OXI : Le NON doit l’emporter, pour la Grèce et pour l’Europe !

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Quel que soit le résultat du référendum, ce dimanche 5 juillet 2015 promet d’être un jour historique en Grèce. Si le OUI l’emporte, les politiques d’austérité continueront de s’abattre sur la Grèce, finissant d’achever un pays qui a déjà payé plus que quiconque le prix de la crise, comme Poisson Rouge vous l’expliquait ici. Il est donc indispensable que le NON l’emporte, si possible avec un écart significatif. Petits arguments en faveur du NON.

L’austérité tue toutes les composantes de la production de richesse nationale

En comptabilité nationale, le Produit Intérieur Brut (PIB, soit la somme des richesses produites chaque année dans le pays, noté Y) est égale à la consommation des ménages (C), l’investissement des entreprises (I), la dépense de consommation finale du gouvernement (G) et les exportations nettes des importations (X-M). Cela donne la fameuse équation qui introduit n’importe quel cours de macroéconomie :

Y = C + I + G + (X-M).

Pour mesurer les conséquences économiques de l’austérité, il est donc intéressant de regarder la trajectoire de chacune des composantes du PIB (graphique 1).

Le PIB et ses composantes en milliards d’euros constants (prix 2010).

Le PIB et ses composantes en milliards d’euros constants (prix 2010).

Source : Ameco (base de données macroéconomiques de la Commission européenne)

Comme on pouvait s’y attendre, chacune des composantes du PIB plonge depuis le début de l’austérité, à l’exception de la balance commerciale. Si cette dernière semble se rétablir, c’est néanmoins pour de mauvaises raisons : l’effondrement de l’économie grecque induit une baisse très importante des importations, mais les exportations, elles, ne se rétablissent pas.

Les revenus fiscaux baissent, la dette augmente

 L’effondrement de la production de richesse signifie moins de recettes fiscales pour l’État et donc, une moindre capacité à rembourser ses dettes, pourtant l’objectif officiel des politiques d’austérité. Le solde budgétaire s’améliore, mais uniquement parce que les dépenses diminuent plus vite que les recettes, qui baissent aussi (graphique 2). Comme on l’a dit ailleurs, les politiques d’austérité, c’est un peu comme si votre banquier vous disait de gagner moins pour rembourser plus.

Recettes et dépenses totales de l’État et solde budgétaire, en milliards d’euros constants (prix 2010)

Recettes et dépenses totales de l’État et solde budgétaire, en milliards d’euros constants (prix 2010)

Source : Ameco

 Conséquence, la dette continue d’augmenter (graphique 3), après la baisse de 2012 due à la restructuration de la dette publique grecque [1].

Idem pour les ratios dette sur PIB, dette sur recettes totales de l’État et dette sur patrimoine public (graphique 3). Ce dernier ratio a considérablement augmenté avant la restructuration de 2012, et continue probablement d’augmenter depuis étant donnée la trajectoire de la dette après 2012 (malheureusement les données sur le patrimoine public grec ne sont pas disponibles au-delà de 2012). Cela signifie que l’endettement de l’État n’a pas servi à augmenter la richesse publique, mais plus probablement à rembourser… la dette et à payer les intérêts de celle-ci (pour une analyse des origines de la dette, voir la contribution de Michel Husson à l’audit citoyen de la dette grecque).

Dette publique grecque en milliards d’euros et en pourcentage du PIB, du patrimoine public et des recettes de l’État.

Dette publique grecque en milliards d’euros et en pourcentage du PIB, du patrimoine public et des recettes de l’État.

Sources : Ameco, Eurostat

Ces ratios nous apprennent trois choses :

  • Si la société grecque décidait d’allouer l’ensemble de la richesse produite sur une année au remboursement de la dette, elle aurait besoin de le faire deux années de suite (pendant ce temps-là les Grecs devraient donc vivre d’amour et d’eau fraiche, ce que les créanciers semblent penser tout à fait faisable).
  • Si l’État grec décidait d’aller au-delà des fantasmes les plus fous des créanciers et de vendre l’ensemble de ses actifs, il devrait le faire au moins 2,5 fois pour rembourser l’ensemble de la dette. Problèmes : on ne peut pas vendre la même chose deux fois, et le prix est endogène à la vente, ce qui signifie que le prix baisse à mesure que l’on vend ses actifs, aggravant en réalité la charge de la dette (« la dette-déflation »).
  • Si l’État grec décidait d’allouer l’ensemble de ses recettes au remboursement de la dette, il devrait le faire quatre années de suite. Problèmes : l’austérité absolue ainsi mise en œuvre détruirait encore plus l’économie grecque, baissant les recettes, aggravant encore la charge de la dette… et l’État devrait s’endetter dans le même temps pour payer au moins les salaires des fonctionnaires, à moins que ces derniers ne travaillent gratuitement (on est presque surpris que les créanciers de la Grèce ne l’aient pas encore exigé).

