Mali: Touaregs, barbouzes et compagnie. 1ère partie

facebook twitter google tumblr reddit pinterest email

La précipitation des médias à vouloir nourrir l’audimat a parfois de drôles de conséquences. Au détriment d’un travail de fond, nécessitant recherches et réflexions, on privilégie souvent le scoop, « l’actu », en omettant malheureusement de considérer toutes les données d’un problème posé. Résoudre une équation, ou du moins tenter d’y parvenir, n’est pourtant pas chose facile ; mais on peut essayer de s’y atteler avec un minimum de volonté.

Le Mali et plus largement le Sahel sont devenus depuis l’année dernière l’un de ces gouffres médiatiques dans lequel les journalistes ont pris l’habitude de patauger. Enlèvements, assassinats et attaques contre des occidentaux s’y sont multiplié, et de dénouements tragiques en mises à l’amende répétées, personne n’y a visiblement rien compris. Derrière cette réelle violence politique dont les européens sont la cible privilégiée, on a collé un nom, très vendeur, à mi-chemin entre Star Wars et Bobby Lapointe : AQMI. Al Qaïda au Maghreb Islamique donc, tenue pour responsable de la totalité des initiatives anti occidentales menées jusqu’à présent, semble pointée du doigt comme l’ennemi public n°1 dans la région. Mais intéressons nous pour une fois au dessous des cartes, un peu trop vite étalées par les médias et les politiques français.

Rappel des faits
Le 24 novembre dernier (2011), deux Français présentés dans la presse comme étant « deux géologues en mission pour une cimenterie » étaient enlevés vers 20h dans leur hotel de la région d’Hombori (nord est du Mali). Le lendemain, trois touristes européens étaient à leur tour kidnappés et un autre tué à l’orée de Timbuctu, centre névralgique d’un tourisme désertique en plein essor. Il n’en fallait pas plus pour rendre nerveuse toute la galaxie diplomatique française. Il n’en fallait pas tant non plus pour survolter les rédactions hexagonales et leur donner enfin les informations sensationnelles dont elles raffolent. Encore une fois, l’effet d’annonce semblait enterrer le Sahel dans un tourbillon de clichés prometteurs.

poisson rouge

Les crises touarègues favorables au développement d’AQMI
Comme nous l’affirmions il y a quelques jours dans un article (à lire ici), le continent africain souffre d’une méconnaissance terrible chez les médias occidentaux, qui ont très largement tendance à simplifier les données qu’ils rapportent par peur de devoir en saisir les enjeux plus profonds. Pourtant la situation au Sahel est complexe, bien plus qu’il ne pourrait y paraître, et la violence qui y émerge aujourd’hui n’est que le résultat d’une gestion désastreuse des conflits et des questions sociales dans la région depuis plusieurs décennies.

La question Touarègue, qui est au cœur de la vie politique malienne depuis l’indépendance de 1960, semble aujourd’hui se prolonger à travers les attaques répétées des membres d’AQMI et de Boko Haram (récemment implantée au Sahel central). Car si l’on attribue à ces réseaux terroristes la majorité des attaques menées, il faut savoir que ce sont concrètement les (jeunes) populations elles mêmes qui sont susceptibles d’organiser et de planifier les enlèvements d’européens. Ainsi, AQMI profite d’une situation sociale calamiteuse des régions du Nord Mali et du Nord Niger pour lancer des sortes « d’appels d’offre » particulièrement sordides : la promesse à quiconque de racheter toute personne occidentale kidnappée. Dans ces régions déshéritées, où le chômage semble exponentiel, une telle politique trouve malheureusement quelques échos au sein des populations, pauvres et exclues du développement national.

