Europa Universalis, la géopolitique en jouant

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C’est le 25 avril 1695 que l’empire malien déclara la guerre au Portugal, dans l’espoir de récupérer les territoires du golfe de Guinée conquis brutalement par les Européens près de deux siècles plus tôt. La conquête avait été brutale et sanglante, déstabilisant durablement l’empire, alors aux prises avec les Songhaï dans la lutte pour le contrôle de l’Afrique de l’Ouest. Heureusement, toute médaille a son revers, et au contact des portugais, les maliens apprirent vite et bien les techniques militaires, diplomatiques et administratives des occidentaux. Avec de nouvelles armes à leur disposition, il fut aisé de prendre le dessus sur leurs adversaires locaux, de prendre le contrôle du commerce à Tombouctou des mains des touaregs et d’annexer les territoires de l’empire Songhaï.

La soif de conquête de l’empereur se tourna alors vers l’est, et vers les infidèles qui occupaient l’Éthiopie. Avec l’aide des mamelouks et de l’émir du Najd, les chrétiens furent soumis rapidement, et les musulmans contrôlaient désormais un territoire allant de l’Atlantique à l’Indus. Mais les généraux maliens n’avaient qu’une chose en tête : prendre leur revanche sur ces portugais qui les avaient humiliés il y avait deux cents ans de ça. Le Portugal, justement, avait perdu le soutien de son puissant allié espagnol et était aux prises avec l’Angleterre dans une guerre coloniale qui s’éternisait. L’occasion était trop belle pour cette armée malienne et ses vétérans auréolés de la gloire des victoires récentes : l’heure de la vengeance avait sonné…

L'Afrique de l'ouest en 1444

L’Afrique de l’ouest en 1444

Il y a les jeux qui vous racontent une histoire, et il y a ceux qui vous font raconter une histoire. Europa Universalis IV relève sans aucun doute de la deuxième catégorie. Dans ce jeu de grande stratégie, vous  prenez les commandes d’un État en 1444 et présidez à sa destinée jusqu’en 1821. Avec un goût prononcé pour la simulation historique, le jeu s’intéresse principalement, comme son nom l’indique, à l’Europe, et aux bouleversements qu’elle connaît dans cette période : les guerres de religion, les grandes découvertes et le début de la colonisation, mais aussi l’invention de l’artillerie, et même les transformations politiques de la fin de la période.

Plonger dans Europa Universalis, c’est découvrir par l’expérience directe ce que signifient les rapports de force entre états, avec realpolitik et Machiavel en toile de fond. Ménager les relations avec les puissants, tout en profitant des faiblesses des plus petits que soi est souvent le moyen le plus sûr de consolider une position qui permettra de tirer bénéfice de ses avantages comparatifs : ressources naturelles rares, puissance commerciale, démographie galopante… tout est utile pour maintenir les équilibres géopolitiques ou les briser au moment le plus opportun.

L'Afrique en 1821, après quatre siècles de jeu

L’Afrique en 1821, après quatre siècles de jeu

Un bon jeu de simulation historique se concentre sur un moment précis et cherche à modéliser quelques mécanismes clés de la période. En jouant, on crée alors peu à peu une chronologie alternative qui éclaire finalement l’histoire par contraste : en essayant de reconquérir toute la péninsule ibérique avec le royaume de Grenade ou de résister aux conquistador espagnols avec les Incas, on comprend vite pourquoi ces évènements n’ont jamais eu lieu. Sur ce point là, Europa Universalis remplit le contrat. Mais là où il dépasse allégrement la concurrence, c’est en apportant des clés de compréhension fondamentale pour notre époque. Cela provient sans doute du fait que finalement, cette période est le socle sur lequel les États-Nations actuels se sont construits. Quoiqu’il en soit, jouer la Russie, c’est comprendre immédiatement l’importance stratégique de la Crimée ; jouer l’Empire Ottoman, c’est comprendre la tension turque entre les pôles d’attraction de la Mitteleuropa et celui de la Syrie ; jouer le royaume de Naples, c’est redécouvrir que la Sicile, ce n’est pas que des pâtes et des pizzas, mais surtout la porte d’entrée vers l’Afrique.

Et puis, on peut aussi décider que l’Europe, ça va bien cinq minutes, et jouer un État d’Afrique. Et là, ça ne peut que sauter aux yeux, tous les évènements récents de la région sont déjà en place : l’importance cruciale de Tombouctou, les passages limités et donc stratégiques vers le nord à travers le Sahara, les conflits avec les touaregs, les ressources naturelles convoitées par les occidentaux, etc. Pour tout vous dire, j’étais justement en train de jouer le Mali et de régler les derniers comptes avec l’empire Songhaï quand l’As de Madrid a publié son article sur l’ethno simplisme des médias. Eh bien, moi qui y étais (ou tout comme), je peux vous le dire : les divisions de l’Afrique avant l’arrivée des Européens, elles n’avaient effectivement rien d’ethnique, et tout de classiquement politique et stratégique. Désolé de vous décevoir.

L'Europe en 1444 : choisis ton destin !

L’Europe en 1444 : choisis ton destin !

Et le jeu dans tout ça ? Parce qu’on veut bien suivre des cours d’histoire, mais il faut que ce soit un minimum intéressant. Eh bien, le jeu est un chef d’oeuvre. Un chef d’oeuvre exigeant et pointu, qui rend les premières tentatives sans doute un peu difficile, surtout pour qui n’aurait jamais goûté au genre, mais qui rend les victoires d’autant plus gratifiantes. Attention, même, le plaisir que procure le fait de résister à une guerre qui semblait perdue d’avance, ou de finalement réussir à conclure une alliance avec un voisin un peu menaçant après cinquante ans de léchage de bottes diplomatiques peut vite devenir addictif. En tous cas, n’hésitez pas à vous lancer, et qui sait, peut-être que vos corsaires marocains finiront par y arriver, à conquérir cette Grande-Bretagne qui fait de l’ombre à votre commerce !

Et pour aller plus loin, un superbe article sur Merlan Frit qui traite également de la question des massacres coloniaux et de leur modélisation dans le jeu.

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