassemblement des droites autour de l’UMP, en recentrant Nicolas Sarkozy autour des « vraies valeurs françaises ».

Lionel Luca poisson rouge

Lionnel Luca et la droite populaire contre le film Hors la loi

Un « je t’aime moi non plus » historique
L’histoire des droites en France est, comme celle des gauches, fondée sur la concurrence et non l’adversité. De programme commun, les droites n’en ont pas connu, certes ; mais dans bien des situations les formations politiques ont su s’entendre et coopérer pour œuvrer conjointement à leur projet de société, relativement semblable. Nous ne citerons ici que le Service d’Action Civique (SAC) du général De Gaulle dont pléthore de membres furent étroitement liés aux mouvances d’extrême droite dans les années 60, ou l’Union Nationale Interuniversitaire (UNI), organisation étudiante qui fait régulièrement la part belle aux militants du FNJ et du GUD malgré son allégeance envers Nicolas Sarkozy…   Quand on y regarde de plus près, il n’existe pas de frontière morale imperméable entre l’extrême droite et la droite dite classique, bien au contraire. Les droites se disputent leurs électeurs dans des frondes parfois virulentes mais se retrouvent régulièrement autour de mots d’ordre communs, comme un couple passionnel tiraillé entre haine et amour. Les programmes de L’UMP et du Front National  pour les élections présidentielles sont l’illustration parfaite de ce rapprochement idéologique :

Au sujet de l’Europe, Marine Le Pen propose la « remise en cause des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes : la France reprendra le contrôle de ses frontières ». Nicolas Sarkozy, dans son fameux discours de Villepinte affirmait que « les accords de Schengen doivent être révisés » afin de ne « pas laisser la gestion des flux migratoires entre les seules mains des technocrates et des tribunaux »

En terme d’immigration, lorsque Marine Le Pen avance qu’il faut « supprimer l’AME (aide médicale d’Etat) réservée aux migrants clandestins », le projet UMP pour 2012 explique que « L’aide médicale d’État (AME) pour les étrangers en situation irrégulière sera mieux contrôlée et recentrée sur les situations d’urgence sanitaire et sur les risques épidémiques ». Les exemples abondent dans ce sens (récidive, système universitaire, place de la famille et j’en passe) pour illustrer cette connivence élémentaire entre les propositions politiques des deux organisations. On a beau s’égosiller de part et d’autre des droites qu’on ne veut pas fréquenter son voisin, il semble aujourd’hui évident à tout un chacun que l’heure du rapprochement politique a sonné.

Une stratégie délibérée en temps de crise
Partout en Europe on observe une tendance au rapprochement entre les droites classiques et les droites extrêmes. La crise financière et sociale a précipité un processus entamé depuis des années dans certains pays européens (Italie, Hongrie etc…). Désormais, qu’on se le dise, on discute avec l’extrême droite un peu partout sur le continent. Aux Pays Bas, l’importance croissante du PVV (Parti pour la liberté) de Geert Vilders a abouti en 2010 à la formation d’un gouvernement d’union des droites nationales : les chrétiens démocrates et les conservateurs étaient dans l’obligation de conclure un accord avec ce dernier pour espérer obtenir une majorité parlementaire. En Grèce, le gouvernement de Lucas Papademos censé rétablir l’ordre social dans un pays exsangue a ouvert sa porte à quatre ministres issus des rangs du parti d’extrême droite LAOS (notons que ces ministres ont démissionné au mois de février 2012). Partout, les organisations d’extrême droite font des percées historiques au sein des parlements nationaux, et obligent ainsi les partis de droite de gouvernement à composer avec elles. Sarkozy sait très bien qu’il ne gagnera pas les élections de 2012 s’il ne laisse pas la possibilité à l’extrême droite de grignoter un bout de l’os. C’est pourquoi il pourrait rapidement proposer aux électeurs nationalistes une alliance de circonstance, avec portefeuilles ministériels à la clé

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Un commentaire sur “Pourquoi Sarkozy gouvernera avec l’extrême droite

  • Vraiment bien cet article.

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