Depuis la conquête coloniale, les populations touarègues, ou assimilées comme telles, souffrent d’un manque de considération politique affligeant. Au racisme anti-nomade exprimé par la France coloniale ont succédé des politiques dévastatrices des états indépendants. A l’image de certains pays européens (pensons ici par exemple à l’Italie), des disparités sociales considérables se sont creusées entre le Nord et le Sud, opposant de manière systématique les touaregs aux institutions étatiques. Au Mali, il faudra attendre l’éclatement de rébellions dans les années 1990 pour que l’Etat concède aux touaregs le très petit droit d’intégrer l’armée nationale ou la police, qui leur était jusqu’alors refusé. Durant presque 20 ans, de nombreux soulèvements et des affrontements entre touaregs et militaires ont favorisé la circulation d’armes à feu dans la région. Les rebellions ayant pris fin récemment (les accords d’Alger, bien que contestés, ont été signé en 2006), les problèmes en revanche demeurent : le sentiment d’abandon politique vécu par les populations se traduit aujourd’hui par l’implantation d’AQMI. Dans ce contexte d’exclusion et de paupérisation croissante, les réseaux d’Al Qaïda (mais avant eux les trafiquants de drogue) ont trouvé une clientèle particulièrement réceptive.

Rappelons toutefois qu’au regard du nombre de ressortissants européens présents au Mali, et surtout dans le nord du pays (jusqu’ici Timbuctu était une « capitale » touristique majeure d’Afrique de l’Ouest), il serait aberrant de croire que les populations se rendent fréquemment complices d’Al Qaïda. Les enlèvements peu nombreux témoignent ainsi du faible impact idéologique dont peuvent bénéficier les militants extrémistes. Loin des dogmes rigoristes, l’Islam pratiqué au Mali est très majoritairement modéré. AQMI semble donc isolée mais est poussée par une situation politique favorable.

poisson rouge

L’agression des ressortissants français : zones d’ombre
Le 24 novembre, Serge Lazarevic et Philippe Verdon étaient donc kidnappés par sept personnes armées et emmenés à bord d’un 4X4 puissant vers une destination évidemment inconnue. Dans les premiers temps, nul doute chez nos confrères journalistes qu’AQMI frappait encore au hasard deux individus innocents, dans le but d’affirmer encore une fois sa détestation de l’occident. Pourtant, la presse malienne commençait déjà à émettre des doutes sur les identités des deux ressortissants français tandis que les journaux hexagonaux demeuraient passifs. Depuis, l’information a été confirmée, et bien qu’une zone d’ombre entretenue par le quai d’Orsay demeure autour des personnalités des deux kidnappés, plusieurs indications nous montrent qu’ils n’avaient rien de simples travailleurs égarés. Le premier, Serge Lazarevic, s’est illustré dans les années 90 auprès de la DST, dans un réseau Serbe financé par le contre espionnage français. Réseau qu’il fera fructifier afin de fournir au président Mobutu (République démocratique du Congo) des mercenaires yougoslaves. Le second, Philippe Verdon, a été cité à comparaître devant la justice comorienne en 2003 pour son implication dans une tentative de coup d’Etat mené contre le président en fonction. Le mercenaire Bob Dénard affirmera à l’occasion connaître le dit Philippe.

Les deux otages ne semblent donc pas correspondre au profil de simples salariés en mission pour leur entreprise. Travailleurs ou Barbouzes, rien n’est actuellement certain, mais tout porte à croire que leur présence à Hombori ne colle pas aux explications données dans les premiers moments de l’affaire.

Ici, la suite de cette analyse porte sur d’inquiétantes découvertes au sujet des otages et sur le contexte politique difficile au Mali.

facebook twitter google tumblr reddit pinterest email

11 commentaires sur “Mali: Touaregs, barbouzes et compagnie. 1ère partie

  • Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi sur le contexte d’exclusion des régions du nord. Je ne suis pas un grand défenseur de la politique d’ATT, mais d’énormes choses sont faites pour désenclaver le grand nord dans le cadre de la politique de décentralisation. De plus les bailleurs de fonds internationaux genre US AID, alliance française, ou fonds de développement européen débloquent énormément de fond en vue du développement de ces régions. Du retard a été pris certes, mais les choses sont en train de changer. Après, je pense qu’il y a des complicités au plus haut niveau, comment trois touristes peuvent être enlever et un tué à 15 heures en plein cœur d’une ville sans que la police ne réagisse? Les poursuites ont commencé près d’une heure après l’enlèvement à tombouctou, et 5 heures après pour celui d’Hombori.

