Le monde est Stone : j’ai la dette qui éclate

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Tout fraîchement installé, notre nouveau président semble vouloir se mettre rapidement au travail. Il faut dire que selon la théorie de « l’état de grâce », période pendant laquelle un président tout juste élu conserve pleinement la confiance de ses concitoyens, il ne lui reste qu’une centaine de jours pour agir en toute sérénité. Une de ses premières mesures en tant que président a été de demander à la Cour des Comptes de lui fournir un audit sur les finances publiques sous quinze jours. C’est un acte assez récurrent chez les nouveaux présidents car cela permet, sur la base de ce rapport, de dénoncer les excès du gouvernement précédent. Mais cette fois-ci il se pourrait bien, en tout cas c’est souhaitable, que cet état des lieux des comptes de l’Etat amène à l’ouverture d’un grand débat républicain sur « l’explosion de la dette publique ». Rassurez-vous, le Poisson-Rouge n’a pas été racheté par le Figaro et vous ne lirez donc pas ici les mêmes éléments de propagande et inepties habituels. Car il faut le dire, en matière de dette publique, les seuls habilités à pouvoir en parler sont les économistes et les journalistes de droite martelant encore et toujours, telle une vielle rengaine, « l’explosion de la dette est le fruit d’une explosion des dépenses publiques ».

Pourquoi aborder un tel sujet qui n’est pas des plus attractifs ? Si les révolutions arabes ont permis de rappeler au reste du monde que l’esprit de résistance n’était pas un monopole occidental, elles ont aussi permis aux médias d’éviter de parler d’une révolution au sein même de l’Europe, celle survenue en Islande (à lire l’article de l’As de Madrid ici). Cette île coincée entre le Groenland et l’Ecosse était considérée comme perdue il y a à peine trois ans, frappée de plein fouet par la crise économique de 2008. Aujourd’hui la situation est bien différente. Avec une croissance estimée à 3% en 2012-2013 (l’OCDE prévoit une période de récession dans la zone euro pour ces mêmes années), un chômage à 5.8% et un déficit public bientôt ramené en dessous des 3% du PIB, l’Island fait office de petit miraculé économique en Europe. Son « effondrement » de 2008 avait deux causes principales : une dette abyssale héritée de son secteur bancaire et un déficit public atteignant les 10% (l’une étant liée à l’autre). Mais contrairement aux autres pays de la zone euro, l’Island (les Islandais ayant été consultés à deux reprises) a décidé de lâcher le secteur bancaire, en refusant de recapitaliser les banques et ainsi d’éviter de faire peser sur l’Etat et les citoyens, comme c’est le cas en France, les imprudences spéculatives de ces dernières. Le résultat est édifiant. Si le cas Islandais ne peut être transposable à toutes les économies, il permet un premier constat indéniable. Il n’y a pas une voie mais des voies. Pourtant si les économistes médiatiques nous expliquent tous que l’Economie n’est pas une chose simple à comprendre, ils s’accordent tous à dire que la solution ultime l’est : la réduction des dépenses publiques. Drôle de paradoxe qui a donné envie au Poisson-Rouge de s’y pencher de plus près.

La dette Française.

Le Chiffre est bien connu, la dette de la France fin 2011 s’élève à 1717,3 milliards d’euros soit 85,8 % du PIB. Les raisons invoquées d’un tel montant sont bien connues elles aussi : « c’est la faute de la crise et des dépenses publiques ». Avant de nous pencher sur cette fameuse crise, il faut comprendre ce qu’est la dette de la France et ce qu’elle coûte vraiment. On lit souvent tout et n’importe quoi sur ce sujet, notamment la confusion entre le service de la dette (remboursement de la dette plus les intérêts) et la charge de la dette. Les abus de langage amènent souvent certains commentateurs à écrire que le remboursement de la dette française représente le deuxième budget de l’Etat. En vérité, la catégorie « engagements financiers de l’Etat » que l’on retrouve dans les lois de finance (répartition du budget de l’Etat) qui servent de référents n’intègrent que la charge de la dette (les intérêts). Pour estimer réellement le coût de la dette Française, il faut additionner aux intérêts de la dette le remboursement des emprunts qui arrivent à terme (sur le site de l’Agence France Trésor – institution chargée d’emprunter sur les marchés financiers – section « besoins de financement », ligne : amortissement). Pour l’année 2011, la charge de la dette s’est élevé à 46.82 milliards d’euros et les amortissements (remboursements) à 95.4 milliards d’euros. Donc c’est 142.22 milliards d’euros qui sont partis dans le remboursement de la dette. Pour comparaison le déficit budgétaire pour cette même année s’élevait à 91 milliard d’euros et le budget alloué à l’éducation de 60.5 milliards.

