Au Sally Brown : "I am not a fucking hippie!"

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Les prénoms originaux ont été modifiés afin de préserver la tranquillité de tous

Un crâne de loup tatoué sur l’avant-bras, marqué du sigle antique S.P.Q.R, dans un quartier du nord de Rome. Belle entrée en matière. En face de moi se tient un homme, grand, aux yeux rieurs et à la moustache brune, épaisse. Ce n’est pas Freddy Mercury, mais Antonio, l’antifasciste. De long cheveux frisés lui tombent sur les épaules, et lui donnent une allure chaleureuse de baba cool amical, surtout lorsqu’il me tend un pétard roulé par ses soins. Mais attention, toutefois, aux raccourcis étroits, car mon nouvel ami me répète sans cesse, comme pour se prémunir d’une de mes remarques, « I’m not a fucking hippie , ok?». Je suis au Sally Brown, un remarquable troquet du quartier San Lorenzo, rouge entre tous, ou faucilles et marteaux recouvrent les murs entre deux slogans anticonformistes. Musique punk, hip hop, tatouages et drapeaux libertaires se mélangent dans ces fameuses ruelles, et le Sally Brown semble en être l’épicentre. D’ailleurs, le bar lui même est emblématique d’une sous culture importante, puisque son tôlier est l’ancien batteur d’un groupe punk antifasciste bien connu, la Banda Bassotti (comprenez les Rapetous, chapardeurs entre tous, qui s’attaquent sans relâche au coffre fort de Picsou). J’y croise des sales gueules comme je les aime, amochées, mises en valeurs par quelques sourires accueillants.

Ici, on est loin des flots indigestes de touristes affamés, qui polluent littéralement le ventre de la ville. Rome est laide à l’évidence, bien plus que sa réputation ne le laisse entrevoir. Depuis que j’ai mis les pieds dans la capitale italienne, je n’ai rencontré que des croix gammées, des croix celtiques et des propos racistes griffonnés sur des pans de murs décrépis. Autant vous dire que j’ai très vite pris en grippe cette ville étouffante, dotée d’une histoire sordide. Alors le quartier San Lorenzo, Antonio et le Sally Brown dévoilent un visage neuf et méconnu de l’Eternelle. Antonio m’explique d’ailleurs qu’il compte venir user les trottoirs de Paris d’ici le mois de Septembre. Pour ce faire, il chevauchera son inséparable Vespa noire, avec laquelle il compte traverser l’Italie puis la France. Drôle de projet à mes yeux, car lorsqu’on y regarde de plus près, sa machine très 60’s risque de lui péter entre les doigts au premier caillou rencontré sur la route. Mais allez savoir, les Italiens sont décidément des gens surprenants…

Devant mes airs dubitatifs (je peine à croire en la capacité du bolide à arriver à Paris en un seul morceau), Antonio s’imagine que je le juge. Cheveux longs, blouson de cuir et moustache sont pour lui une panoplie extrêmement lourde à porter; car dans les rues de Rome, m’explique-t-il, il ne fait pas bon ressembler à un beatnik. « But I’m not a fucking hippie ok? » me répète-il en tirant une bouffée sur son imposant pétard. Si le danger est bien réel à ses yeux, c’est qu’ici pullule un grand nombre de jeunes néofascistes. Les graffitis provocateurs sont d’ailleurs légion à Rome (sic), et la ville ne compte plus les groupes d’extrémistes prêts à en découdre avec les militants de gauche ou les immigrés. La Lazio, club de foot emblématique de la capitale, a d’ailleurs forgé son image de marque à travers ces hordes de supporters fanatiques (les Ultras Lazio) qui mêlent ardemment leur amour du sport à celui du Duce. Je me souviens d’un de mes voyage précédents à Rome, il y a quelques années, où j’avais été surpris par l’ampleur de la bêtise des ultras. Alors que je me promenais dans les rues ombragées de l’ancien Ghetto de la ville, une phrase vindicative sur un mur m’avait interloqué: « Zidane, sale juif! ».

