Pendant ce temps à Bamako…

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Par Jean Balthazar, correspondant poisson rouge au Mali

Au mali, la situation est des plus critiques après les combats qui ont opposé deux corps de l’armée. Les bérets rouges (des parachutistes) ont dans la nuit de lundi à mardi attaqué les positions des bérets verts (l’armée de terre) pour protester contre la tentative d’arrestation de leur chef et  marquer leur opposition au coup d’état du 22 mars dernier. Retour sur un mois de tension au Mali.

L’armée est divisée ! Les soldats de l’ex-junte communément appelés bérets verts, auteurs du coup d’Etat et membres du CNRDRE (comité nationale de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat) basé dans la ville garnison de Kati, ont littéralement pris d’assaut mardi dernier le camp parachutiste de Djicoroni pour mater les soldats « loyalistes » (les bérets rouges) retranchés. La veille, de violents combats ont émaillé le centre ville de Bamako près du siège de l’ORTM (Office de Radio Télévision du Mali), aux abords de Kati et à l’aéroport de Bamako Sénou. Les bérets rouges s’opposaient à la tentative d’arrestation d’Abidine Guindo, à la tête des commandos parachutistes de la garde présidentielle et ancien aide de camp d’ATT. Pour beaucoup l’ancien président lui doit une « fière chandelle » car il serait l’artisan de l’exfiltration de l’ancien chef d’Etat dans la nuit du 21 au 22 mars, jour du coup d’Etat. Ce fut également une manière de contester la gestion actuelle des affaires courantes du pays. En réponse, et après avoir récupéré ces trois points stratégiques, les bérets verts sous les ordres d’Amadou Aya Sanogo, président du CNRDRE, ont fortement riposté. Les échanges de tirs reprenaient aux environs de 10 heures dans le quartier de Djicoroni. Les forces du CNRDRE malgré le mitraillage « du camp para » n’arrivaient toujours pas à faire plier leur adversaire sous le regard circonspect des civils. Pour les contrer, les bérets verts ont fait appelle à un char d’assaut et trois camions blindés. Ceux-ci ont entamé à 15 heures 30 « une descente » vers Bamako en provenance de Kati. Leur traversée de la ville par la commune IV se fit sans encombre malgré un léger ralentissement au niveau du rond point de l’éléphant. A ce niveau, les tuniques bleues de l’armée de l’air étaient postées en arme sur les toits. Adoptant une position de défense, celles-ci ne se sont pas interposées, et tachaient de protéger leur bastion. Quelques minutes auront suffit pour faire basculer la bataille. Les mouvements de blindés s’accentuaient, les tirs de mitraillettes fusaient, mais aucun coup d’artillerie lourde ne s’est fait entendre. Le char n’aura donc servi que d’arme de dissuasion. Certains bérets rouges se sont rendus à cette suite mais beaucoup ont vraisemblablement été tué. Leur chef Abidine Guindo aurait pris la fuite et reste pour l’heure introuvable.
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Ces deux jours de combats auront fait de nombreux morts (les indiscrétions militaires font état de plus de 70 victimes) sans qu’aucun bilan ne soit établit. En cause, un verrouillage de l’information au niveau des services hospitaliers, du ministère de la santé et du ministère de l’intérieur muselé par le comité nationale de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE). Le personnel du centre hospitalier Gabriel Touré a refusé de communiquer sur le nombre de patients qu’elle a accueillit après que des militaires en civils ou en tenue aient fait irruption dans les locaux de l’hôpital. Ceux-ci étaient chargés de récupérer « leurs blessés » pour les transporter à l’hôpital militaire de Kati « où ils seront soignés par (leurs) propres hommes ». Une femme en pleurs assises devant la morgue avec sa fille explique être venu reconnaitre un corps. Elle dit ne rien comprendre à la situation du pays : « des frères d’arme s’entretuent pour le contrôle de Bamako alors que le nord est aux mains de rebelles depuis près d’un mois, les populations souffrent et des honnêtes gens meurent…». Elle rajoute qu’une de ses connaissances, mère de quatre enfants et vendeuse de boissons devant l’ ORTM, a été tuée la veille prises entre deux feux.

Comme souvent, la présence de la presse n’était pas souhaité et après confiscation du matériel de certains, un militaire gronda : « on n’en a marre de vous, vous causez que des problèmes, c’est à cause de vous que nous avons perdus le Nord, et non à cause des rebelles. » Ces propos font référence à la prise des villes de Gao, Kidal et Tombouctou où de nombreux militaires ont déserté suite au coup d’Etat et à l’annonce par plusieurs commentateurs d’armements très performants du coté des forces du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad). Après leur départ, en trombe, l’atmosphère s’apaisa et les abords de l’hôpital habituellement bondés se vidèrent peu à peu. Les journalistes furent invités à « quitter les lieux », sans avoir pu prendre la mesure du nombre réel et effectif de blessés et de morts lors des affrontements. Depuis le coup d’Etat, les médias (surtout occidentaux) sont confrontés à la grogne des militaires et des civils. Un sitting réunissant une cinquantaine de personnes s’est tenue devant l’Ambassade de France pour demander le départ de France 24 et RFI du mali. Le 26 mars, les correspondants de l’agence de presse américaine (AP) ont été interpellés et transférés au camp de Kati pour avoir selon les termes militaires mené « des activités suspectes ». Ceux-ci s’attelaient pourtant à une investigation à la recherche du président déchu Amadou Toumani Touré. Mardi 1er mai, le caméraman de l’Agence britannique Reuters a vu son matériel confisqué. Depuis quelques semaines, les journalistes sont nombreux à demander l’aval d’un officier quel qu’il soit pour avoir une autorisation ou une information. Les militaires sont devenus les premiers interlocuteurs de la presse en ce qui concerne les affaires courantes du pays.

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Capitaine Amadou Sanogo

Et en réalité c’est eux qui détiennent le pouvoir malgré la présence d’un président par intérim (Diocounda Traoré) institué le 8 avril dernier et la mise en place d’un gouvernement de transition dirigé par Cheik Modibo Diarra. Arrestations arbitraires, décisions parallèles notamment sur les questions sécuritaire et militaire et prise de position du capitaine Amadou Aya Sanogo qui déclare vouloir prendre ses responsabilités à la fin du mandat de quarante jours imposé par la constitution au président par intérim. Le 18 mai fera donc date car ce jour marquera la fin de la période transitoire imposé par la constitution et l’accord cadre signé le 6 avril entre le président du comité nationale pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) et chef de la junte militaire au pouvoir et la CEDEAO (communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest). Celui-ci prévoyait de rendre le pouvoir aux civils après constatation de la vacance du pouvoir et surtout après une menace d’embargo brandit et édictée par l’organisation sous régionale. Aujourd’hui, « les motifs qui ont conduits les militaires à s’emparer du pouvoir le 22 mars ; à savoir la crise au Mali et l’organisation d’élections libres et transparentes sont maintenant bel et bien oubliés » écrit Yiriba éditorialiste au journal Les échos. Il poursuit en déclarant à raison que « les partis politiques et les organisations de la société civile sont dans le même temps incapable d’accorder leurs violons pour imposer leurs vues aux militaires, si bien que ceux-ci ont beau jeu pour faire du pays ce qu’ils veulent et cela dans un temps indéterminé parce qu’on sait quand commence un régime militaire, mais jamais quand il prend fin. » Dans le même temps, les populations commencent de plus en plus à se faire à l’idée qu’une dictature militaire serait bonne à leur salut car pour beaucoup la démocratie n’aura servi qu’à enrichir la classe politique et les intellectuels.

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