Viendrais-tu à Chicago ?

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Chicago. The Windy City. Son lac Michigan, ses gratte-ciels, son blues électrique graisseux, et sa tristement célèbre convention démocrate de 1968. Deux mois après l’assassinat de Bobby Kennedy, jusqu’alors grand favori de la course à l’investiture, le parti Démocrate se réunit à Chicago pour désigner le candidat qui affrontera Nixon à l’automne.

Pas de pot pour l’establishment démocrate, qui espérait pouvoir organiser sa sauterie tranquillement : des agitateurs ont décidé de se joindre à la fête. Les yippies, pendant politique radical des hippies (qui en profiteront pour désigner leur propre candidat à l’élection, un cochon portant le doux sobriquet de Pigasus) et le Mobe, principale coalition anti-guerre du Vietnam, ont notamment prévenu de leur présence. Il faut dire qu’en cette année 68, comme partout ailleurs, l’ambiance est tendue aux Etats-Unis, et que les Démocrates, qui sont alors au pouvoir, ont du mal à gérer la situation.

Le maire de Chicago, Richard Daley, ne l’entend pas  de cette oreille, et organise la répression. Malgré une mobilisation finalement bien moins importante que prévue du côté des protestataires, celle-ci sera d’une rare violence, culminant le soir du 28 août. Après des affrontements violents à Grant Park, au bord du lac Michigan, la police poursuit les manifestants dans tout le centre-ville, abusant de la matraque et du gaz lacrymo, avec une retransmission quasiment en direct à la télévision.

Cette répression, qualifiée aux Etats-Unis d’émeute policière, créera un grand émoi dans tout le pays. Et comme souvent à cette époque, inspirera les artistes engagés. Cette fois-ci, ce sera Graham Nash (le Nash de Crosby, Stills, Nash and Young) qui s’y collera, et commettra une de ses plus belles chansons, Chicago.

Cette convention démocrate marque également un tournant dans la carrière d’un artiste d’un genre un peu particulier : Hunter S. Thompson. Présent sur place parce qu’il couvre la campagne américaine, il assistera aux évènements et en sera profondément choqué, considérant avoir été témoin de la « mort du rêve américain ». Voici comment il décrit une des soirées :

Un peu après minuit le mercredi, je me trouvais à Grant Park, à environ trois mètres du barrage de baïonnettes de la Garde Nationale, parlant à des genres de Diggers de Berkeley. Ils étaient trois, portant ces chapeaux de routiers de Milwaukee, avec des moustaches plutôt que des barbes, et d’aprèrs leur comportement -ou plutôt leur vibe- il était clair que j’avais affaire à des vétérans. Ils attendaient la bataille, mais ne la provoqueraient pas; ils avaient tout un parc pour passer le temps, mais pour une raison ou une autre, ils avaient choisi de se poster en première ligne de la Foule, faisant face aux Gardes, séparés par ces trois mètres de trottoir vide. Derrière la ligne des baïonnettes, Michigan Avenue était un no-man’s land surpeuplé, plein de flics, de caméras de télé et de jeeps barbelées… et de l’autre côté de cette douve, le Conrad Hilton, avec son entrée cernée par un mur de casques de police bleus, et de grandes planches de contreplaqué pour couvrir, au niveau de la rue, les fenêtres du Haymarket Bar -où, quelques heures plus tôt, les vitres avaient volé en éclats sous la pression des corps humains poussés dans le bar par une charge de police débile.

Les types de Berkeley étaient sûrs que tout ça n’était qu’un aperçu d’une confrontation qui aurait lieu avant l’aube. « Les bâtards se préparent pour nous finir », dit l’un d’entre eux. J’acquiesçai, en pensant qu’il avait sûrement raison, et sans même me demander -contrairement à maintenant- pourquoi il m’incluait dans le lot. Après tout, j’étais un membre de la presse officielle, avec un magnifique badge magnétique tout-accès autour de mon cou -le même badge qui, plus tôt dans la journée, m’avait valu un coup de matraque dans l’estomac alors que je franchissais un cordon de police : j’avais montré le badge et continué à marcher, mais un des flics m’avait attrapé par le bras. « Ce n’est pas un badge presse ». Je lui ai mis sous le nez. « Qu’est-ce que tu crois que c’est, alors ? », je lui ai demandé… et je le regardais grimacer quand j’ai senti mon estomac toucher ma colonne vertébrale; il avait utilisé sa matraque comme une lance, la tenant avec les deux mains et me frappant juste au dessus de la ceinture. C’est à ce moment, à Chicago, que j’ai décidé de voter pour Nixon.

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