C’est moi le patron

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L’idée avait été avancée début janvier dans l’affaire SeaFrance. Le projet de Scop, porté par la CFDT, était censé  sauver la société maritime de la liquidation totale. Faute de temps et d’accord unanime entre salariés, la proposition de Scop tomba finalement à l’eau. Pourtant cette idée avait fait naître, chez une grande partie des salariés, une espérance qui dépassait largement la simple question de la sauvegarde des emplois. Ils avaient vu dans ce projet la possibilité de se réapproprier totalement leur société dans laquelle ils avaient, pour certains, passait l’essentiel de leur vie de salarié.

Alors espoir utopique ou réalité pragmatique ? C’est la question que l’on peut se poser sur cette forme de société mal-connue et qui trouve ses racines dans les combats ouvriers du 19ème siècle.

poisson rouge

Les Scop

Au-delà même d’une simple question de mécanismes juridiques, c’est la philosophie même de la Scop qui la différencie des formes classiques de sociétés. En principe la répartition des voix aux assemblées générales se fait à hauteur de l’apport au capital. C’est à dire qu’une personne qui détient 60 % du capital de la société, détiendra aussi 60% des voix. Dans une Scop la règle est la primauté de l’homme sur le capital. Cette règle se traduit par « une personne (associé) est égale à une voix ». Les associés sont majoritairement des salariés. Ils détiennent au minimum 51% du capital (le capital est donc ouvert aux investisseurs) et 65%  des droits de vote. Le gérant qui est obligatoirement un salarié (avec indemnités de chômage en cas de licenciement) est élu pour une durée de quatre ans ou six ans maximum (4 ans/SARL, 6ans/SA) . Chaque année une A.G se tient et, en cas de désaccord majeur avec les salariés, son mandat peut lui être retiré. Le gérant a pour mission de gérer la société au quotidien, les grandes décisions stratégiques étant prises en A.G. Les répartitions des bénéfices suivent une logique de long terme et de rémunération du travail : 40% en réserve (obligation statutaire = 16% minimum), elles sont « impartageables » et servent à réaliser des investissements pour développer l’entreprise et la pérenniser. Dans une logique de partage de la VA : 40% sous forme de participation10% en intéressement, 10% dividendes.

Même si, la société coopérative et participative d’aujourd’hui a perdu un peu de son identité d’antan (jusqu’en 2010, société coopérative ouvrière de production), elle a su intéresser au-delà du simple milieu ouvrier. C’est le cas de MAGNETIC, une Scop de développeurs web qui a bien voulu nous ouvrir ses portes pour partager son expérience avec nous.

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De gauche à droite : Frank, Frédéric et Mickaël

Quartier Belleville, non loin de la station de métro du même nom, nous sommes accueillis par Frank Bresson, dirigeant de la petite structure MAGNETIC (effectif : 8 à 10). L’ambiance est détendue et la poignée de main chaleureuse. Après une petite visite rapide du propriétaire, grand open-space avec une mezzanine où se situent les bureaux de Frank et de deux autres collaborateurs, et un arrêt café dans la cuisine, pièce indispensable selon Frank au bon fonctionnement de la structure, nous entamons la discussion.

« Moi, je n’avais pas envie de monter une boite standard parce que ce n’est pas mon état d’esprit. Le côté patron pour être patron c’était pas mon trip »

Après dix années à travailler dans leur ancienne boîte dans le domaine du web-développement, Frank et son équipe sont licenciés en 2010 sans trop de ménagement « on nous a fait comprendre que la sous-traitance avait ses vertus et qu’avoir une équipe en interne était vraiment trop cher en temps de crise ». Malgré une solide expérience et un poste important, Frank se rend compte qu’il est logé à la même enseigne que les autres salariés. Mais le temps n’est pas à l’amertume. L’équipe décide donc de se réunir pour parler de l’avenir. Après avoir passé des années à travailler ensemble, doivent-ils se séparer et se lancer dans le free-lance chacun de leur côté ou au contraire, tenter de monter leur propre société ? « On s’est dit finalement que ça faisait à peu près un an qu’on voulait travailler sur des projets dans l’ancienne structure, on pensait qu’on avait de bonnes idées ». L’essentiel de l’ancienne équipe décide donc de se lancer dans l’aventure d’une nouvelle société sans trop savoir comment. Tout le monde se tourne alors vers Frank du fait de son ancien poste de directeur technique. « Moi je n’avais pas envie de monter une boite standard parce que c’est pas mon état d’esprit. Le côte patron pour être patron c’était pas mon trip ».

En cherchant de son côté, Frank entend parler des Scop. La forme semble intéressante et il décide donc d’en savoir un peu plus.« Tous ensemble on est allé à l’URSCOP (union régional des SCOP), et on a pu assister à des sessions où ils présentent ce qu’est une Scop, les statuts, les avantages […] il y avait la logique que la société appartient à tous et que chaque salarié représente une voix dans la société. Du coup je pense que ça a remotivé tout le monde et même que certains ont vu dans ce projet une évolution possible de leur vie de salarié. Ça a révélé des personnalités ». L’équipe est séduite par la forme. La question est de savoir si les clients potentiels vont les suivre.

