Le grand Blue

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Mai 1997. Match retour d’un duel au sommet qui entra dans la légende. Gary Kasparov, champion du monde d’échecs, affronte Deep Blue, l’ordinateur. Après six parties qui auront fasciné le monde entier, Kasparov est obligé de concéder la défaite, pour la première fois de l’histoire. La machine a enfin battu l’homme.

Les rencontres entre joueurs de haut niveau aux échecs se déroulent la plupart du temps sur plusieurs parties (comme des sets au tennis). Le nombre de parties nulles étant en effet très important, il est souvent nécessaire d’en mener plusieurs pour qu’un départage équilibré ait lieu. Dans le match retour Kasparov-Deep Blue, ce sont six parties qui ont été jouées : trois ont été nulles, Kasparov en a gagné une (la première), et perdu deux (la deuxième et la sixième).

Si l’on attribue souvent la défaite de Kasparov dans la sixième partie à la fatigue, la plupart des spécialistes considèrent que le tournant du match est la deuxième partie : alors que la position pouvait mener à une partie nulle, Kasparov abandonne. Pourquoi ? Parce que, destabilisé par deux coups de Deep Blue qu’il ne parvient pas à comprendre (un à la fin de la première partie, l’autre au début de la deuxième), il attribue à l’ordinateur une pensée stratégique supérieure.

Or dans un livre sorti le mois dernier, un des programmeurs de Deep Blue fait une révélation surprenante : un des deux coups qui auraient déstabilisé Kasparov était en fait un coup choisi au hasard, résultat d’un bug du programme informatique. Extrait :

« Un bug a eu lieu dans la partie et il se peut que Kasparov ait mal compris les capacités de Deep Blue à cause de cela. […] Il ne lui est jamais venu à l’esprit que le coup joué puisse être un bug.C’est au au quarante-quatrième coup de la première partie contre Kasparov que le bug a eu lieu. Incapable de choisir un coup, le programme s’est rabattu sur une solution de dernier recours, qui consiste à jouer un coup complètement au hasard. Cela n’a pas eu de conséquence, puisqu’il arrivait tard dans la partie, avec une position déjà perdue. […] Nous l’avions déjà rencontré une fois auparavant, dans une partie test jouée plus tôt en 1997, et nous pensions l’avoir réparé. […] Malheureusement nous avions manqué un cas »

Racontée comme cela, l’histoire prend un tour franchement différent ! Certes, pour les journaux, « l’homme battu par le hasard et un bug de l’ordinateur » aurait été moins vendeur que « l’homme battu par la machine », mais on aurait été un peu plus proche de la réalité. Encore que…

Comme le souligne le développeur, ce qui a mené Kasparov à douter, c’est le fait qu’il n’ait jamais imaginé qu’un coup de Deep Blue puisse être le fruit du hasard. Concentré dans la partie, il n’a pas su s’extraire du cadre de réflexion que lui dictait la situation. Et là, la leçon devient tout autre. Ce que cette anecdote nous rappelle, c’est que l’homme n’est grand que par sa capacité à s’émanciper du cadre dans lequel on voudrait le maintenir. Rester dans le cadre, c’est courir inéluctablement à sa perte. Une leçon qui vaut bien une défaite, sans doute.

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