Ceux qui votent

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Hier, il s’en est à nouveau fallu de peu pour que les abstentionnistes représentent la majorité du corps électoral. Il faut le reconnaître, c’est la plupart du temps pour de bonnes raisons qu’ils ne se déplacent pas pour voter. Et il me faut confesser que j’ai moi-même été parfois tenté, vue la médiocrité politique globale, d’aller à la pêche les dimanches d’élections.

Mais ce dimanche, je n’étais pas à la pêche : je tenais un bureau de vote. Le type qui a gueulé « a voté » pendant que votre bulletin tombait au fond de l’urne à moitié vide, c’était peut-être moi. Et je voudrais vous parler de ces autres qui ne sont pas allés à la pêche, et qui sont venus voter.

Il faut dire que cette cérémonie du vote peut devenir absolument fascinante. C’est là qu’on perçoit, malgré tout, ce que la République signifie, à travers tous ceux qui croient encore en la force de leur bulletin dérisoire. Les travailleurs qui viennent dès l’ouverture pour ne pas être en retard à leur boulot et les bourgeois qui viennent en fin d’après-midi après la sieste. Les sportifs qui sont encore essoufflés de leur footing et les gastronomes qui reviennent du marché avec des paniers pleins à ras bords. Ceux qui ont un peu trop arrosé leur dimanche après-midi et qui titubent un peu entre l’isoloir et l’urne. Ceux qui ne savent pas écrire. Ceux qui ne savent pas lire. Ceux que le grand âge empêche de marcher aussi bien qu’avant, et qui doivent se tenir à leur déambulateur pour réussir à glisser leur enveloppe dans la fente. Et puis, on les repère tout de suite, ils sont un peu perdus, et leur regard brille légèrement plus que les autres quand ils entendent « a voté », ceux qui votent pour la première fois.

Il y a quelque chose qui tient de la pensée magique dans la conviction que ce geste insignifiant peut permettre de changer quelque chose. Mais ce sont des millions de convictions qui rendent la démocratie concrète. Comme l’a si bien montré Terry Pratchett, qui nous a quitté il y a dix jours, une chose existe dès lors que quelqu’un croit en elle. Et pour que notre démocratie, qui va si mal, écartelée entre la montée d’un fascisme repeint en bleu Marine et la désillusion d’une fraction croissante du peuple, perdure, peut-être faut-il reprendre confiance en elle. Alors, dans les moments de doute, passer un peu de temps dans un bureau de vote est peut-être le meilleur moyen de soigner la crise de foi, tant il est difficile de rester insensible à l’assurance tranquille de ceux qui votent que la République existe et qu’elle vaut le coup d’être défendue.

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2 commentaires sur “Ceux qui votent

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