Si la connerie est universelle, elle semble prendre ici une place toute prédominante dans les rues de la ville. Pour contrecarrer la montée nauséabonde d’une extrême droite puissante, les jeunes militants antifascistes n’hésitent plus à s’approprier des méthodes radicales. Antonio se souvient, entre autre, de cette bagarre mémorable Piazza Navona en 2008, qui avaient vu s’affronter violemment de jeunes étudiants au Blocco Studentesco (organisation d’extrême droite). Les antifascistes avaient alors réussi à mettre en déroute les rejetons de Mussolini.

Une vidéo de cette fameuse manifestation, avec, à gauche, le groupuscule d’extrême droite, et à droite les militants antifascistes.

Du côté des militants d’extrême droite, cette fois-ci, et la charge audacieuse des antifascistes.

Toutefois, il est vrai que les victoires se font rares de ce côté des Alpes, et toute la bonne volonté du monde ne suffit plus à enrailler une percée fulgurante des idées nationalistes dans l’opinion. Rappelons que l’Italie compte à ce jour plusieurs dizaines de députés issus de partis xénophobes, et que la  Ligue du Nord , alliée du parti berlusconien  Le peuple de la liberté  (tout un programme), dirige actuellement de nombreuses agglomérations (Udine, Trevise etc…) ainsi que quelques ministères.

Pour aller à l’encontre du mouvement global, le quartier San Lorenzo fait office de bastion où les idéaux émancipateurs s’affichent fièrement. Comme dans d’autres capitales européennes, la structure locale du quartier alternatif permet de conserver quelques espaces privilégiés de liberté, où les lieux de discussion et d’échanges permettent de croire encore à un autre modèle de vie, à une autre utilisation de la ville. Nous ne citerons ici que le quartier Exarchia d’Athènes, Metelkova de Ljubljana ou Christiania de Copenhague. Chacun dans un genre particulier, ces quartiers plus ou moins autonomes semblent avoir le vent en poupe depuis que la mondialisation a uniformisé les espaces urbains. Cela pourrait être, à l’avenir, une réponse intelligente aux problèmes du logement et de l’appauvrissement culturel des grandes agglomérations. Alors que l’immense majorité des capitales ont l’œil tourné vers leurs quartiers d’affaire, la vidéosurveillance et quelques lois liberticides, l’espace du quartier alternatif fait réellement œuvre de salubrité publique. Ici, les militants s’organisent à l’échelle locale et les badauds émerveillés s’arrêtent dans l’espoir de trouver un peu de liberté, un peu de décadence, et une atmosphère sereine.

Le quartier Metelkova de Ljubjana (Slovénie)

Le quartier Metelkova de Ljubjana (Slovénie)

La soirée se termine pour moi au Sally Brown. Antonio me presse de venir avec lui, il veut me faire goûter une liqueur exceptionnelle à ce qu’il m’en dit. Derrière le comptoir, c’est Maurizio qui sert les verres. Maurizio est petit, trapu et fort, c’est un boxeur. Sa gueule sympathique dissimule quelques cicatrices héritées, j’imagine, de rixes passées. Après avoir fouillé les étals du bar, il sort d’une petite cachette une bouteille de plastique remplie d’un liquide noir et épais. Ce n’est pas du pétrole, mais une liqueur de réglisse fabriquée maison, (liquiriza). « C’est la tournée du patron », me confie-t-il en me servant un godet. Je trinque, à sa santé, à celle d’Antonio, au liens étroits qui se seront tissés ce soir, en me disant qu’il est bon de connaître des amitiés au delà des frontières. J’attends depuis de pied ferme à Paris l’ami Antonio, qui, aux commandes de sa Vespa, parviendra peut être à franchir les Alpes. Pour sûr, He is not a fucking hippie!!

Un article complémentaire sur le quartier San Lorenzo et le Sally Brown proposé par nos confrères de transeurope extrêmes: à lire ici

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Un commentaire sur “Au Sally Brown : "I am not a fucking hippie!"

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