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Part du remboursement de la dette, budget 2011 source : CADTM

Le phénomène de la dette tel qu’on le connait est apparu en 1974 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Pour lutter contre l’inflation et selon les préceptes de la théorie monétariste (l’inflation est due à une masse monétaire trop importante), VGE décida que l’Etat devait aller chercher l’argent nécessaire aux grands projets sur les marchés financiers. Ce refus d’utiliser la « planche à billet » sera définitivement gravé dans le marbre avec l’article 104 du traité de Maastricht de 1992 (reprise par les traités de Nice/Lisbonne) qui interdit à la BCE et au Banques centrales nationales de prêter de l’argent aux Etats membres, les obligeant à émettre des obligations d’Etats sur les marchés financiers pour se financer. Entre 1978 et 2011 la dette française est passée de 21.2% du PIB à 85.8% du PIB. Ce même laps de temps a connu ce qu’on appelle la financiarisation de l’économie mondiale. La libéralisation des économies a permis d’augmenter la vélocité des échanges financiers et l’engouement pour la titrisation des créances (spéculation sur les titres de créances) et de leurs produits dérivés (notamment les assurances portant sur les ces mêmes créances mais détachables d’elles). Fin juin 2009, la Banque des Règlements internationaux estimait à 600 000 milliards de dollars le simple marché des produits financiers dérivés soit 10 fois le montant du PIB mondial. La grande majorité des échanges serait de simples transactions spéculatives. Deux mondes coexistent donc.

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Même si les chiffres peuvent être discutés, ce schéma donne un ordre de grandeur intéressant

La crise de 2008

Le schéma financier du crédit dans la zone euro se résume donc par : Prêt de la BCE aux banques commerciales à des taux réduits (actuellement 1%)/ les banques commerciales prêtent à la France à des taux entre 2% et 5% pour des emprunts sur 4 ans et plus. Ce modèle financier est devenu complétement absurde lorsque l’on regarde ce qui s’est passé entre 2008 et 2010.

En France les banques ont aussi été touchées par la crise débutée aux USA. Et même si elle a été plus limitée, le gouvernement a été obligé de venir en aide à un certain nombre d’institutions financières. C’est le cas par exemple de BNP qui a reçu en 2008 un apport en fonds propres de 2.55 Mds et en 2009 de 5.1 Mds. La première injection de 2008 était constituée de titres censés être rémunérés à 8%. Un an plus tard la BNP émet des actions de préférence (sans droit de vote et possibilité de nommer un administrateur par l’actionnaire) achetées par la SPPE, institution financière de l’Etat, qui ont servi à racheter les actions émises en 2008. Achetées à prix bas ces actions de préférence auraient pu permettre une plus-value très importante pour l’Etat. Sauf que les Banques avaient négocié une convention limitant cette plus-value. La Cour des Comptes, dans un rapport de 2009, a évalué le « manque à gagner théorique » à hauteur de 5.79 Mds d’euros dont 5.3 Mds d’euros pour les simples opérations liées à BNP « L’État n’a pas profité de l’augmentation des cours de Bourse des banques, alors que ce rétablissement est directement imputable à ses concours » estime la Cour des Comptes. Cette même année pourtant,BNP afficha 5.8Mds d’euros de profit. D’autre part, les gains mis en avant par Christine Lagarde à l’époque ont été engloutis par les prêts contractés par l’Etat (environ 9.5 Mds) pour financer ce plan de refinancement. Maintenant regardons quelles sont les premières institutions détentrices de la dette française. D’après le classement établi selon les données Thomson Reuters eMAXX, on retrouve en 5éme position la BNP et ses différentes filiales tout au long du classement. Il se peut d’ailleurs que BNP possède encore plus de titres de dette souveraine française par le biais de filiales domiciliées dans des paradis fiscaux et qui ne souffrent d’aucun impôt sur ces investissements très juteux. En résumé la France s’est endettée auprès des marchés financiers à des taux entre 3 et 4% pour financer les banques sans leur demander de contrepartie. Ce sont ces mêmes banques qui ont acheté cette dette souveraine très rémunératrice en bénéficiant à la fois de l’argent de l’Etat et d’autre part de crédit à taux réduits de la BCE. L’image du serpent qui se mord la queue semble coller parfaitement à la situation.

S’il n’y a pas de remède miracle à la question de la dette, il y a en revanche différentes solutions envisageables. Plus encore la question de la dette mériterait l’ouverture d’un grand débat ou comme le demande le CADTM, un audit citoyen sur la question. Un autre aspect qui n’a pas été abordé ici est le point de vue développé entre autres par Eric Toussaint, membre du conseil économique d’ATTAC France, ou par les « économistes atterrés » qui parle de « la crise de la recette » plutôt que de la « crise de la dépense ». Pris sous cet angle, les solutions possibles sont radicalement différentes.

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Dessin de Alex dessinateur. Blog : Alex dessin de presse

Pour aller plus loin : « la dette ou la vie ! » émission du 10/05/2012.

 

 

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