Octobre noir raconté par Raspouteam

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Il n’est de pire mois qu’octobre. Cette année encore nous célébrions avec amertume un triste anniversaire parisien. Il y a cinquante ans, à peine, la police française sous les ordres de Papon réprimait férocement une manifestation organisée par le Front de Libération National algérien. La suite de cette journée de 1961, de cette soirée, beaucoup la connaissent sous le nom de « massacre du 17 octobre ». Souvenez-vous, on noyait alors des algériens dans la Seine pour les forcer à se taire. Leur guerre d’indépendance, cette révolution débutée sur l’autre rive de la méditerranée se prolongeait à Paris et le pouvoir réagissait avec une violence inouïe. La Raspouteam, petit collectif de street artists déjà remarqué pour ses travaux sur la Commune a décidé d’en faire un webdocumentaire remarquable. Nous les avons rencontré.

Au delà de la censure imposée par l’Etat durant toutes ces années et l’interdiction de différentes publications, les évènements du 17 et 18 octobre 1961 ont subi une réelle politique de l’oubli dans différents secteurs. A titre d’exemple, le documentaire de Jacques Panijel Octobre à Paris réalisé dans la foulée des évènements et censuré jusqu’en 1973 n’est sorti en salle que cette année, après la mort de son réalisateur en 2010. Quoi de plus normal, donc, pour la Raspouteam, que de tenter de réhabiliter une vérité historique largement dénigrée. « Le lien avec l’actualité nous a semblé évident. Il nous semblait important de revenir sur ces événements qui ont été occultés, passés sous silence, mais qui font partie de l’histoire de la ville, de l’histoire des luttes, un peu comme la Commune de Paris. »

poisson rouge

Car la Raspouteam, à travers ses différents travaux, de Désordres publics au Journal de la Commune semble chercher dans son expression artistique autre chose qu’une simple transgression : « Il ne faut pas laisser l’histoire à ceux qui sont en position de l’écrire. On cherche à faire une histoire populaire, une histoire vivante, qui se nourrit à la fois des luttes en cours et de la mémoire des luttes passées. » L’histoire comme média et la rue comme terrain de jeu, percutant tandem qui a déjà fait son petit effet auprès des parisiens dans les précedentes initiatives du collectif. « Paris s’invente une histoire officielle bien propre sur elle. Pour nous Paris c’est un lieu de luttes, de révolutions, de grandes répressions… Un lieu qui a un sens politique. C’est cet héritage qu’on cherche à inscrire dans l’espace public. »

Lorsqu’on leur demande si leur travail relève d’une conscience militante, les membres de la Raspouteam répondent avec un brin d’ironie que « faire de l’histoire populaire peut être considéré comme un acte militant, mais (que) ce n’est pas une fin en soi. Certains d’entre nous sont militants par ailleurs, d’autres non… Ce qui nous intéresse surtout, c’est de faire quelque chose qui sorte des sentiers battus, qui ouvre des perspectives. » Néanmoins, une dimension plus large qu’une simple réhabilitation historique semble les agiter. « Si on parle de sujets tels que le 17 octobre 1961 ou la Commune de Paris, c’est avant tout pour faire le parallèle avec l’époque que nous vivons aujourd’hui. Au moment où on parlait de révolutions dans le monde arabe, comme en Tunisie ou en Egypte, raconter la dernière grande insurrection parisienne n’était pas neutre. Parler du racisme d’état, des crimes de la police, des rafles au faciès et des expulsions que la Cinquième République ordonnait en 1961 doit faire écho à la situation actuelle… »

poisson rouge

Pour donner un sens aux luttes, aux espoirs et aux bassesses qui ont conduit au massacre du 17 octobre, les street artists ont pris le parti de personnifier la narration de leur documentaire. Ici, pas de voix off obsolète, pas d’explication scientifique ni de leçon d’histoire, mais des parcours individuels racontés brillamment pas des comédiens. La prestation de Robinson Stévenin et de Simon Abkarian sont tout simplement irréprochables, et donnent au spectateur le sentiment de partager un temps l’incroyable marche vers la liberté du peuple algérien. Les petites histoires dans la grande histoire s’avèrent assez efficaces pour s’approprier leurs combats, leurs luttes, et pour comprendre en amont le contexte qui a mené à cette absurde répression. « On a déjà commencé par lire la plupart des témoignages disponibles sur la période de 1961 à Paris, en cherchant les détails qui pouvaient servir a retranscrire l’atmosphère de l’époque. Ensuite on a écrit, en utilisant plusieurs témoignages pour chaque personnage .On a eu la chance de travailler avec des comédiens qui se sont tous beaucoup impliqués dans le projet. Le plus important pour nous était d’avoir des personnages qui soient crédibles, très proches de la réalité, et que tous les faits soient exacts. Nous avons donc retravaillé certains passages des récits après les avoir fait lire aux historiens que nous avions interviewés. » Le résultat est surprenant. On se laisse emmener au gré des entretiens et des personnages dans une histoire complète, parfois drôle, souvent émouvante. La très sérieuse Raspouteam, qui tient à conserver son anonymat, nous montre une fois de plus la nécessité de développer de nouveaux moyens de diffusions, alternatifs et interactifs.

 

Le webdocumentaire est disponible gratuitement ici. A vos écrans!

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