Avec le soutien de l’URSCOP (décisif pour Frank), la Scop Magnetic est créée en juin 2010, soit deux mois après leurs licenciements. Deux ans après sa création, l’expérience est une réussite. La petite société travaille avec, en autres, la SNCF, Véolia, Orange et les associés-salariés ne semblent pas se plaindre de leurs salaires. L’un d’entre eux nous confie même, un brin revanchard, que ce succès est d’autant plus grand que le motif invoqué pour leurs licenciements était qu’il n’y avait plus de travail dans le web en France.

Élu pour quatre ans comme gérant de la Scop, Frank nous explique que cette charge est plus un mandat de confiance qu’un droit de décider. Cette idée de responsabilité l’oblige à convaincre l’ensemble des salariés sur son projet d’entreprise, ce qui est pour lui, une grande motivation. «Ce qui est intéressant aussi c’est que les rapports purement hiérarchiques s’effacent au profit de l’entreprise. Ce qui est pour moi le plus intéressant c’est qu’on réfléchit ensemble et on propose des stratégies sur les deux ans à venir ou sur les cinq ans. On se pose de vraies questions de stratégie et il y a moins ce côté parasite, je trouve, lié au pur rapport hiérarchique ». Selon Frank cette libéralisation de la parole et le dépassement des carcans structurels traditionnels de l’entreprise ont permis à certains de se révéler.

Ce redoublement de motivation de l’ensemble de l’équipe par rapport à leur ancienne structure s’explique aussi par l’aspect financier. L’un des mécanismes de la Scop est le partage des bénéfices à part égal entre les salariés-associés (une fois les réserves faites). Même si ce n’est pas la seule clés explicative de cette réussite humaine (comme nous l’expliqueront Frédéric et Mickaël), cela y participe.

« Je pense que je me posais beaucoup plus de questions avant, savoir si je voulais continuer ou pas ce métier […] alors qu’aujourd’hui je ne me pose même pas la question »

Frédéric est lui aussi l’un des associés à l’origine de la Scop. Il faisait partie de l’équipe qui fut licenciée en 2010. Il en garde d’ailleurs un assez mauvais souvenir  » Dans l’ancienne société j’ai vécu des expériences qui m’ont un peu déçu. J’avais l’impression que l’effort fourni n’était pas apprécié à sa juste valeur. En tout cas qu’il n’y avait pas forcément de retour ».

Lors des premières concertations en 2010 au sujet de la création d’une Scop, il n’est pas des plus enthousiastes « Au début j’étais un petit peu septique  sur la question de savoir s’il fallait y aller ou pas. Je me disais que la forme ne changerait pas grand-chose [..]. Je pensais que c’était un peu utopique comme système ».

Deux ans après, son regard a radicalement changé. La Scop marche bien sur le plan économique. La  plus grande implication des personnes qui participent à la Scop est due, selon lui, à deux facteurs principaux « Dans la Scop, la différence c’est que comme on discute un maximum de tout, et qu’on entend les avis de chacun et qu’on essaie de participer un maximum, s’il y a des velléités par rapport à l’orientation que doit prendre la société, bah on peut les faire entendre. Du coup, c’est plutôt une bonne chose question implication, comme ça, on n’a pas l’impression de travailler pour rien […].Et puis ce qui motive c’est que quand la société marche, on a un retour financier pour tous les salariés [..] Si un projet marche, on a une première gratification à travers le regard des gens avec qui on travaille et on sait qu’on contribue aussi à une augmentation de notre rémunération ».

Pour Frédéric, le bénéfice de cette expérience va bien plus loin qu’une simple réussite financière. La Scop lui a permis de reprendre confiance en lui et de retrouver un certain plaisir à exercer son métier « Je pense que je me posais beaucoup plus de questions avant, savoir si je voulais continuer ou pas ce métier dans cette société (NDLR : ancienne structure) alors qu’aujourd’hui je ne me pose même pas la question. Le matin je me dis pas oh merde il faut que j’aille bosser, parce que j’ai l’impression de faire quelque chose pour moi et pour la boite, vraiment dans le bon sens du terme, c’est-à-dire quelque chose de positif. C’est-à-dire pas parce que je suis obligé pour avoir mon chèque à la fin du mois ».

« Dans le cas de la Scop, c’est ta boîte, c’est ton truc. T’es beaucoup plus impliqué. C’est la différence entre être dans le bus et conduire le bus »

Mickaël a lui aussi connu les débuts de la Scop Magnetic. Adepte de la métaphore, il nous propose dès le début de la discussion sa définition de la  Scop « Effectivement tout le monde est conducteur. Mais comme tout le monde ne peut pas conduire en même temps, sinon on irait nulle part, on délègue la conduite au gérant. Par contre tu choisis l’itinéraire. Mais bon, on a tous un bâton pour lui taper dessus s’ il ne va pas dans la bonne direction (rires) ».  Lorsqu’il est licencié en 2010, et malgré une bonne entente avec son ancienne équipe, il est tenté de partir seul et de se mettre à son compte ou de changer carrément de domaine. L’idée de se relancer dans une société classique ne le séduit pas vraiment. C’est lorsque Frank émet l’idée de créer une Scop et après quelques réunions d’informations à l’URSCOP qu’il est pleinement convaincu « j’ai l’impression d’avoir trouvé  la formule qui me va ».


