Mali : « les fonctionnaires seront les premières victimes »

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Par Jean Balthazar, correspondant poisson rouge au Mali

« Les militaires du CNRDRE (Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat) sont des farfelus, mieux vaut une mauvaise démocratie qu’un retour au pouvoir des militaires ». Cette déclaration de Badou Koba journaliste au canard déchainé quotidien satirique malien  décrit le ressentiment d’une majorité de la population malienne après le coup d’état survenu Jeudi 22 mars à l’encontre du président de la république Amadou Toumani Touré (ATT). La population à trois jours de la destitution de leur chef de l’état semble excédée. Pour beaucoup, ce coup de force militaire était inutile à cinq semaines du premier tour d’une élection présidentielle qui marquait la fin du second mandat « du gendarme de la démocratie »  – surnom dont a  hérité ATT pour ses bons offices en 1991 et 1992. A la tête d’une jeune junte, il avait renversé en 1991 le dictateur Moussa Traoré et mis un coup d’arrêt à la répression sanglante contre le soulèvement populaire en cours, pour la démocratie. Il avait ensuite organisé une conférence nationale et des élections libres, remportées en 1992 par un civil : Alpha Oumar Konaré –. Aujourd’hui, la population est exaspérée d’une part par l’insécurité, d’autre part par la crainte d’une envolée des prix. Vendredi, l’essence et le gasoil étaient revendus à la sauvette à un prix exorbitant entre  1 000 et 1 500 F Cfa (entre 1,50 et 2 euros) contre 700 à 800 F Cfa (1,10 euros) habituellement. Cela s’explique selon un opérateur économique spécialisé dans l’importation des hydrocarbures par le fait que « les stations ont été contraintes de fermer par crainte de vandalisme. En effet, dans la journée du jeudi, les soldats et les forces de sécurité ont passé la journée à piller et à déposséder les particuliers de leurs véhicules. Ils se rendaient ensuite dans les stations pour exiger d’être servis gratuitement. Face à ce rançonnement, les stations ont jugé sages de fermer boutique en attendant que l’orage passe ». De plus, l’on craint une asphyxie de l’économie du pays considéré comme l’une des plus performantes de la sous régions avec plus de 4% de croissance annuelle. Les sanctions des principaux bailleurs de fonds (France, Union Européenne, Etats Unis, Banque Mondiale et Banque Africaine de développement) ainsi que la fermeture des espaces terrestre et aérien pénalisent fortement le Mali. Boubacar* professeur à l’école publique de Baco Djicoroni craint pour ses revenus : « les fonctionnaires seront les premières victimes de ce coup d’état, et nos salaires seront certainement gelés dès le mois prochain. » Pourtant ceux-ci sont appelés à travailler dès mardi 27 à 7 heures du matin, « toute absence (au sein de l’administration) sera considérée comme une désertion de poste » selon les putschistes.

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Une station essence à Bamako sous contrôle militaire

La situation reste donc peu claire, l’inquiétude se fait sentir et l’attentisme est généralisé, même si tout le monde s’accorde pour dire « qu’il fallait qu’il se passe quelque chose ». Pour Julien résident français depuis 6 ans et propriétaire d’un maquis (appellation d’un bar en Afrique de l’Ouest) dans le quartier de l’Hippodrome « on est dans l’expectative, en même temps, cela fait six mois que le pays sombre ».

Pour l’heure, ce coup d’état, troisième du mali indépendant après ceux de 1968 et de 1991 ne ressemble en rien au précédent : lors de l’arrivée au pouvoir de Moussa Traoré (en 1968) et au moment de l’avènement de la démocratie (en 1991) les populations civiles étaient parties prenante du mouvement. Des manifestations de soutient de grande ampleur étaient organisé. (Voir article précédent).