    Répondre
  • Pour les complicités, je t’avouerai que je n’en ai pas la moindre idée. C’est vrai que les données sont troublantes, surtout en ce qui concerne tombouctou mais je ne peux pas m’avancer sur ce terrain. Par contre, pour ce qui est du développement du nord, je ne suis pas convaincu du tout que l’on puisse déjà constater les bienfaits des projets de développement entamés par ATT. En réalité si l’on regarde il y a vraiment depuis longtemps un fossé économique et surtout politique entre le sud et le nord. Le problème est que sa politique de « désenclavement » comme il la nomme semble se faire attendre sur certains terrains: il y a certes des projets ambitieux (notamment routiers)mais pour le moment je ne crois pas que cela ai fait beaucoup avancer les choses. Mon propos n’est pas tant de dire cela que de dresser un constat: ce sont les rebellions touarègues, et avant tout celle de 1990 qui ont fait un peu bouger les lignes. Ni Modibo Ni GMT ne semblaient avant cela vouloir un équilibre des forces entre sud et nord.
    Et puis il y a la question sociale aussi qui est très importante: chomage de masse (je n’ai plus les chiffres c’est relou), infrastructures de l’état assez rares, et qui permettent aux réseaux parallèles trafiquants de drogue puis aujourd’hi AQMI de faire miroiter des rentrées d’argent massives. En fait ce que je dis juste, c’est que des inégalités qui sont nées de l’administration coloniale, et qui se sont perpétuées sous Modibo et GMT, le terreau a été favorable au développement d’AQMI. C’est mon point de vue après on en discute et c’est cool!!!

    Répondre
  • Je me permet de rajouter une petite précision sur les relations que peuvent avoir AQMI et les touaregs du nord Niger… Une partie des touaregs (animistes) soutiennent en effet les actions d’AQMI pour une raison très simple, ce sont les seuls qui leurs ont fournit des armes pour lutter contre les mercenaires engagés par AREVA pour protéger les mines d’uranium d’Arlit et d’Akouta (qui sont pour une grande partie des anciens légionnaires français ou des miliciens yougoslaves)… L’actuel Amenokal (chef) des touaregs de l’Azawagh (nord Niger) est en effet originaire de cette région et entend bien jouir d’un droit de déplacement non limité dans cette région ce qu’Areva leur refuse depuis qu’elle est installée là-bas… il s’agit bien d’une alliance de circonstance entre les deux parties puisque des affrontements sporadiques ont lieu entre AQMI et ces touaregs animistes qui souhaitent conservés leurs croyances ancestrales.
    Cordialement,

    Répondre
  • Du coup Mask, tu voudrais dire que depuis les années 60, Areva refuse à des ressortissants de la région de se déplacer comme ils l’entendent? Moi je pensais qu’ils leur filaient juste des milliards ( une carotte par rapport au profit de l’un des fleurons de notre industrie, mais quand même). Par contre je suis d’accord avec toi sur l’alliance de circonstance entre Aqmi et certains touaregs, et effectivement des affrontements entre les deux groupes ont fait plusieurs centaines de mort. Monsieur l’AS,pour moi, il n’y a pas véritablement de fossé économique entre le Sud et le Nord, les politiques d’industrialisation de Modibo, ont été démantelé par GMT, et pour moi c’est quasi kif kif, au Sud, on mange du riz, et au Nord des galettes de pain, mais c’est la même misère. Il y a surtout des différences culturelles qui selon les personnes que je rencontre, (ce n’est pas mon avis) sont insurmontable. Il y a des querelles, de l’animosité voir du racisme entre les populations du Sud et du Nord. C’est une raison je pense pour laquelle, les projets de développement émanant des gouvernements maliens se sont mis en place tardivement. la logique d’ATT est calculatrice et rejoins celle des occidentaux! « le Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du nord Mali apparaissait en effet comme une parade à la question du terrorisme.Amadou Toumani Touré a toujours cru dur comme fer que la lutte contre l’insécurité passait par le développement des zones affectées.  »
    A cela s’ajoute la problématique de l’AZAWAD, l’état malien est nullement respecté au dessus de Tombouctou, il y a trois semaines, j’ai vraiment cru qu’il y aurait une sécession après que le mouvement ait manifesté pour l’indépendance de la région. Avec les milliers d’hommes surarmés descendus de Libye, on ne peut que craindre le pire. Ils sont cent fois mieux équipés que l’armée malienne. C’est cette peur qui amène les complicités, les officiers en place dans cette région n’ont pas envie de se faire flinguer pour des touristes, du coup, ils ferment les yeux.

