Zyed et Bouna : une décision incohérente

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Les deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger dans « l’affaire » Zyed Benna et Bouna Traoré ont été relaxés, sans grande surprise. Outre le caractère immoral de cette décision, qui risque d’accroître encore un peu plus les fractures bien présentes dans la société française, c’est au niveau du droit que le jugement est incompréhensible. Nous nous sommes procuré le texte de la décision rendue par le tribunal correctionnel de Rennes le 18 mai. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est truffé d’incohérences et de contradictions, rendant la décision du tribunal encore plus opaque.

Consulter ou télécharger le texte de la décision ici

« Je ne donne pas cher de leur peau » créé la polémique

C’est autour de cette phrase, et de la manière dont elle a été prononcée par Sébastien Gaillemin (l’un des fonctionnaires poursuivis) que se sont concentrés les débats et la polémique lors du procès. Pour les familles des victimes et leurs avocats, nul doute qu’elle explicitait bien la présence d’un danger connu des forces de l’ordre, et pourtant ignoré par celles-ci. Le policier reconnaît lui-même a plusieurs reprises avoir eu peur pour les adolescents lorsqu’il les a vus se précipiter vers le local EDF.

Le déroulement des faits va dans ce sens : à 17h32, Sébastien Gaillemin annonce dans sa radio: « oui, donc les deux individus sont localisés. Ils sont en train d’enjamber pour aller sur le, euh, le site EDF. Il faudrait cerner le coin. Oui, je pense qu’ils sont en train de s’introduire sur le site EDF. »

Une minute après, à 17h33, il complète: « Oui, TN LIVRY, en même temps, s’ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau ».

La danse du ventre du tribunal

La décision rendue par le tribunal apparaît alors totalement incohérente au regard des faits.  D’un côté, il admet la connaissance par Sébastien Gaillemin d’un réel danger encouru par les adolescents (que le policier lui-même reconnaît) :

« Lors de l’enquête et de l’instruction, et encore à l’audience, Sébastien G. disait effectivement avoir été inquiet pour les deux individus aperçus à compter de cet instant, raison pour laquelle il courait vers l’entrée du site. »

D’un autre côté, le tribunal feint de croire que personne n’avait conscience du danger au moment des faits:

« Le Tribunal considère qu’il ne peut s’en tenir à l’analyse sémantique superficielle de la phrase  « en même temps, s’ils rentrent sur le site EDF je ne donne pas cher de leur peau » pour en déduire la prise de conscience effective et véritable par le prévenu d’un péril réel, grave et imminent à cet instant. »

On croit rêver, tant les deux arguments sont totalement contradictoires. Soit le fonctionnaire savait que les enfants couraient un danger, et il aurait dû intervenir, soit il ne savait pas. Mais la décision rendue par le tribunal dit à peu près tout et son contraire. Extrait :

« Le prévenu admettait que cette phrase était maladroite dans sa formulation mais disait que sa lecture littérale ne reflétait pas proprement  la réalité de son appréhension de la situation.

ll disait avoir en fait à ce moment envisagé deux options :

la première et plus probable selon lui, était que «les deux silhouettes» se dirigent sur la gauche après le grillage, traversent le petit bois en triangle pour déboucher rue des prés à côté de l’entrée du cimetière.

La deuxième, moins probable que la précédente compte tenu de l’apparence du danger nécessairement perçu par les fuyards, était qu’ils franchissent le mur d’enceinte du site EDF et s’exposent alors à un risque grave. »

Ici aussi on se rend bien compte que le fonctionnaire avait bel et bien envisagé l’hypothèse selon laquelle Zyed et Bouna pourraient franchir l’enceinte du local EDF. A partir de là, comment le tribunal peut-il décider qu’il n’y avait pas de « prise de conscience effective et véritable par le prévenu d’un péril réel, grave et imminent à cet instant » ?

portrait de Zyed et Bouna

Zyed Benna et Bouna Traoré

Des fonctionnaires de police mal formés

Autre enseignement intéressant de ce procès: le manque de formation de certains policiers . Concernant la responsabilité de Stéphanie Klein,  jeune fonctionnaire qui a vécu toute la scène à distance depuis le standard du commissariat de Livry-Gargan, le tribunal est sans équivoque :

« Elle ne connaissait avant les faits ni la nature, ni même l’existence du site EDF de CLICHY SOUS BOIS. […] N’étant pas physiquement présente sur le terrain, la seule connaissance qu’elle pouvait avoir de l’évolution de la situation résultait des messages radio passés par les effectifs engagés. »

Le tribunal décide ici de ne pas prendre en compte la responsabilité de la jeune femme dans la mort des adolescents.  A la lecture de la décision rendue et des quelques pièces du dossier, on ne peut hélas que constater l’inexpérience effective de la jeune femme face à la situation qu’elle rencontre.

Si la décision de ne pas la condamner peut se comprendre à cet égard, il est néanmoins intéressant de voir que le manque de formation dans la police est en partie responsable du drame de Clichy.

Le tribunal explique ainsi que

« la fonction de standardiste et d’opérateur radio du commissariat de LIVRY (TN LIVRY) nécessite des compétences particulières en ce qu’elle implique un rôle de coordination, de contrôle et guidage des effectifs en mission. Pourtant, l’enquête démontre que Stéphanie K. n’avait reçu aucune formation préalable à cette mission hormis une brève période de « tutorat ». »

La justice inique (sa mère)

L’impact d’une telle décision de justice est pour le moment inconnu. Nous ne pouvons pas prédire quelles en seront les conséquences, tant au niveau politique qu’au niveau social, même si les vautours de la droite extrême ont déjà commencé à se disputer la vedette dans l’indignité la plus crasse.

Ce dont nous sommes aujourd’hui certains, c’est qu’une telle décision ne servira personne. Premièrement, la justice s’est une fois encore totalement déconsidérée à l’égard des classes populaires, puisqu’elle n’est même pas capable de considérer le droit, et juste le droit. Personne n’attendait de la prison ferme pour non-assistance à personne en danger. Mais une condamnation, même symbolique, aurait été un signe positif.

La seconde, et c’est un constat que nous faisons malheureusement depuis de nombreuses années, c’est que cette justice ne sert que son propre système : elle condamne les pauvres et absout les puissants ou les salopards. C’est toute la morale qu’il faut retenir de cette histoire sordide. La justice condamne à du sursis un consommateur de cannabis mais relaxe deux policiers dont le rôle dans la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré n’est plus à démontrer aujourd’hui. La justice condamne des émeutiers mais ne met jamais derrière les barreaux un Cahuzac ou un Sarkozy.  La justice est inique.

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