"Le plus percutant et le mieux réussi des romans d'Hitler"

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Norman Spinrad est un auteur américain connu pour son goût de la provocation. En 1972, avec son roman le Rêve de fer, il réussit sans doute le coup d’éclat littéraire le plus impressionnant de la seconde moitié du vingtième siècle, en publiant un roman signé Adolf Hitler.

Sous le titre le Rêve de fer se cachent en fait à la fois un roman et une mise en contexte uchronique. Cette mise en contexte nous explique qu’un certain Adolf Hitler, né en Autriche et ayant émigré aux États-Unis en 1919 serait un auteur reconnu de science-fiction. Un de ses romans, le Seigneur du Svastika, aurait notamment connu un succès public et critique important. Et c’est précisément ce roman qui est finalement le cœur du livre de Spinrad.

Le Seigneur du Svastika raconte l’ascension au pouvoir de Feric Jaggar, Purhomme né dans la République de Heldon, mais ayant grandi en Borgravie. Là-bas, il vit au milieu des mutants et en particulier des Dominateurs, qui peuvent contrôler les autres par la simple pensée. Retournant dans son pays d’origine, qu’il imagine pur de toute souillure, il constate que les Doms s’y sont insidieusement installés et préparent, commme ils l’ont fait ailleurs, l’avilissement de la belle civilisation heldonienne. Il décide donc d’œuvrer pour le rétablissement de la pureté génétique, trouve rapidement des soutiens à la fois politique et militaire, puis gagne l’ensemble de la population à ses idées, au moyen de cérémonies impressionnantes, mettant en scène le symbole de son mouvement : la svastika. Arrivé au pouvoir, déclare alors la guerre aux Doms, et la bataille s’engage.

On comprend donc que ce roman est l’expression d’un fantasme nazi poussé jusqu’à l’absurde : Feric Jaggar est l’homme providentiel, attendu et acclamé par toute une nation, les Purhommes sont des combattants supérieurs qui permettent l’éradication de la gangrène des Doms, qui représentent évidemment les Juifs. Mais derrière ce roman grotesque reste toujours en filigrane le fait que Feric Jaggar n’est finalement rien d’autre qu’une représentation romanesque du véritable Adolf Hitler, celui qui n’est pas devenu auteur de science-fiction mais chancelier du Troisième Reich. Et dès lors, tout ce qui paraît grotesque dans le roman, notamment les cérémonies aux flambeaux au cours desquelles est adorée la svastika, et dont le nombre de participants croît exponentiellement au fil de l’intrigue, prend une dimension nettement plus inquiétante. La première pensée que l’on a à la lecture du roman est que tout est ce qui y est décrit est si caricatural que ça ne pourrait jamais arriver en vrai, mais on réalise rapidement que la caricature n’en est pas tellement une, et que tout ça est bel et bien arrivé.

C’est là un des tours de force du livre : il arrive à mettre à jour toute l’absurdité de l’idéologie nazie, et la met en pièces avec une simplicité et une efficacité étonnante, tout en rappelant que malgré cette absurdité et cette incohérence, il fut un temps où cette idéologie a pris le pouvoir dans un pays. Il rappelle que si l’aspect folklorique du nazisme, et en particulier toute l’homosexualité latente qui s’y cache, peut prêter à sourire au premier abord, ce qu’il y a derrière, et qui est autrement plus terrible, en est indissociable. Ce que montre le livre, c’est que le combat antinazi passe peut-être avant tout par un combat contre l’imaginaire et le folklore plutôt que par un combat purement politique.

L’utilisation subtile par Norman Spinrad des éléments du contexte uchronique lui permettent de joindre les actes au discours dans cette lutte contre la puissance de l’imaginaire nazi. En faisant du Seigneur du Svastika un roman à succès (il aurait même reçu un prix Hugo à titre posthume), Spinrad fait un constat simple : aussi bien les auteurs que les lecteurs de science-fiction sont tous des nazis en puissance. Ce qui ne pourrait être qu’une provocation sans fondement est magistralement démontrée par le roman lui-même qui fait appel, avec subtilité, à tous les poncifs et à tous les clichés associés aux genres de la science-fiction et de la fantasy. Cette provocation devient ainsi une démarche salutaire, puisqu’elle appelle finalement tout un chacun à prendre conscience de l’attrait latent que peut provoquer le nazisme, ce qui est sans aucun doute le pré-requis pour pouvoir combattre celui-ci efficacement.

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3 commentaires sur “"Le plus percutant et le mieux réussi des romans d'Hitler"

  • eh ben !! le spinrad est un peu tordu non?? il va pas un peu loin !!…

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  • C’est le seul roman que j’aie lu de lui, mais effectivement il aime apparemment bien repousser les limites (son dernier roman s’appelle Oussama, tout un programme…).
    Après, on peut effectivement trouver que là il pousse un peu (le livre a notamment été interdit en Allemagne pour apologie du nazisme), mais je trouve qu’à la lecture, le message est clair, et la démarche salutaire. Donc non, il ne va pas trop loin, à mon avis !

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  • Subversif coûte que coûte…

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