Quand les juifs s’exilaient en Afrique

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Des familles juives fuyant le nazisme ont trouvé refuge en Afrique pendant la Seconde Guerre mondiale. Retour sur ces exilés et leur destin africain.

C’est un épisode méconnu de l’histoire du XXe. Nous sommes en 1938, une année particulièrement terrible qui a vu « la Nuit de Cristal » s’abattre sur tout le territoire du IIIe Reich. Pendant la nuit du 9 au 10 novembre,  une centaine de juifs est assassinée par les commandos SS, près de 30 000 personnes sont arrêtées par la Gestapo et déportés en camp de concentration. Peu de solutions s’offrent désormais aux juifs d’Europe qui cherchent à fuir la barbarie des nazis, surtout depuis l’échec de la Conférence d’Evian en juillet 1938. Chargée de régler la question de l’aide aux réfugiés juifs allemands et autrichiens après l’Anschluss (l’annexion de l’Autriche par Hitler), la Conférence sera boudée par l’Italie bien sûr, mais aussi par l’URSS. De nombreux pays n’enverront que de simples observateurs. Ainsi, aucune décision concrète ne sera adoptée et aucun pays n’acceptera d’augmenter ses quotas d’immigration. Malgré l’urgence de la situation, ces pays, effrayés par une vague migratoire massive, refusent toujours de faciliter l’accueil des exilés juifs. Les Britanniques particulièrement craignent la « saturation » ; ils viennent d’accueillir 10 000 réfugiés au début de l’été 1938.

Toutefois, après la multiplication des pogroms, c’en est trop pour de plus en plus de juifs qui tentent de fuir, prêts à parcourir des milliers de kilomètres pour se réfugier en URSS, en Belgique ou en France. Des familles juives se tournent alors vers des destinations plus surprenantes comme la Chine, le Japon (pourtant allié de l’Allemagne) mais aussi le continent africain.

L’option africaine

Si certains juifs européens fuiront vers l’Afrique du Nord – au Maroc notamment où le gouvernement de Vichy installera des camps de transit et d’internement – d’autres entameront un long voyage vers l’Afrique subsaharienne.

Ancien camp d'internement de Berguent au Maroc

Ancien camp d’internement de Berguent au Maroc

Conscients que les Etats européens n’étaient pas prêts à revoir leur politique d’accueil migratoire, ces femmes et ces hommes choisirent d’augmenter leur chance en déposant des demandes pour une migration vers l’Empire colonial britannique. Comme nous l’explique Anne Hugon, chercheuse en histoire de l’Afrique, c’est le Colonial Office de Londres qui est chargé de traiter ces dossiers :

Or le Colonial Office n’avait pas réellement défini de politique susceptible de répondre à ces demandes. De l’arrivée de Hitler au pouvoir à la déclaration de guerre, la politique vis-à-vis de l’émigration vers l’Empire se caractérise par des déclarations d’intention aussi vagues que généreuses, exprimées dans diverses dépêches qui prennent soin de ne formuler ni solution concrète ni disposition législative. Finalement, les autorités se limitent à promouvoir une mansuétude qui s’appliquerait au cas par cas, notamment pour les demandes individuelles.

L’absence de clarté dans la politique migratoire du Colonial Office a découragé bon nombre de candidats à l’exil. Si elles l’avaient voulu, les colonies auraient pu prendre des mesures légales pour faciliter l’accueil des juifs mais toutes ont rechigné à le faire. Les milliers de juifs qui prirent ainsi la route vers l’Afrique du Sud, le Kenya ou encore la Gold Coast (le Ghana actuel) ignoraient totalement l’accueil qu’on leur réserverait.

L’exil de la famille Zweig au Kenya

La famille Zweig et ses amis au Kenya

La famille Zweig pose avec des amis au Kenya

Charlotte Zweig quitte l’Allemagne en juin 1938 pour rejoindre son époux Walter, avocat qui après s’être vu interdire l’exercice de son métier, a rejoint le Kenya. Les deux réfugiés s’installent à Rongai, dans l’ouest du pays, avec leur fille Stefanie âgée alors de 6 ans. De nombreuses années plus tard, elle raconte les raisons de l’exil de sa famille en Afrique:

En 1938, les Nazis ont tout pris à mon père : son travail, sa dignité et tout espoir de rester en Allemagne. Les camps de concentration faisaient partie de la réalité des Juifs. Ceux qui le pouvaient, qui possédaient l’esprit de prévoyance et l’argent nécessaires, émigraient vers d’autres pays ; le choix du Kenya fut pour nous une coïncidence. Lorsqu’un ami conseilla à mon père de s’y réfugier, il ne savait même pas que c’était une colonie britannique en Afrique de l’est. Les autorités coloniales ne demandaient que 50 livres par personne pour le visa d’entrée. Ce prix, très bas, le décida définitivement. Quand bien même, sans l’aide de la communauté juive de Nairobi, il ne serait pas parvenu à réunir la somme nécessaire pour faire sortir sa femme et sa fille hors d’Allemagne.

En 1995, Stefanie Zweig âgée de 63 ans, publiera un roman en partie autobiographique Nulle part en Afrique. Son œuvre est adapté au cinéma en 2003 par Caroline Link, sous le titre Nowhere in Africa, et remporte l’oscar du meilleur film étranger.

« Je suis dégoûté de l’Allemagne et je ne retournerai jamais là-bas »

A la fin de la guerre, l’heure du rapatriement a sonné pour les six millions de juifs déplacés.  Stefanie Zweig reviendra, dans un autre roman intitulé Quelque part en Allemagne, sur le retour difficile de sa famille dans une Allemagne dévastée. Elle écrit dans le Guardian:

En avril 1947, nous arrivâmes à Francfort. Les bombes des Alliés avaient laissé la ville en ruine, les gens étaient vêtus de chiffons et vivaient dans des maisons sans toits. Ils se réveillaient affamés et allaient se coucher affamés. L’électricité était rationnée, les bonnes manières et la décence plus encore. Il nous a fallu dix mois pour trouver un endroit où vivre. Jusque-là, nous étions logés dans une chambre de l’ancien hôpital juif, passant nos journées à chercher de quoi se nourrir et nos soirées à nous demander pourquoi presque tous les Allemands à qui nous avions parlé nous confiaient qu’ils avaient toujours détesté Hitler et ressenti de la pitié pour les juifs persécutés.

Près de deux millions de juifs refusèrent d’être rapatriés. C’est le cas de Sigmund Heilbronn, ce médecin juif allemand, qui trouva refuge au Kenya pendant la guerre. Les autorités coloniales ne l’autorisèrent à pratiquer la médecine que sur les noirs. A la fin de sa vie dans les années 1950, il exprime[1] sa décision de ne pas rentrer dans son pays natal:

Je suis dégoûté de l’Allemagne et je ne retournerai jamais là-bas. Ici j’ai été accueilli par des étrangers et j’ai retrouvé la foi auprès des personnes que j’ai soignées.

 

[1] Katharine Knox et Tony Kushner, Refugees in a Age of Genocide, 1999.

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17 commentaires sur “Quand les juifs s’exilaient en Afrique

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