Le second tour des élections présidentielles sénégalaises pourra finalement se dérouler dimanche 25 mars 2012. Le scissionniste Macky Sall, qui a rallié à sa coalition l’ensemble des candidats perdants du 1er tour, est celui qui affrontera le président sortant Abdoulaye Wade, surnommé également « le vieux ». La situation politique du pays depuis juin 2011, et la création récente du front « Tous contre Wade », font monter la pression entre les deux camps. La presse quotidienne relaye les menaces des partisans,et gourdins et machettes sont exhibés sur les Unes. Depuis quelques jours, de sordides histoires de sacrifices humain apparaissent dans les titres.
Les élections présidentielles sont toujours l’occasion pour la presse de vendre à grand tirage. Le pseudo débat se déroulant dans les colonnes des quotidiens, les lecteurs se font de plus en plus nombreux et de plus en plus avides de gros titres. Et les rédactions en profitent. Quitte à faire d’un simple fait divers une affaire de conspiration du camp adverse ou même à inventer.
Abdoulaye et Macky
« Un corps a été repêché, sans tête, avec un bras et une jambe » titrait un torchon il y a quelques jours, développant une histoire de maraboutisme et de sacrifice : « A coup sur, ce sont les nervis de Wade » disent les uns, « Mais non, c’est Macky le bandit » disent les autres. Et ça ne s’arrête pas… En réalité, la police a mené sa petite enquête et a démontré que ce n’était qu’un pauvre pêcheur dont la pirogue avait chaviré. Bravo, messieurs les journalistes, vous exercez un métier formidable… Autre exemple la semaine dernière, un partisan de Macky jurait dans la tribune du journal partisan que des pro-Wade brandissaient des gourdins, et le lendemain, c’est l’inverse qui se produisait.
Chose étonnante, la rue est calme, et ce sont les leaders, tous les leaders qui enveniment le débat. En 10 jours, 4 armes ont été brandies, dans les deux camps. Lors du déplacement de Macky Sall à Taïf, en visite au marabout-député Serigne Fallou Mbacké, une petite frixion est venue animer la journée. Le marabout a braqué celui que l’on surnomme el Pistolero, le célèbre mais pas fameux Moustapha Cissé Lô, cadre de l’APR, l’Alliance Pour la République, parti de Macky Sall. Dans un autre torchon, El Pistolero avait soupçonné Fallou Mbacké d’avoir reçu de l’argent du président Wade. Les deux hommes ont été séparés in-extremis et le pire a été évité, n’empêchant pas le marabout d’assainir deux coups de crosse sur la tête d’un badaud qui ne lui était pas particulièrement sympathique.
Si nous parlons de torchon, c’est parce que la presse n’est pas seulement engagée, elle est totalement aux mains des partis politiques et d’hommes d’affaires influent. Un exemple avec une personne connue du grand public : Youssou Ndour. En France, Youssou est principalement connu pour sa musique, alors qu’au Sénégal c’est un véritable patron de presse. En 2003, grâce à sa popularité grandissante, il parvient à créer un groupe de presse Futur Média composé d’un journal l’Observateur et d’une radio RFM, Radio Futur Média. En 2010, la chaine télévisée du groupe, TFM, fait son apparition sur les petits écrans. En 2012, un nouveau support est créé par le groupe, un hebdomadaire en couleur. En parallèle à ces activités, Youssou Ndour est président d’une fondation qui porte son nom. Enfin, il possède une boite de nuit pour blancs à Dakar, sans oublier que depuis 2011, il est également à la tête d’un mouvement politique Fekke ma ci Bolé (du wolof: Je suis donc j’agis). Loin de nous l’idée de vouloir faire du chanteur engagé un salaud hors-pair. Cette appartenance des médias aux partis et aux hommes influents se vérifie systématiquement.
Dernier exemple des péripéties de la semaine passée : Le marabout Cheick Bethio Thioune a appelé ses fidèles, les thiantacounes, à voter pour Abdoulaye Wade, en affirmant que cette décision lui a été commandée par l’apparition du défunt khalife des mourides (une des principales confréries musulmanes du Sénégal) Serigne Saliou. Dès que l’appel a été diffusé, le porte parole officiel du défunt khalife, Serigne Souhaibou Mbacké, a contesté cette apparition sur la chaîne TFM, provoquant ainsi la colère de Bethio Thioun. Ce dernier, sidéré que l’on puisse remettre en doute sa parole, lui qui selon des sources connues que de lui-même aurait 11 millions de disciples, a lancé une fatwa contre Youssou Ndour. Il implore ses talibés de ne plus suivre sa chaîne télévisée, de ne plus écouter sa radio, et de ne plus lire son journal… En contre-partie, les thiantacounes ont le droit de regarder la 2sTV, chaine privé nationale amie du palais. Aussi, la maison de Souhaibou Mbacké a été incendiée par des individus non-identifiés. Béthio Thioune, ce dangereux maniaque, n’a pas hésité à affirmer que ses fidèles talibés, qui on prit l’habitude de se promener avec des gourdins, « n’étaient pas belliqueux mais qui s’y frotte s’y pique« , comprendre : « qui ne pense pas comme moi s’expose à de graves ennuis ». Ambiance assurée dans les bureaux de vote le 25 mars…
Cheikh Bethio Thioune
