Chroniques de Bamako : à la rencontre des révoltés

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Nos chroniques de Bamako se déroulent au mois de février 2011.

Cela fait bien une semaine à présent que j’arpente les rues de la capitale malienne. La poussière rouge d’une terre sèche et volatile, le bruit incessant des moteurs et l’odeur salée de mes vêtements me donnent le tournis, la nausée parfois. Il faut dire que je ne suis pas ici en vacances ni en voyage d’affaires, comme ces innombrables culs blancs abrités dans leurs 4×4. Non, moi je suis dans la rue tout le jour, du matin au soleil couchant, à la recherche de vieux loups de mer gauchistes et d’anciens révolutionnaires que je veux interroger. Du nord au sud, je traverse le fleuve Niger plusieurs fois par jour (et pour traverser le fleuve mes amis, il faut savoir s’accrocher croyez-moi) pour trouver le début d’une piste d’informations viables. Je me sens comme Sherlock Holmes, sauf que la bruine londonienne est ici remplacée par un soleil sec et des températures avoisinant les 50°. Mes premiers pas de reporter pour le poisson rouge s’avèrent plus compliqués que prévus, mais qu’à cela ne tienne, j’avoue être satisfait de ces galères formatrices. Après plusieurs jours d’errance infructueuse, de rendez-vous foireux et de dizaines de litres d’eau avalés, je trouve enfin un filon qui pourrait bien fonctionner cette fois : une adresse et un nom.

Il s’appelle Cheikh Mohamed Thiam, dit « Mamoutou ». Petit homme large d’épaules, son sourire est franc et sa poignée de main chaleureuse. Son histoire commence en 1968, lorsque que le général Moussa Traoré prend le pouvoir après un coup d’Etat. Le monde entier est alors traversé de sursauts révolutionnaires, de revendications émancipatrices sur fond de libération des mœurs. Au Mali, la junte militaire à la tête du pays met fin à huit années de socialisme en instaurant un régime dictatorial qui semble annihiler l’espoir créé par l’indépendance. Moussa Traoré développe ainsi un système politique verrouillé, où le parti unique empêche toute contestation du régime. Dans ce contexte hautement explosif, une organisation étudiante voit le jour, l’Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali (UNEEM), et devient en très peu de temps l’unique possibilité pour les maliens de contester le pouvoir en place. Mamoutou me raconte ses débuts en tant que militant à l’UNEEM. Il se souvient qu’il était alors très dangereux d’appartenir à l’organisation, car le pouvoir ne tolérait en aucun cas qu’il puisse exister une activité politique en dehors du parti unique. Pourtant, du haut de leurs quinze ou vingt ans, quelques activistes dont il faisait partie se sont engagé dans la voie de la révolte, poussant le général Moussa Traoré sur la voie d’une féroce répression. Arrestations, filatures et déportations furent le quotidien de dizaines de militants lycéens et étudiants entre 1977 et 1980.

De cette expérience douloureuse, Mamoutou conserve de sérieuses cicatrices : lorsqu’il soulève sa chemise, je distingue quelques balafres profondes qui lui entaillent le bras et le dos. Il raconte un épisode dramatique en 1980 :

« [Les militaires] m’ont expliqué : si on te tue, et tu es très jeune pour ça, tu pourrais être un martyr. Ils ont commencé à me torturer. Ils m’ont tapé, ils m’ont déshabillé, ils ont commencé à me mettre des décharges électriques, tu as vu ça? C’est des cicatrices de l’époque. De 17h à 20h, jusqu’à ce que je m’évanouisse. Là, on te déshabille, on te met un sac à dos rempli de cailloux. Ils ont un terrain de basket là-bas [au camp des parachutistes de Bamako] qu’ils appelaient le pèlerinage. Tu vas au pèlerinage. Tu fais le tour entre les recrues, certains ont des gourdins et te tapent jusqu’à ce que tu tombes. Quand tu tombes on t’enlève le sac et on t’emmène à l’interrogatoire. »

La torture comme arme politique, le régime de Moussa Traoré l’aura pratiquée sur plusieurs centaines de lycéens et d’étudiants, dont les revendications n’étaient pas plus radicales que celles de n’importe quel syndicat étudiant. Cette violente répression se soldera par l’assassinant du leader de l’UNEEM, Abdul Karim Camara dit « Cabral », tué par les militaires du camp Para le 17 juin 1980 après de longues heures de torture. S’en suivra l’exil forcé de nombreux étudiants et lycéens qui quitteront le Mali pour la Guinée, le Sénégal ou le Burkina Faso. Certains d’entre eux participeront à la guérilla des Comités de Défense de la Révolution de Thomas Sankara, poursuivant par ce biais hors des frontières maliennes leur lutte avortée dans de brutales conditions.

Monument Cabral de Bamako

Ce fut le cas le Djiguiba Keïta, plus connu sous le nom de PPR (Prêt Pour la Révolution) à travers le pays que sous son réel patronyme. Lorsque je rencontre cet homme, quelques jours après mon échange avec Mamoutou, il travaille dans un bureau sombre du sud de Bamako, au pied de la colline de Badala. Depuis, PPR est devenu ministre de la jeunesse et des sports, malgré son appartenance à l’opposition et son ancrage politique à gauche toute. PPR me raconte, lui aussi, ses péripéties durant le mouvement étudiant de 1980. Après la période de répression à laquelle il échappe miraculeusement, il prend la fuite au Burkina Faso pour soutenir la guérilla progressiste de Thomas Sankara avant de rejoindre la France, où il sera professeur de sciences politiques dans une célèbre université parisienne. Lorsque le régime dictatorial de Moussa Traoré tombe sous le coup d’une insurrection massive en 1991 (soit dix ans après les mobilisations étudiantes), il se précipite à l’ambassade du mali en France et séquestre l’ambassadeur avec l’aide de plusieurs camarades. De là, ils organisent la transition démocratique et s’attribuent le rôle clé d’interlocuteurs pour la France.

Les vies de ces hommes et de ces femmes là sont riches, il faut le reconnaître. Riches de sens, de combats, de défaites et de coups durs, de victoires et de réussites. Lorsque Sarkozy explique, du haut (sic) de sa prétention occidentale que « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », il insulte ces hommes et ces femmes qui n’ont eu de cesse de lutter pour le progrès et la démocratie.

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