Conclusion : la dette grecque est insoutenable, et même en appliquant une austérité d’une sévérité encore bien supérieure, elle ne pourrait pas être remboursée. Seul un effacement partiel ou total peut régler la situation, effacement qui, en réalité, ne coûterait pas cher à des créanciers ayant déjà beaucoup gagné grâce à la dette publique grecque.

Ces calculs d’apothicaires n’incluent pas les intérêts sur la dette, que l’État devrait bien sûr continuer de payer… en s’endettant.

 Les intérêts sur la dette ne diminuent plus

 Si les intérêts sur la dette grecque continuent de baisser légèrement depuis 2013, leur valeur absolue est partiellement une illusion (graphique 4). En effet, si on les met en rapport avec les recettes totales de l’État, on voit en réalité que leur poids ne diminue pas, et même qu’il augmente depuis 2013, parce que les recettes diminuent plus vite. On voit également qu’ils occupent un poids de plus en plus important dans les dépenses de l’État, ce qui signifie que ces sommes ne sont pour la plupart pas reversées dans l’économie grecque. Cela vient s’ajouter à l’austérité budgétaire destructrice pour l’économie grecque. Enfin, on voit également que le poids des intérêts relativement à la richesse produite annuellement par l’économie grecque ne diminue plus non plus. Les intérêts nourrissent donc la spirale mortifère dans laquelle la Grèce est engagée, et expliquent par ailleurs une bonne partie des origines de la dette publique grecque (voir l’article de Michel Husson)

Intérêts sur la dette publique grecque en milliards d’euros et en pourcentage du PIB, des recettes et des dépenses de l’État.

Intérêts sur la dette publique grecque en milliards d’euros et en pourcentage du PIB, des recettes et des dépenses de l’État.

Source : Ameco

Montrer qu’il est possible de construire une autre voie en Europe

L’enjeu du référendum est bien sûr aussi politique. Les technocrates de la Troïka ne doivent plus se sentir tout puissants à l’égard des décisions démocratiques. Par ailleurs, il est primordial de montrer qu’il existe une autre voix que celle du Néolibéralisme [2]. Une victoire du NON serait un signal fort envoyé aux forces progressistes en Grèce et en Europe, en particulier en Espagne où la prise de pouvoir de Podemos dans les mois prochains n’est plus une utopie. Les créanciers de la Grèce sont parfaitement conscients de ce « danger ». C’est la raison pour laquelle le gouvernement Tsipras doit faire face à une violence extrême de leur part. Ils sont prêts à beaucoup pour se débarrasser d’un gouvernement progressiste, y compris à encourager une panique bancaire comme on l’a vu ces derniers jours.

L’enjeu de ces « négociations » est donc bien plus politique que financier. S’il ne s’agissait que d’une histoire de gros sous, il y a belle lurette que cette affaire serait réglée. Mais il s’agit en réalité d’une lutte politique entre deux projets antagonistes : d’une part le projet néolibéral qui préside à la construction de l’Union européenne depuis ses origines, d’autre part l’établissement d’une réelle social-démocratie (on ne parle même pas de dépassement du capitalisme !). Les « négociations » entre la Grèce et ses créanciers sont avant tout une lutte entre forces progressistes et réactionnaires.

Renforcer l’UE-scepticisme progressiste

La victoire du NON donnerait également du poids à la critique progressiste de l’Union européenne. L’établissement d’une vraie social-démocratie est quasiment impossible dans le cadre institutionnel actuel de l’euro et de l’Union européenne.

Les règles sur les dettes et déficits publics inscrites dans les Traités – dénuées de tout fondement économique – interdisent de mener des politiques économiques simplement keynésiennes et par conséquent, de mener des politiques économiques de gauche. Le dogme de la « concurrence libre et non faussée » comme principe idéologique fondamental de l’UE conduit à la destruction progressive des États providences au profit de la marchandisation toujours plus grande des sociétés, via notamment les privatisations et le démantèlement progressifs des services publics et des systèmes de solidarité nationale.

En outre, la conjonction des règles budgétaires et concurrentielles de l’UE et l’interdiction du financement des dépenses publiques par la Banque centrale empêche les états de mener une véritable politique industrielle à même de diminuer les déséquilibres internes de la zone euro. Pour la Grèce, cela signifie qu’il ne sera probablement pas possible de rebâtir une véritable structure productive comme base de son économie. Ce que nécessiterait pourtant un maintien dans la zone euro. Il est vrai que la Grèce a profité de l’euro en pouvant emprunter à bas coût pendant des années. Néanmoins, cet argent n’a pas été utilisé pour renforcer l’économie grecque par les gouvernements successifs de la droite et du parti socialiste grec, qui ont cultivé une économie rentière et un système corrompu et clientéliste. À cet égard, le gouvernement Tsipras, qui a déjà pris plusieurs mesures contre la corruption et pour améliorer la collecte des impôts, est le premier gouvernement raisonnable au pouvoir en Grèce.

