Balada Triste de Trompeta

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Il pleut et le moniteur rando a décidé d’annuler la sortie prévue cet après-midi ? Il y a tellement de vent que le drapeau rouge a été levé sur toutes les plages de la côte atlantique ? Tous vos amis sont partis et vous vous retrouvez seul à Paris en compagnie de votre carte UGC illimité ? Une seule solution : le cinéma. Oui, mais… qu’est-ce qu’on va voir ? Le dernier Alex de la Iglesia évidemment, puisque Poisson Rouge l’a plus que vivement conseillé !

Pour une fois, d’ailleurs, Poisson Rouge joue la carte du conformisme et s’attarde sur un film qui a été loué par l’ensemble de la critique, à raison. Tout comme la (sublime) chanson qui donne son titre au film, Balada Triste vogue constamment entre comédie et tragédie, finissant par les mêler si bien qu’on n’arrive plus à les distinguer l’un de l’autre. Le rire n’est même plus noir, on atteint un degré supplémentaire dans le sinistre. Le spectateur n’est jamais épargné par ce film violent, qui prend aux tripes, et qui surtout élève l’iconoclasme bien au-delà de l’art. Tous les symboles sont méticuleusement détruits, à commencer par la Valle de los caidos, monument franquiste qui reste encore plus que tabou en Espagne. Pour ne rien gâcher, la réalisation elle-même est à l’image du générique d’ouverture du film : novatrice et virtuose.

Mais ce qui fait l’intérêt du film ce n’est pas seulement ses qualités cinématographiques (de toutes façons, d’autres que nous les analysent bien mieux), mais bien les questions soulevées par le réalisateur. En plongeant son film dans la période franquiste, n’hésitant pas à mélanger la réalité à la fiction, pour faire ressortir d’autant plus son absurdité et son horreur, c’est la nature de l’Espagne elle-même et l’héritage de la guerre civile qu’Alex de la Iglesia cherche à comprendre.

L’Espagne, ici, c’est cette acrobate de cirque, partagée entre deux clowns, l’un ouvertement violent et l’autre plus romantique, plus doux, mais dans lequel la violence, même si elle est refoulée, n’est pas moins présente. Entre hésitations, revirements et égarements, cette Espagne finira reléguée au rôle d’une vulgaire danseuse de cabaret, bonne uniquement à divertir des hommes concupiscents, alors qu’elle était la promesse d’une beauté époustouflante. Mais surtout, à force d’errements, elle finira par mener l’ensemble du cirque à la déchéance, et entraînera les deux hommes qui la convoitent dans une spirale d’autodestruction irréversible.

Alex de la Iglesia apporte un recul bienvenu sur le sujet, mettant les deux camps face à leurs responsabilités. Dans Balada Triste, tout le monde porte en soi une part de monstruosité, qui finit par éclater au grand jour. Pour autant, l’absence de manichéisme et la condamnation des deux camps ne signifient pas pour autant que ceux-ci sont traités sur un pied d’égalité.

En effet, chez l’Auguste fasciste, la violence est essence, sur la piste du cirque et en dehors. C’est l’incapacité des autres à lui poser des limites, à l’arrêter dans ses accès de colère qui lui fait franchir des étapes dans la monstruosité. Il se nourrit de la lâcheté et de la peur, et ne devient vraiment incontrôlable qu’à partir du moment où le clown triste s’oppose à lui. La critique du fascisme par de la Iglesia est donc somme toute classique : cette idéologie porte en elle la violence et la destruction, et c’est lorsqu’on la laisse se développer sans obstacle qu’elle devient véritablement puissante.

La critique du camp républicain est plus subtile est plus originale, et c’est cet aspect du film qui est le plus intéressant. C’est la scène d’ouverture du film qui concentre à mon avis tout ce que reproche le réalisateur aux antifascistes : un commandant de l’armée républicaine interrompt un spectacle de cirque et transforme un clown en tueur. En mettant fin à la comédie, ce sont les Républicains eux-mêmes qui ouvrent la porte à leur violence et entament la spirale destructrice. La soif de vengeance qui anime les Républicains n’arrange pas l’affaire non plus…

Fallait-il préférer le cirque à la guerre ? Fallait-il se priver du clown tueur (qui est un combattant plutôt efficace) dans la lutte contre les franquistes et se condamner d’avance à la défaite ? Le spectacle n’était-il de toutes façons pas condamné d’avance ? Y a-t-il d’autres moyens de s’opposer à la monstruosité fasciste qu’en laissant sa propre monstruosité s’exprimer ? Le film magistral d’Alex de la Iglesia pose toutes ces questions, sans y apporter de réponse évidente, mais éclaire d’une lumière nouvelle le sujet, et permet de saisir un peu mieux pour nous autres français ce que peut signifier l’héritage de la période franquiste dans l’Espagne d’aujourd’hui.

Donc, même s’il fait beau, même si le drapeau vert est de sortie et même si finalement vos potes n’ont pas pu partir de Paris à cause de la grève chez easyJet, courrez voir Balada Triste au cinéma !

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