Mais au-delà des mécanismes légaux de la Scop, c’est la philosophie même de cette forme de société qui l’a séduit.

Avec à peu près 2000 Scop en France qui pèsent un chiffre d’affaires de 3.5 milliards d’euros, les Scop séduisent de plus en plus de monde et s’adaptent parfaitement à toute sorte d’activités et de tailles d’entreprises. On compte parmi elles le groupe Chèque Déjeuner ou la société Acôme.

Photos d’illustration et reportage-photo :Flo

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En plus

Secteurs : les services n°1

  • BTP (427 Scop) : 28,9% (ex : UTB)
  • Services (1.135 Scop) : 25,7% (ex : Chèque Déjeuner)
  • Industrie (360 Scop) : 22,8% (ex : Acôme)
  • Commerces de gros, transports et restauration : 10,2%
  • Enseignement, santé et action : 7,3%
  • Autres : 5,1%
  • Répartition du résultat et gouvernance

Une gouvernance démocratique – 1 salarié associé = 1 voix ; 51% du capital minimum et 65% des droits de vote

Une pratique de répartition des résultats dans une logique de long terme (investissement, développement ou en cas de coup dur) : 40% en réserve (obligation statutaire = 16% minimum), dans une logique de partage de la VA : 40% sous forme de participation10% en intéressement, 10% dividende

Un taux de survie supérieur aux entreprises classiques : à 5 ans, celui des Scop est de 57% quand celui des entreprises françaises en général est de 52% (source INSEE).

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5 commentaires sur “C’est moi le patron

  • Bonjour,

    Il y a quelques imprécisions dans l’article liées à la liberté dont jouisse les SCOP pour définir leur statut.
    « Cette règle se traduit par « une personne est égale à une voix » » Ce n’est pas tout à fait exact, la règle est « un associé = une voix ».Les SCOP sont assez libre pour fixer les modalités d’accès au sociétariat.

    « Dans une logique de partage de la VA : 40% sous forme de participation, 10% en intéressement, 10% dividendes. »
    C’est plus souple, la part travail (rémunération supplémentaire du travail, indépendant du statut ou non de sociétaire)est de minimum 25%. Ce qui comprend à la fois la participation et l’interessement, la différence étant, je crois, que la participation est bloquée quelques années.
    Aucune obligation de verser des dividendes aux associés. Si toutefois il y en a, elles ne peuvent dépasser la part travail.

    « Le gérant qui est obligatoirement un salarié (avec indemnités de chômage en cas de licenciement) est élu pour quatre ans »
    Pas tout à fait. Le dirigeant d’une SCOP SARL est élu pour 4 ans maximum, le dirigeant d’une SCOP SA (des entreprises plus grandes généralement) pour 6 ans maximum. Les statuts peuvent prévoir une durée plus courte.

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  • Cette partie de l’article a surtout pour but de mettre en évidence certaines généralités que l’on retrouve chez les Scop. L’idée n’est pas de rentrer dans de la pure technique juridique. Mais merci de vos précisions (j’en ajoute certaines à l’article), cela intéressera surement ceux qui veulent aller plus loin.
    http://www.apce.com/pid596/scop.html

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  • Un article extrêmement complet, très original et intéressant. J’en redemande pour le poisson rouge. Voila la presse haut de gamme que j’aimerai lire plus souvent.
    @ L SD: je crois qu’il n’est nul besoin de maîtriser la totalité des particularismes prévus par la législation pour comprendre la portée et les enjeux quasi philosophiques qu’une SCOP propose. L’enjeu ici est de montrer qu’avec une autre manière de travailler, on peut arriver à de meilleurs résultats et à un bien être essentiel.

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  • Très bon article doublé d’une vraie recherche de source originale.
    La typo reste cependant perfectible (notamment l’énumération de la fin, et le manque d’une petite intro).
    Merci pour les précisions L. S-D, je trouve qu’elles crédibilisent encore plus l’article

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  • Les scop ne sont pas les seules structures économiques proposant une philosophie de ce genre: le secteur de l’ESS (économie sociale et solidaire) comprend de nombreux acteurs partageant ces valeurs. Que ce soit les associations (plus gros acteurs employeurs du sanitaire et sociale, de l’insertion etc.), les mutuelles (celle se définissant au sens premier de ce terme), les petites et grandes coopératives aussi(Fagor est à la base une coopérative espagnole si je ne dis pas de bêtise, ou même Coopaname sur Paris)…Des alternatives existent et sont viables.
    Bon ce que je dis ne fait pas avancer le chmilblique mais souligne le fait qu’il suffit de se renseigner pour voir qu’autour de nous il existe d’autres chemins que celui de l’entreprise classique…

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