S’il n’y avait pas le swing, ça ne voudrait rien dire

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Avec The Wire, David Simon et Ed Burns avaient réussi à la télévision ce qui était la force du roman policier depuis déjà plusieurs décennies : mêler intimement la critique sociale aux chroniques urbaines, en enrobant le tout d’un récit et de personnages inoubliables, presque mythiques. Alors quand j’ai appris que David Simon aller tenter la même chose en quittant Baltimore pour s’intéresser à la Nouvelle-Orléans, autant vous dire que j’étais enthousiaste. Quand on m’a expliqué que l’intrigue prendrait place après l’ouragan Katrina et montrerait la reconstruction de la ville, mon enthousiasme est évidemment monté d’un cran. Quand j’ai vu qu’une grosse partie de l’équipe de the Wire (acteurs, scénaristes, réalisateurs…) serait de retour, j’ai commencé à sautiller d’excitation. Mais quand on m’a dit qu’en plus la musique et les musiciens seraient la pierre angulaire de la série, je n’en pouvais plus. Et autant vous dire que je n’ai pas été déçu.

Comme sa grande soeur the Wire, Treme, puisque c’est bien de cette série qu’il s’agit, tire sa principale force de la galerie de personnages qu’elle nous présente. Du tromboniste un peu à la dèche qui cherche les cachetons à tout prix à l’avocate militante des droits civiques, en passant par le DJ d’une radio locale complètement allumé, on se prend vite à tous les considérer comme des vieilles connaissances qui auraient partagé notre vie depuis toujours, et à vivre chaque aventure qui leur arrive aussi intensément que si elle nous arrivait à nous. Le casting est, il faut le reconnaître, assez impressionant, et les petits nouveaux qui viennent donner un coup de main aux anciens de the Wire (John Goodman et Melissa Leo entre autres) ne sont pas n’importe qui.

En décortiquant la reconstruction de la Nouvelle-Orléans post-Katrina, David Simon poursuit l’exposé de sociologie urbaine initié avec the Wire, et nous livre une définition plus claire que ça tu meurs de la gentrification. Il faut dire que le sujet était propice, tant les autorités locales ont profité de l’aubaine qu’a été l’ouragan et la destruction d’une part importante de la ville pour engager une politique de « blanchiment » du centre ville. Les zones d’ombre de la Nouvelle-Orléans sont ainsi dévoilées au fur et à mesure que l’intrigue progresse, et personne n’est épargné : les scandales sanitaires et financiers,  le manque d’implication des pouvoirs publics pour régler les problèmes provoqués par Katrina, ou encore le comportement douteux des forces de police lors du chaos ayant immédiatement suivi le passage de l’ouragan.

Mais au-delà du manuel de sociologie urbaine, Treme est surtout prétexte à découvrir une ville unique en son genre, au carrefour d’une multitude de cultures : amérindienne, cajun, afro-américaine, WASP… Second-line parade, carnaval, indiens du Mardi Gras, le folklore de la Nouvelle-Orléans est mis en valeur en permanence par la série, avec un respect et un rappel permanent du contexte social qui permet d’éviter avec brio le piège du guide touristique.

Cerise sur le gâteau, la musique, au coeur de la vie de la Nouvelle-Orléans, est également au coeur de Treme. Alors que  the Wire se distinguait par une absence presque totale de bande son, celle de Treme est omniprésente et devient presque un personnage à part entière, qui apporte un rythme unique à la série. En ce qui concerne le contenu, l’amateur de jazz sera comblé et ravi de retrouver des têtes connues (Wynton Marsalis, Trombone Shorty, Elvis Costello…) faire des apparitions dans la série, et le profane y trouvera une occasion de découvrir la richesse de ce que la Nouvelle-Orléans a apporté à la musique. Mais là aussi, les créateurs de la série ont réussi à éviter l’image de carte postale, en nous invitant à découvrir la vie musicale de la ville au-delà du traditionnel jazz, et en démontrant, s’il en était encore besoin, son dynamisme et sa créativité.

Treme est donc la série à regarder actuellement pour qui s’intéresse de près ou de loin aux problèmes sociaux des Etats-unis, à la musique américaine, ou aux deux (c’est permis). Le public américain ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et la multiplication des apparitions de guests stars de plus en plus prestigieuses au fil de la série est un indice certain quant à sa qualité. L’ancien conseiller municipal de la Nouvelle-Orléans Oliver Thomas, condamné pour corruption en 2007, y interprète même son propre rôle. Alors certes, Treme tend parfois un peu plus que the Wire vers le mélo, mais ne pas regarder la série à cause de cela serait comme refuser d’écouter un jazz qui tendrait vers le blues : un crime !

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