Massacre à Garissa: indifférence générale?

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Depuis le 2 avril, et l’attaque de l’université kenyane de Garissa par un commando terroriste Shebab, les réseaux sociaux fleurissent de statuts et messages dénonçant l’indifférence générale autour de cet événement. Les hashtags #JeSuisKenyan, #147notjustanumber, sont désormais légion sur Twitter. Jamais l’expression « indignation à géométrie variable »  n’a été autant employée. En bref, tout le monde dit que tout le monde s’en fout… Les internautes ont-ils raison ? Ces étudiantes et étudiants sont-ils morts dans l’indifférence générale ?

Beaucoup mettent en parallèle l’incroyable mobilisation qui a suivi les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de la porte de Vincennes et la « timide » condamnation du massacre de Garissa. Ce n’est pas cependant la première fois que la comparaison est faite : ce fut le cas notamment le 12 janvier, au lendemain de l’immense manifestation à Paris, pendant que Boko Haram assassinait plus de 2000 personnes au nord-est du Nigéria. Et depuis, à chaque massacre ou attentat, des internautes s’interrogent : mais où est Charlie ? La compassion de chacun semble avoir des limites.

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Loin des yeux, loin du coeur

En France, par exemple, l’annonce de la tuerie à Garissa a dans un premier temps été occultée par la découverte de la seconde boîte noire de l’A320 de la Germanwings. Ce funeste fait-divers semblait hystériser les chaines d’info en continu au point de monopoliser leur attention. Les télévisions ont tout de même parlé de Garissa, mais n’y ont pas consacré d’émission spéciale en direct, contrairement à la presse internet qui, elle, s’est intéressée de près à l’attentat au Kenya.

A la différence des attentats de janvier à Paris et du crash de l’A320 dans les Alpes, le massacre de Garissa s’est déroulé bien loin du territoire français. Aussi simple que cela puisse paraître, il n’est nul besoin d’expliquer ce phénomène : « loin des yeux, loin du cœur » dit-on. Les événements les plus proches nous touchent davantage que ceux qui surviennent à des milliers de kilomètres. Par ailleurs, plus grand monde ne semble se préoccuper du sort des Syriens ou des Irakiens depuis quelques semaines.

Au Yémen, depuis le 19 mars, les combats entre les rebelles houtistes et la coalition menée par l’Arabie Saoudite ont fait plus de 500 morts et 1700 blessés… encore une fois dans l’indifférence générale ; y compris de ceux qui dénoncent le manque de mobilisation autour de la tuerie de Garissa. Ethnocentrisme ? C’est une question qui pourrait se poser – les événements qui touchent l’Occident sont-ils plus importants ? – mais les Africains eux-mêmes sont restés relativement silencieux[1] après l’attaque au Kenya.

L’indifférence… des Africains?

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Quelques chefs d’Etat et de gouvernement africains étaient présents à Paris lors de la marche du 11 janvier à Paris pour apporter leur soutien à François Hollande. Le président du Togo, Faure Gnassingbe avait notamment déclaré à RFI qu’il regrettait que la question du terrorisme en Afrique mobilise si peu :

« Nous sommes dans une région où le terrorisme sévit. Nous le regrettons parfois que les réactions ne soient pas les mêmes, quand ces événements se produisent dans nos pays, au Nigeria, au Kenya ou au Mali. Mais je me dis justement, aujourd’hui c’est l’occasion d’être là pour que nos amis occidentaux comprennent aussi que c’est l’affaire de tous quand il s’agit de terrorisme. Si nous reprochons aux Occidentaux de ne pas être à nos côtés quand il y a des attentats c’est justement l’occasion de venir à leurs côtés pour qu’ils comprennent que c’est le même mal même s’il prend des formes différentes que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient, ou en Europe. C’est le même mal »

Or, après l’attaque de l’université de Garissa ce dernier s’est simplement fendu d’un communiqué dans lequel il se dit « consterné » et présente les « condoléances du peuple togolais au peuple kenyan ». Idem pour le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, le nigérien Mahamadou Youssoufu et le sénégalais Macky Sall qui pour leur part avaient fait face à des manifestations anti-Charlie dans leur pays à leur retour de Paris. Silence total du côté du président du Gabon, Ali Bongo, et du président du Bénin, Boni Yayi, qui avaient été fustigés pour leur soutien à la liberté de la presse qu’ils ne respectent même pas dans leur propre pays. Ces mêmes dirigeants, à l’exception d’Ali Bongo, avaient brillé par leur absence à la manifestation contre le terrorisme à Tunis, après l’attentat du musée du Bardo. Néanmoins, il est important de préciser que si les représentants africains étaient présents à Paris c’est parce qu’ils avaient répondu à une invitation de François Hollande.

La non-invitation du président Uhuru Kenyatta

Kenyatta

Le président Uhuru Kenyatta

Pour sa part le président kenyan n’a invité aucun chef d’Etat à venir lui apporter son soutien ; en outre, il n’a même pas prévu de se rendre lui-même à Garissa. On ne peut s’empêcher alors de se rappeler la présence de François Hollande au siège de la rédaction de Charlie Hebdo, peu de temps après l’attaque des frères Kouachi. Kenyatta a certes décrété trois jours de deuil et ordonné le bombardement de camps des Shebab mais il n’a pas envisagé de cérémonie en hommage aux étudiants assassinés. Une manifestation a bien eu lieu le mardi 7 avril à Nairobi mais elle visait à dénoncer l’incapacité du gouvernement kenyan à défendre la population des terroristes. Les habitants du quartier de Eastleigh (peuplé par une majorité de musulmans) de Nairobi se sont également rassemblés pour condamner le massacre, ils ont faire part de leur crainte de voir la police s’en prendre aux musulmans du pays, comme ce fut déjà le cas après l’attaque du centre commercial de Westgate en 2013. Le gouvernement kenyan essuie donc de nombreuses critiques depuis la tuerie de Garissa et le président Kenyatta se trouve dans une situation inconfortable; contrairement à Hollande qui, après les attentats de janvier, avait vu sa côte de popularité gagner plusieurs points.

Les réactions des internautes semblent tout de même avoir mis les projecteurs sur ce qu’il se passe au Kenya. Une minute de silence sera d’ailleurs respectée aujourd’hui dans les universités françaises. Plus que l’indifférence des médias, c’est le manque de solidarité de la communauté internationale qui est pointé du doigt. Désormais, la mobilisation en soutien à Charlie Hebdo et aux victimes de l’Hyper Casher est considérée comme la règle alors que, pour l’instant, elle demeure l’exception.

 

[1] Quelques rassemblements en hommage aux victimes de Garissa sont toutefois prévus en Afrique à l’initiative de citoyens, à l’instar du sitting organisé le 10 avril par les étudiants de l’université Cheikh Anta Diop à Dakar.

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