L'Afrique vue de France : deux siècles de mépris

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Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. *

Des plus hautes sphères de la politique aux piliers de comptoir, des articles de presse aux campagnes humanitaires, les questions africaines donnent souvent le tournis. L’Afrique, c’est un peu la banlieue de notre monde. Celle qu’on mentionne sans trop connaître, celle qui fleure bon le mépris social et les préjugés faciles. Celle qu’on utilise à tort et à travers pour illustrer toute la misère de la planète, celle qui doit se passer d’arguments lorsqu’on parle d’elle. L’imaginaire collectif occidental s’est construit une vision unique du continent africain, qui rime la plupart du temps avec famine, guerre et dictature.

Qui n’a jamais assisté au spectacle déplorable d’humanitaires avares, vendeurs d’horreurs et savants percepteurs, prêts à exhiber de petits corps décharnés pour récolter la moindre pièce ? L’Afrique, ou les Afriques pour être exact, n’apparaissent médiatiquement que pour évoquer des situations tragiques, violentes, sans que jamais personne ne cherche à en comprendre les tenants et les aboutissants. Comme une fatalité, le continent africain demeure dans les esprits un espace maudit, où le chaos et la désolation politique sont les seuls points de repères, presque immuables. Les réalités sont pourtant bien plus complexes qu’on ne veut se l’imaginer, mais la traditionnelle maxime « en Afrique, il y a des enfants qui meurent de faim » a de beaux jours devant elle.

poisson rouge

Des clichés, le continent s’en coltine plus qu’aucun autre. Qu’ils soient a priori positifs ou négatifs, la première erreur de tout un chacun est de considérer l’Afrique comme un tout. Le second plus vaste espace géographique de la planète souffre en effet malheureusement d’une vision unifiée et unilatérale. En réalité, il est totalement illusoire de vouloir mettre dans le même sac les populations blanches d’Afrique du Sud, les Touaregs Kel Adagh des dunes sahariennes et les guerilleros maoïstes des frontières ougandaises. Pourtant, ce sont autant de diversités qui composent le continent, et que chacun semble oublier lorsque vient le temps d’étaler sa culture. Un type (prof d’auto-école de son état) m’a dit tout récemment, au détour d’une conversation, que « l’Afrique devait être un beau pays ». Ironie du sort pour un homme qui se voulait alternatif, libre penseur et tourné vers l’étranger. Mais comment lui reprocher sa méconnaissance, alors que l’élite française s’adonne aux mêmes raccourcis depuis des décennies.

Souvenez-vous, c’était le 26 juillet 2007. Nicolas Sarkozy, fraîchement élu, se rendait à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) pour y prononcer un discours symptomatique de son manque de connaissances et de sa pauvreté diplomatique. Devant un parterre d’universitaires et de chercheurs qualifiés, il affirmait l’idée selon laquelle « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des même gestes et des même paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place, ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »

A quelques mots près, le fameux « discours de Dakar » (écrit par notre cher Henri Guaino, encore lui) aurait pu être prononcé par le commandement français chargé de la « pacification » (c’est-à-dire de la conquête coloniale) en Afrique subsaharienne… En 1910 évidemment. Un siècle plus tard, le président de la République s’adonnait aux mêmes délires qui servirent jadis à légitimer les pires actions militaires, sous prétexte de civiliser des populations bien peu éduquées. Imaginez un peu ce discours prononcé devant une assemblée israélienne, qui aurait mentionné « l’homme juif , âpre au gain et éternelle victime »… Ou bien devant une tribune japonaise, consacrant « l’homme asiatique comme travailleur, soumis et infiniment sournois ». C’eût été un scandale à juste titre, mais pourquoi donc se permettre avec l’Afrique ce qu’on s’interdit ailleurs ? Les clichés ont la peau dure, surtout lorsque celle-ci est noire.


Discours de Dakar – Sarkozy 1/3 par maracouja972

Cette vision dévastatrice, héritée des théories les plus immondes qui justifièrent la colonisation, ne s’arrête pas au champ politique. Les sociétés occidentales véhiculent inconsciemment ou volontairement une ségrégation de fait, en stigmatisant le continent africain. On entend, parfois, des réflexions qui se veulent agréables à l’égard des populations africaines : « En Afrique, il y a de la joie », « la musique ethnique, c’est un bon délire », « là bas, y’a de la couleur et du rythme » ou bien « les gens se prennent pas la tête ». Derrière une apparente bienveillance (de bas étage certes), ce type de phrases toutes faites répondent on ne peut mieux au « mythe du bon sauvage » véhiculé par autant de Diderot et de Rousseau que de Jean Marie Le Pen. N’a-t’on pas, depuis les affres du XVIIIème siècle, dépassé cette dialectique obsolète, ouvertement réductrice et raciste ? Sommes-nous donc incapables de considérer toute « société » sans attributs identitaires figés ?

Une chose apparaît certaine aujourd’hui, les Afriques souffrent d’un mal idéologique puissant, constamment relayé au plus haut niveau par des élites peu audacieuses. Lorsqu’on entreprenait de célébrer les « révolutions arabes », on oubliait de dire au même moment que le Burkina Faso était lui aussi agité de contestations, que l’Ouganda se dressait contre son président, et que le Nigéria lui même montrait des signes forts d’une révolte à venir. S’il y a bien eu un « printemps arabe », il y aura toujours un hiver africain, tant que les médias, les politiques et les consciences intellectuelles se passeront de connaissances.

* Proverbe international

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3 commentaires sur “L'Afrique vue de France : deux siècles de mépris

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