    Répondre
  • ce qu’on appelle animisme de façon générale sur le continent africain est souvent un peu erroné. Pour le coup les touaregs sont musulmans (c’est d’ailleurs par les populations nomades qu’on pense que l’Islam s’est implanté au sud du sahara), mais comme pour chaque religion, des rites particuliers s’affirment selon les populations, mélanges entre monothéisme et autres inspirations religieuses. Surtout je ne crois absolument pas qu’on puisse parler de « croyances ancestrales ». Pas plus ancestrales en tout cas que le christianisme ou l’islam. Il faudra qu’un jour l’on me dise pourquoi on utilise ce genre de vocabulaire dès qu’on parle de gens hors d’Europe, alors qu’on se garde bien de dire que les croyances occidentales sont « traditionnelles ou ancestrales ».
    La primauté culturelle revendiquée par les touaregs est une chose, mais la réalité politique en est une autre: leurs combats, contrairement à ce qu’on croit, ont souvent été dirigés dans un sens précis: demander une meilleur intégration aux états, tout en respectant leurs différences liées au nomadisme. Un peu comme les cahiers de doléance de la révolution française qui demandaient plus de clergé, et que l’on a fini par caricaturer en anticléricaux sauvages!

    Répondre
  • OUi mon jeannot, je suis en partie de ton avis! Mais hélas j’essaye de voir pourquoi à la base ces formes de racisme se sont développées. Ma conviction est que la mauvaise gestion de la question touarègue est une possible raison de la colère. Et puis encore une fois, les rebellions touarègues des années 90 jusqu’en 2006 ont surtout cherché à obtenir une considération politique plus qu’une secession! Et puis les bambaras n’aiment ^personne, c’est bien connu, depuis qu’eux seuls étaient recruté au sein de l’armée coloniale, il y a un petit complexe de supériorité on dirait!

    Répondre
  • Ma dernière phrase c’est de l’humour evidemment

    Répondre
  • Ping : Poisson Rouge » Sortez de votre bocal ! » Mali: Touaregs, barbouzes et compagnie. 2ème partie

  • L’as de Madrid, Pour ta gouverne, au Mali il y a plus d’une vingtaine d’ethnies
    les Bambaras
    les Bobo
    les Malinkés
    les Soninkés ou Sarakolés
    les Peuls
    les Dogons
    les Touaregs
    les Sonrhaïs
    les bozos
    les Toucouleurs
    les Sénoufos
    les Minianka
    les Khassonkés

    Ce qui est bien connu c’est que certains touaregs pensent que tout ce qui n’est pas touaregs est forcement Bambaras!!!
    C’est désolant, mais le Mali reste uni et indivisible. Et les fauteurs de troubles seront matés conformément a la loi.
    A bon entendeur salut.

    Répondre
  • Ping : Poisson Rouge » Sortez de votre bocal ! » Affrontements au Mali

  • Ping : Poisson Rouge » Sortez de votre bocal ! » Fil rouge à Bamako : en direct du coup d’Etat

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>