Les attentats de Charlie racontés par mes textos

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Joyeux anniversaire. Ça fait deux mois aujourd’hui que «les attentats de Paris» ont eu lieu. Voici venue l’occasion de faire le point sur les soixante jours qui nous séparent de la descente à  Charlie Hebdo et de la prise d’otages de l’hyper Casher. Soixante jours puants, durant lesquels les passions se sont déchaînées pour en arriver à cette conclusion désastreuse : Marine Le Pen plane dans la stratosphère des intentions de vote et la gauche radicale est résolument incapable de sortir de la spirale identitaire dans laquelle elle s’est laissé entraîner.

Dessin de Cabu

Pour raconter ces deux mois et tenter de comprendre au mieux les réactions des uns et des autres, je fouille dans mes textos. A la base nous sommes dimanche et j’ai plutôt la flemme. Un bon vieux dimanche  gris et pluvieux sur ma banlieue parisienne. Alors je glande comme souvent, «traînant» dans les coulisses de mon téléphone portable. Une photo de vacances, un coup d’œil sur mon facebook aussi vide que ma journée : je fouille encore. Et puis je remonte le fil d’une discussion SMS déroulée au long du mois de janvier avec un copain. Entre des banalités d’usage et des blagues plutôt graveleuses («on se la met ce soir ? Je parle d’alcool, pas de zizi hein» ) mon regard accroche une série de messages au ton lourd et grave, plutôt rare dans une discussion entre potes. On est le 7 janvier et vient de se dérouler le premier épisode morbide de ce qu’on appellera froidement  «les attentats de Paris».

2015 part vraiment en couilles

Alors je me replonge dans cette journée. Maintenant je m’en souviens mieux ; c’était un mercredi, je sortais du taff sur les coups de midi. C’est ma meilleure amie (que nous appellerons Lorie) qui m’a appris la nouvelle par texto. Je me souviens que ma première réaction a été la suivante, avant même de prendre la mesure de la tuerie : j’ai pensé aux conséquences. Nous étions, rappelez-vous, en plein milieu de la «polémique» autour du livre de Houellebecq et il m’apparaissait alors très clair que cet événement contribuerait d’une manière ou d’une autre à stigmatiser encore plus «les musulmans» déjà bien  entamés par l’islamophobie ambiante.

Lorie : #carnage, #kalash, #charliehebdo

Moi : Putain 2015 part vraiment couilles

Lorie: 10 morts

Moi:  Putain les islamophobes vont se régaler

Lorie: T’es où là ? Allume ta télé c’est un truc de ouf. Maintenant ils disent 11 morts au siège de Charlie. 2 flics et 9 journalistes sur le carreau

Moi: Tiens moi au jus stp je suis dans le bus là

Même si je ne crois pas m’être trompé sur ce point, aujourd’hui je trouve assez surprenante ma première réaction face aux nouvelles : certes, les islamophobes allaient clairement surfer sur la vague d’indignation créée par l’attentat. Mais dans un premier temps, j’aurais pu aussi m’inquiéter de la situation immédiate ; c’est seulement lorsque Lorie a commencé à me donner des détails que j’ai compris que quelque chose de lourd venait véritablement de se passer.

C’est la gauche qu’on assassine

Je suis rentré chez moi et j’ai allumé la télé, comme tout le monde je suppose. C’est là que j’ai réellement pris la mesure de la situation : Charb, Cabu venaient d’être abattus. Ce n’étaient pas Zemmour, Le Pen, Finkielkraut ou Cukierman qui avaient été visés. Ce n’étaient pas les réactionnaires affirmés, ceux qui distillent la haine et portent le racisme en étendard sur les plateaux télé de France et de Navarre. Non, c’était Charb, qui sera d’ailleurs enterré au son de l’Internationale et  de Dirty old town des Pogues (deux chansons emblématiques de la «culture» ouvrière de gauche) quelques jours après. C’était Wolinski, Cabu, Tignous, Maris. Des gens qui écrivaient ou dessinaient dans une presse encore irrévérencieuse, comme l’Humanité par exemple, dont je suis lecteur.

