Problème de toit (vu de dessous)

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Vivre sous son propre toit, au chaud, avoir un chez soi, pouvoir se débrouiller seul, vivre sa vie sans ses parents, être indépendant… Ce sont des aspirations légitimes pour un jeune adulte. Si tu es allé à l’école, que tu as suivi des formations, que tu as eu des parents qui t’ont aidé, tout est réuni normalement pour que ta transition vers la vie d’adulte se passe en douceur. Seulement voilà, c’est vrai pour quelques privilégiés dont je fais partie, mais un grand nombre de gens n’ont pas eu la chance de vivre cet enchaînement chanceux qui devrait pourtant être naturel.

Voici l’histoire simple et dramatique, d’une de ces jeunes adultes, qui eu ce genre de parcours dans sa jeunesse : éducation, parents présents… Elle a rempli son contrat et, désormais jeune adulte, elle a le droit de commencer à vivre sa vie dans le monde, libre. Sauf que ce droit est bafoué par une société qui a perdu son sens de la solidarité, dépassée par les cupidités individuelles.

Elle était coiffeuse dans un salon du Val de Marne, gagnait sa vie et survivait dans sa banlieue avec sa petite paye. Quelque chose est arrivé dans son couple, sous sa volonté ou pas, peu importe, un enfant est né. Cet enfant, le mari ne le voulait pas, et n’a pas pu l’assumer. Il est parfois difficile de penser en adulte quand on sort à peine de l’insouciance de l’enfance. Le mari n’a pas pu s’entendre avec sa femme, elle n’a pas réussi à lui faire entendre raison et ils se sont séparés, lançant une procédure de divorce. Ce sont les aléas de la vie me direz-vous.

Le problème c’est que notre société n’accepte plus ces aléas. L’enfant est né, et il a fallu s’occuper de lui, seule. Les premiers mois, la société assure encore, mais au bout d’un certain temps il faut retourner au travail, pour gagner sa vie, tout simplement. La question de la garde du bébé se pose donc. On pourrait penser que pour une jeune femme seule, il doit y avoir des places prioritaires. Mais non, la société solidaire est un vieux rêve qui n’a plus cours. La société d’aujourd’hui est débordée.

Les mois passent et il n’y a pas de place où que ce soit pour le bébé. Il est en file d’attente dans les crèches, il n’y a plus de nourrice à un prix abordable dans le quartier ni même au-delà. L’argent commence à manquer, il faut très vite que la jeune femme retourne travailler. De ce côté-là, sa situation est un peu meilleure : elle a une place dans son salon de coiffure, ils l’attendent. Le bébé grandit et doit déjà changer de lit , mais toujours pas de place en garderie. La mère, elle, ne peut plus payer son loyer, et est obligée de retourner vivre chez ses parents dans l’attente d’une place en crèche pour son petit.

Dans le même temps, la procédure de divorce engagée coûte de l’argent et du temps. Elle fait toutes les démarches pour avoir droit aux aides aux mères seules, va voir les associations. Mais là encore rien n’avance, les réponses n’arrivent pas. La petite ville de banlieue où elle habite est sans doute trop loin des belles promesses de la capitale. Elle a conscience qu’elle n’est pas seule dans cette situation : parmi les femmes comme elles, certaines s’en sortent, en provoquant des scandales pour obtenir ce qui leur revient de droit, mais d’autres craquent, ou pire encore. Elle, elle est très forte, elle résiste et continue de se battre dans son bon droit pour essayer de s’en sortir. Elle ne veut pas se changer pour obtenir ce que la société lui doit, elle reste elle-même, fidèle à ses valeurs, et elle a raison.

Parce que notre société ne permet plus de réparer les erreurs familiales, cette jeune femme est coincée : tant qu’elle n’aura pas de place en crèche pour son petit, elle ne pourra pas travailler et donc pas se payer un chez elle, se payer sa vie, sa liberté. Elle est en prison, aucun lien ne semble se desserrer. Plus le temps passe et plus sa situation est difficile. Le pire, c’est que sa situation ne devrait pas exister si certains droits essentiels étaient respectés : droit au travail, droit au logement, et peut-être au dessus de tous, fondamental, droit de pouvoir mener sa vie librement même avec un enfant, ce qui implique forcément un droit à la garde de son enfant. Aujourd’hui, le droit au travail est remis en cause au nom de l’économie de marché et d’une pseudo liberté d’entreprendre. Aujourd’hui, le droit au logement est remis en cause pour le bénéfice de quelques profiteurs. Mais rien ne peut ni ne doit justifier la remise en cause du simple droit à une place en crèche pour des enfants. Et ce d’autant plus que le respect de ce simple droit suffirait à sortir notre jeune mère de sa précarité dramatique.

Dans cette société si riche et si inégalitaire, les puissants ont tendance à oublier trop souvent le droit de chacun de vivre dignement. La situation de cette femme, volontaire, combattant l’injustice avec ses modestes armes est indigne d’une société qui a vu naître les idées des Lumières il y a deux siècles. Le rôle d’une société, d’un Etat, d’un gouvernement, ce n’est pas de rassurer les marchés financiers, c’est de donner à chacun de ses citoyens une liberté toujours plus grande dans ce monde. Le système capitaliste prive les hommes de leur liberté, et les prisons d’argent agréables de quelques privilégiés ne justifieront jamais les prisons de misère de tous les autres.

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