Trouble dans les esprits
Se pose donc la question de la légitimité de ce comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNDRE). Même si Amadou Toumani Touré était très critiqué pour sa mauvaise gestion  de la « rébellion » nordiste, ce nouveau coup de force de l’armée est selon plusieurs observateurs internationaux « mal inspiré ». Le capitaine Amadou Haya Sanogo et ses troupes n’arrivent toujours pas quatre jours après leur arrivé au pouvoir à fédérer autour de leur cause. Justifiant leur prise de contrôle  « par le « manque de matériel adéquat pour la défense du territoire national » mis à la disposition de l’armée pour lutter contre la rébellion et les groupes armés dans le nord » en proie à une « rébellion touareg » et aux activités de groupes islamistes armés depuis la mi-janvier », le chef de la junte se dit aujourd’hui prêt à négocier avec le MNLA (groupe armée voulant faire sécession et à la tête de la « rébellion » dans le nord du pays) : «Je ne suis pas là juste pour équiper l’armée malienne et aller tuer tout sur le passage. Je ne suis pas un homme de ce genre, si la négociation s’engage demain matin. C’est cela que je souhaite, parce que je veux un Mali uni pour le bien-être de tous.» Ces incohérences sèment le trouble dans les esprits d’autant que des responsables du MNLA se sont déclarés, eux aussi, prêts à négocier, mais avec «un pouvoir légitime et soutenu par toute la classe politique et avec la garantie de grandes puissances». Tendant la main aux « forces vives » de la nation afin de rallier le maximum de la société civile à son acte et réussir ainsi son coup d’Etat, le capitaine Sanogo a pris contact avec des leaders politiques et associatifs dès vendredi. Mais pour bon nombre d’entre eux, «le jeu n’est toujours pas fermé en raison du silence des officiers supérieurs de l’armée, restée en dehors du coup d’Etat. » Les mutins eux assurent ne pas vouloir confisquer le pouvoir tout en faisant tout pour garder le contrôle de la situation malgré la sévère condamnation de leur démarche par la communauté internationale.

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Oumar Mariko (parti SADI), seul soutien politique de la junte militaire

Deux visions
« Considérant que le Mali vit un des moments les plus dramatiques et les plus périlleux de son histoire démocratique », une dizaine de formation politique faisant partis de la coalition parlementaire dont l’Adema/Pasj (Alliance pour la démocratie au Mali/ parti africain pour la solidarité et la justice) et l’URD (Union pour la république et la démocratie), les deux principaux partis du pays a établit un communiqué commun pour condamner « fermement ce coup de force qui constitue un recul grave pour notre démocratie et exigent le retour à une vie constitutionnelle normale » et demande «  que le rétablissement de la paix dans le nord du pays et l’organisation d’élections libres et transparentes soient les deux priorités de l’heure ». « L’arrêt immédiat des pillages et des exactions, et la libération immédiate de toutes les personnalités civiles et militaires » sont également des prérogatives de ce communiqué publié ce samedi. Le parti pour la renaissance nationale (PARENA) précise lui tout en le condamnant « que  coup d’Etat du 21 mars est l’expression de l’exaspération d’une armée humiliée, d’un peuple humilié. » Pour le moment, Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) favori à la succession d’ATT et candidat pour le Rassemblement pour le République (RPM) est le seul poids lourd de la scène politique malienne à ne pas réagir.

Samedi, les partis politiques et la société civile montaient au créneau mais deux visions s’opposaient. « D’un coté, le parti SADI, Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance, d’Oumar Mariko et ses alliés ont créé le MP22, le mouvement populaire du 22 mars favorable aux mutins. De l’autre, le Front uni pour la restauration de la démocratie, un front de 38 partis, notamment le PARENA, le Parti pour la renaissance nationale, et d’associations, qui dénonce le coup d’Etat et demande un retour à l’ordre constitutionnel» écrivait Serge Daniel correspondant RFI au Mali. Pour Kassoum Tapo porte parole de l’Adema, « les objectifs visés sont clairs, à savoir avant toute chose, le retour à une vie constitutionnelle normale, ensuite le rétablissement de la paix et la sécurité dans le nord du Mali et l’organisation dans les meilleurs délais d’élections libres, démocratiques et transparentes » ainsi que la défense de la Constitution de janvier 1992, la restauration de la légalité constitutionnelle, le retour des mutins dans leurs casernes. Dans le même temps, le mouvement populaire du 22 mars MP22 par la voix d’Oumar Mariko Président du SADI, Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance veut « accompagner politiquement le CNRDRE dans ses efforts de redressement de la démocratie, et l’instauration de l’autorité de l’Etat, mais un Etat démocratique et populaire. »

 

 

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