Charb a été enterré le 17 janvier au son de Dirty old town joué par le groupe Lénine Renaud

Charb, enterré le 17 janvier au son de Dirty old town joué par le groupe Lénine Renaud

Lorie continue :

Elle: Vive la France. Charb, Cabu, Wolinski…

Moi: Oui je viens de voir ça. Ça va pas arranger nos affaires. Tous des fils de putes (les assassins)

Elle: Là je ne sais plus quoi penser mais c’est sûr que deux tarés qui abattent des gens pour venger un mec qui n’existe que dans leur tête c’est du délire

Moi: Des hommes… ça des hommes ?

Elle: Monde de fou. Je viens de voir la vidéo du flic qui se fait abattre j’ai la gerbe

Moi: C’est une horreur.

Puis j’ai envoyé un texto à mon père, ce gauchiste, pour lui apprendre la nouvelle :

Lui : Terrible nouvelle, ça va être terrible.

Moi : Mais putain on va où ? Wolinski, Charb ,Cabu…

Lui : Fascisme de toute façon, la réaction va être terrible. C’est ce que cherchent les fanatiques.

Des lendemains qui déchantent

Ces discussions sont symptomatiques du choc reçu par nombre d’entre nous ce 7 janvier. Au-delà de la violence même de l’événement (personne n’est insensible aux images de cadavres et aux exécutions sommaires), quelque chose a profondément bouleversé une partie des militants de gauche ce jour-là. Parce que pour nous, attaquer Charlie Hebdo n’était pas anodin. C’était attaquer la gauche dans son ensemble, au sens large, ses valeurs anticonformistes et son discours progressiste. C’était aussi et surtout mettre en péril le vivre ensemble précaire pour lequel nous nous battons depuis des lustres, en faisant le jeu objectif de l’extrême droite française : donner un bon prétexte aux racistes de tous poils pour plonger tête baissée dans la guerre des mondes. Et au beau milieu des fachos, des illuminés, de ceux qui se détestent pour ce qu’ils sont, il y a nous, qui ne savons pas vraiment où nous placer avec nos idéaux marxistes, nos projets collectifs et nos désirs de lutte des classes.

Un copain, dépité, m’a envoyé à son tour un texto :

Début d’une guerre civile ? Les connards d’extrême droite qui s’entraînaient depuis des lustres n’attendaient que ça en tous cas.

Si le coup porté par les djihadistes a été lourd de conséquences, la gueule de bois fut encore pire. Car quelques minutes à peine après l’attentat, les profils facebook de nombre de mes contacts, dont certains amis, se remplissaient de vindictes foireuses et agressives envers quiconque oserait défendre Charlie Hebdo. Je suis tombé de haut je l’avoue. J’ai dû être un peu naïf sur ce coup, car pour moi il était clair et net que ceux qui mènent des guerres au nom de la religion ne pouvaient bénéficier d’aucune forme de complaisance aux yeux des militants de la gauche radicale. Et pourtant…

le pen la candidate

On m’a ainsi expliqué à de nombreuses reprises que les attentats contre Charlie Hebdo n’avaient rien de surprenant, compte tenu de la ligne éditoriale «raciste» du canard ; que seuls les «bobos» étaient représentés par ses combats ; que je ne m’indignais pas suffisamment quant au sort des palestiniens mais que par contre là, comme par hasard, j’étais outré ; que de toute manière le problème était racial, et qu’en tant que blanc (donc supposé athée paternaliste)  je n’avais pas vocation à ouvrir ma gueule en ce qui concerne «la communauté musulmane». Je découvrais pour l’occasion à quel point les thématiques identitaires avaient pénétré en profondeur le petit monde des militants franciliens, sans qu’à aucun moment ils n’aient un peu de recul sur la question.