Enfin, en construisant une zone de libre circulation des marchandises et des capitaux, on jette les peuples les uns contre les autres, car il est impossible de faire une politique favorable au plus grand nombre si les capitaux (en particulier les capitaux à court-terme) sont libres de circuler. La libre circulation des capitaux est une prime au moins-disant social, le capital finissant toujours là où le travail n’a pas son mot à dire. En d’autres termes, la « flexibilité » du marché du travail est un corollaire inévitable de la libre circulation des capitaux. Keynes l’avait déjà pressenti en son temps, et se prononçait pour une libéralisation des échanges humains et culturels et une stricte régulation des échanges marchands et financiers.

Aujourd’hui, il n’est pas certain que l’Union européenne et l’euro servent le projet européen. Pire, il est possible qu’ils lui nuisent. Aujourd’hui, être « UE-sceptique » [3], c’est être véritablement pro-européen.  L’UE n’est pas l’Europe, bâtir une autre Europe, par et pour les peuples, passera peut-être par une déconstruction préalable de l’Union européenne. Un NON au référendum grec pourrait constituer une première étape dans cette direction.

Si le NON l’emporte…

Si le NON l’emporte, les lendemains ne chanteront pas pour autant, mais les perspectives politiques seront toutes autres. À condition, tout de même, que Tsipras et Varoufakis se servent du résultat pour opérer une vraie rupture avec les créanciers ; et non pas seulement pour les persuader de signer un accord sur la base des propositions grecques de ces dernières semaines. Ces propositions sont déjà (trop) pleines de concessions et vont bien au-delà des « lignes rouges » que Syriza s’était fixé.

Souhaiter une vraie rupture n’est pas faire du gauchisme primaire. C’est une question de survie pour le pays, comme Poisson Rouge l’a expliqué, non seulement pour la Grèce, mais aussi pour l’Europe. Cette rupture signifie-t-elle forcément sortir de l’euro ? À moins d’un revirement spectaculaire des créanciers, il semble que ce soit la suite logique, et désormais souhaitable à condition qu’elle soit planifiée, assortie d’un défaut sur tout ou partie de la dette publique. Rebâtir l’économie grecque dans l’euro semble impossible, pour des raisons que l’on avait expliquées par là. Resteraient les obstacles institutionnels de l’UE rappelés dans cet article, qui devront faire l’objet d’une lutte âpre pour être réformés complètement. Une sortie de l’euro n’est pourtant pas la ligne de l’aile droite de Syriza et du gouvernement Tsipras, qui semblent désormais prêts à accepter (presque) tout en échange d’une restructuration d’une partie de la dette grecque. Quoi qu’il en soit, un deuxième coup de semonce contre l’Europe néolibérale, après le NON de gauche au référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005, est plus que jamais nécessaire. Combien de fois faudra-t-il dire NON pour que l’Europe des peuples se fasse ?

[1] Rappelons qu’à l’époque, la restructuration de la dette publique grecque a d’abord bénéficié aux créanciers. Si la Grèce avait fait défaut, la qualification en « événement de crédit » aurait obligé les banques et autres institutions financières qui avaient vendu des produits dérivés d’assurance sur la dette grecque (comme les credit default swap) à dédommager les acheteurs de ces produits (d’autres banques et institutions financières). La restructuration de 2012 a donc permis aux créanciers d’éviter de faire face au déclenchement des produits dérivés sur la dette grecque et a peut-être évité une nouvelle crise financière potentiellement systémique.

[2] On tente souvent de disqualifier l’usage du terme « Néolibéralisme » pour décrédibiliser celles et ceux qui l’utilisent. Même s’il n’existe pas de définition canonique, il est donc important de préciser ce que recouvre ce terme. En première approximation, on peut dire que c’est un type particulier de capitalisme qui se caractérise par une dépossession des citoyens de leur pouvoir politique au profit du marché, en particulier par le recul de l’État providence et l’émergence d’un État purement organisateur de la concurrence, et par la facilité croissante des acteurs du marché de transformer leur pouvoir de marché en pouvoir politique ; enfin, par la montée de la finance comme secteur dominant de l’économie et comme principe organisateur de la gestion des entreprises non financières. L’usage du terme Néolibéralisme n’est donc pas gratuit. Il désigne un régime politique et économique précis : l’identifier clairement est une condition sine qua non pour en mener la critique et lutter contre ses dynamiques régressives.

[3] À opposer au terme fourre-tout de « eurosceptique », qui permet de décrédibiliser la critique de l’Union européenne et de la zone euro en confondant allègrement critique progressiste pour une Europe sociale et internationaliste et critique réactionnaire et xénophobe simplement contre l’Europe et toute forme d’internationalisme.

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6 commentaires sur “OXI : Le NON doit l’emporter, pour la Grèce et pour l’Europe !

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