Deux mois après, ce que j’observe autour de moi ne m’enchante guère plus. Les attentats contre Charlie semblent avoir sclérosé presque définitivement les opinions. Pas une semaine ne se passe ainsi sans qu’un militant n’y fasse référence et ne pointe du doigt la gauche «blanche» ou «les charlies» pour développer des arguments essentialistes sur telle ou telle question. Il semble qu’on soit passé clairement de l’ambition collective au chacun pour soi ici aussi. On a oublié que les luttes victorieuses n’ont jamais germé sur les questions religieuses, car bien qu’elles soient intéressantes et légitimes, elles nous divisent les uns les autres.

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3 commentaires sur “Les attentats de Charlie racontés par mes textos

  • Ne pas être Charlie n’est pas une vindicte foireuse. Ce n’est pas la gauche dans son ensemble (selon moi) qui a été assassiné à Charlie Hebdo. Ne pas être Charlie, c’est considérer que rire du massacre de 2000 frères musulmans au Caire n’est pas drôle. Inutile de rappeler la Une de Charlie Hebdo qui tourne en dérision un massacre quand bien même ces « méchants islamistes » et leur leader Mohamed Morsi était le premier président démocratiquement élu de l’histoire égyptienne. Aujourd’hui la France soutient Sissi en lui livrant des Rafales, car il « lutte contre le terrorisme ». Aujourd’hui on soutient un dictateur pour lutter contre le terrorisme. Alors certes on ne tue pas pour un dessin, c’est atroce. Mais être de gauche, ce n’est pas rire d’un massacre. Ce qui est gênant dans ce pseudo « esprit du 11 janvier », c’est que cela donne une impression d’indignation sélective. Pour moi ce journal n’était pas constructif, il n’a rien fait avancer sinon creuser le fossé qui nous sépare de l’Orient. C’est pour cela que je ne me sens pas Charlie.

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  • Ne pas être Charlie n’est pas une vindicte foireuse. Ce n’est pas la gauche dans son ensemble (selon moi) qui a été assassiné à Charlie Hebdo. Ne pas être Charlie, c’est considérer que rire du massacre de 2000 frères musulmans au Caire n’est pas drôle. Inutile de rappeler la Une de Charlie Hebdo qui tourne en dérision un massacre quand bien même ces « méchants islamistes » et leur leader Mohamed Morsi était le premier président démocratiquement élu de l’histoire égyptienne. Aujourd’hui la France soutient Sissi en lui livrant des Rafales, car il « lutte contre le terrorisme ». Aujourd’hui on soutient un dictateur pour lutter contre le terrorisme. Alors certes on ne tue pas pour un dessin, c’est atroce. Mais être de gauche, ce n’est pas rire d’un massacre. Ce qui est gênant dans ce pseudo « esprit du 11 janvier », c’est que cela donne une impression d’indignation sélective. Pour moi ce journal n’était pas constructif, il n’a rien fait avancer sinon creusé le fossé qui nous sépare de l’Orient. C’est pour cela que je ne me sens pas Charlie.

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  • Personne ici ne veut exhorter les autres à « être Charlie » à tout prix. Cette histoire tenait du pur marketing, et à partir de là elle était déjà biaisée lorsque elle est apparue. En ce qui concerne l’humour de Charlie Hebdo, je vais pas te la refaire mais quand même: le bon goût et la convenance n’est pas dans leur ADN visiblement. On aime ou on n’aime pas, on a le droit. Mais on a aussi le droit d’aimer sans se faire traiter de raciste, de la même manière qu’on a le droit de ne pas aimer sans se faire traiter de terroriste. Tu dis « être de gauche, ce n’est pas rire d’un massacre ».Oui Charlie Hebdo est un journal violent, qui choque souvent volontairement par ses dessins hardcores. Mais pourquoi on n’en rirait pas en fait? Dans un journal satirique, c’est ce qu’il y a de plus sain. L’humour touche justement bien souvent à des choses affreuses pour les expier par le rire. Je me suis pissé dessus en regardant « Case départ » ou Elie Sémoune faire des blagues foireuses sur la Shoah. A partir de là…

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